Industrie

Voiture électrique : le Maroc a des parts à prendre dans la compétition mondiale

Les prévisions des diminutions des IDE, le ralentissement de l’industrie du transport et la récente signature de la ZLECAF font entrer le Maroc dans une nouvelle période économique qui nécessite de repenser la stratégie géoéconomique du Royaume et de mettre l’État au centre de l’initiative industrielle. Par Anas Abdoun.

Si l’on analyse la balance commerciale de ces dernières années, les exportations du Royaume suffisent à elles seules à comprendre quelle a été la stratégie de projection géoéconomique du pays depuis le milieu des années 2000.

Industrialisation et ralentissement du secteur

Le Royaume quoiqu’on en dise reste encore très largement économiquement dépendant de l’Europe. Malgré l’inflation de la littérature économique et scientifique sur les opportunités économiques en Afrique, force est de constater qu’elle ne se traduit pas dans la réalité économique du pays. Plus de la moitié des exportations marocaines sont tournées vers l’Europe tandis que l’Afrique représente moins de 10% des exportations ; reléguant le continent en troisième position géographique derrière l’Europe et l’Asie.

Les principaux produits exportés sont les véhicules qui représentent à eux seuls 14,6% des exportations marocaines en 2019. Le Secteur industriel du transport en y incluant l’industrie aéronautique représente presque 20% des exportations marocaines. C’est une bonne nouvelle en ce que cela montre la part croissante de l’industrie dans l’économie du pays, passage obligé du développement économique. Cela dit, les prévisions du secteur sont très mauvaises, l’industrie automobile est déjà en surproduction quant à l’industrie aéronautique, elle traverse une crise sans commune mesure dans l’histoire moderne de l’aviation civile. Ainsi, les deux pôles sur lesquelles avait investi le Maroc pour tirer le pays vers l’industrialisation se retrouvent en crise et connaissent un fort ralentissement. Si l’on ajoute à ce tableau une forte chute des IDE dans les années à venir et une économie mondiale qui risque de prendre quelques années avant de retrouver son niveau de richesse pré-covid, le Maroc risque de perdre de longues années sans projet industriel structurant ; au moment même où le pays a déjà perdu 432 000 emplois en 2020, selon le Haut-commissariat au plan.

Il est ainsi primordial pour le Maroc au moment où l’on parle du plan de relance, d’investir dans les secteurs industriels d’avenir afin de pérenniser davantage son élan d’industrialisation.

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Toutes les révolutions économiques s’accompagnent de deux innovations majeures, l’Énergie et le transport. Dans ce secteur, c’est incontestablement la batterie électrique et par extension les voitures électriques qui ont le vent en poupe, en témoignent les actions des entreprises qui fabriquent les batteries ou les voitures électriques qui ont fortement augmenté ces deux dernières années. Cet engouement traduit une tendance vers la multiplication des batteries et la généralisation progressive des voitures électriques. À elle seule, la voiture électrique est un marché estimé entre 250 et 300 milliards de dollars d’ici 2040.

Quels défis pour le Maroc ?

Le Maroc a une part de marché à prendre dans cette transition industrielle importante. Le Royaume a en effet des arguments de poids pour attirer une partie importante des usines de production de batteries et de voitures électriques.

La première des particularités est que le Maroc est un des rares pays au monde à avoir un accord de libre-échange avec les pays producteurs des matières premières nécessaires à la production de ces matériaux ainsi qu’avec les pays consommateurs des produits finis. Ainsi, le Maroc peut se fournir auprès des pays membres de la ZLECAF en lithium, cobalt ou en bauxite et exporter les batteries finies auprès de l’Europe, le tout sans barrière douanière ou tarifaire. En plus d’être au centre de la chaîne d’approvisionnement du fait de ces accords commerciaux, le Maroc est au centre géographique lui assurant ainsi un coût d’importation des matières premières et d’exportation très faible vers les marchés. Un atout économique qui peut vite devenir stratégique après la réflexion de la Commission européenne d’étendre la taxe Carbone sur le transport de marchandises, après s’être rendu compte de sa trop grande dépendance vis-à-vis de la Chine pendant la crise Covid.

