Culture

Votre herboriste vous veut du bien

La phytothérapie revient à la mode. Preuve en est que l’émission Andi douak de Jamal Sqalli, connait un succès certain et popularise la résurgence du soin par les plantes. Un véritable engouement, non sans danger.

10h 45 dans les couloirs de la radio MFM un lundi matin. Jamal Sqalli fume une cigarette à l’accueil pendant que l’équipe de l’antenne se presse autour de lui, demandant différentes recettes et autres process prophylactiques. Le praticien est de taille plutôt modeste, la chevelure grisonnante et la moustache proéminente. Il tire des bouffées nerveuses de cigarette, qu’il se dépêche de fumer avant de passer à l’antenne. Il a gardé une disponibilité et une simplicité malgré la gloire que lui procure son émission sur les ondes à une heure de grande écoute. Il prend place sur son siège dans le studio réservé aux émissions en directe, repasse en revue ses notes, avant de commencer par un “coup de gueule”: “ne parcourez pas des kilomètres pour venir me rencontrer. Je ne peux pas recevoir tout le monde. Je suis à votre disposition sur les ondes. Posez vos questions à travers le journal Lalla Fatema ou MFM et je vous répondrai”. Exaspéré? Plutôt assailli de tous bords, mais répondant avec calme et détermination. Son émission a lancé une nouvelle mode, celle du soin par les plantes.
Samedi matin, visite au marché Jmiaâ des herbes et autres épices