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À ce titre, d’ici 2026 on estime que la voiture électrique sera en moyenne moins chère que la voiture thermique, cela prélude une démocratisation du véhicule électrique, à fortiori dans le pays développé ce qui va de facto entrainer la baisse des coûts de production et donc les marges bénéficiaires. 85% des ventes de Tesla se concentrent sur son modèle 3 qui est le moins cher et c’est précisément sur ce segment que les constructeurs cherchent à faire des économies de coûts. Un argument supplémentaire pour le Maroc pour qui le coût de main-d’œuvre est non seulement plus bas qu’en Europe, mais aussi plus bas que les zones industrielles en Chine, tout en étant hautement qualifié.

De l’attrait aux IDE à l’investissement national

En ce qui concerne l’installation de l’automobile électrique, force est de constater qu’après le Mémorandum d’entente entre le Maroc et le géant chinois de la voiture électrique BYD, il n’y a eu aucun signe avant-coureur d’une évolution du dossier qui semble gelé aujourd’hui. Il est pourtant important pour le Maroc de chercher à favoriser l’installation d’usine de production de voitures électriques en poussant à l’émergence d’un éco système favorable.

Le Mémorandum signé entre BYD et le Maroc s’inscrivait dans la continuité de la stratégie marocaine d’attrait des investissements, censés poursuivre l’effort d’industrialisation avec l‘ouverture d’usine et la mise en place comme à son habitude d’écosystème dédié. Or, la particularité de ce nouveau marché où les constructeurs attendent le moment stratégique où la voiture électrique sera moins chère que la voiture thermique couplée à la concentration des IDE vers les pays développés du fait de l’incertitude économique doivent pousser le Royaume à changer de stratégie.

Les garanties géographiques et de coûts qui ont convaincu Renault de prendre le risque d’ouvrir la première usine automobile au Maroc ne sont aujourd’hui manifestement plus suffisantes pour pousser les constructeurs électriques à faire de même. Or la construction d’une entreprise nationale de production de batterie peut faire la différence en ce qu’elle crée un précèdent industriel dans le domaine et donne la garantie de savoir-faire aux grands constructeurs, qui pour beaucoup d’entre eux ignorent les mutations techniques économiques qui se passent en Afrique.

Le Maroc qui est riche en Fluorine dont il est le premier fournisseur possède également du phosphate ainsi que du cobalt, autant de composants clés pour la fabrication des batteries au Lithium. Ainsi, le ministère de l’Industrie doit prendre les devants et créer une usine nationale de production de batteries en regroupant en écosystème, comme il sait le faire, les agences et départements de recherches qui travaillent déjà sur la question et les entreprises de sous-traitants qualifiés.

Ce projet industriel couplé au Green Energy parc, qui est lui-même le résultat de la synergie entre l’OCP, l’IRESEN et l’Université Mohammed 6 Polytechnique permet la formation de techniciens et d’Ingénieurs capables de maîtriser les rouages des évolutions technologiques constantes autour des batteries. Naturellement, s’il ne peut structurellement concurrencer les plus grands centres de recherche privés en la matière, il peut néanmoins aider à lancer la production en plus de convaincre les acteurs de la présence de main-d’œuvre qualifiée nécessaire à l’installation d’usines de productions de véhicules électriques.

À l’heure on l’on parle du plan de relance, il est évident que celui-ci doit être également un plan d’investissement, nul doute qu’après l’investissement dans les infrastructures faites par le Royaume aux débuts des années 2000, il est maintenant temps pour le Maroc d’investir dans une industrie nationale qui ne soit pas en opposition aux IDE mais qui au contraire constitue un relais aux IDE, à la seule différence qu’elle favorisera une industrie marocaine émergente. Cela est d’autant important qu’il faille avancer vite pour que cela concorde avec l’incapacité logistique des constructeurs de voitures électriques d’augmenter leur production face à une croissance du secteur qui s’annonce majeur.

Anas Abdoun est analyste en prospective économique et géopolitique chez Stratas Advisors, une compagnie de consulting spécialisée dans le secteur pétrolier, où il suit les marchés énergétiques au Moyen-Orient, en Afrique du Nord, ainsi qu’en Afrique subsaharienne. Il est également consultant indépendant basé à Casablanca.

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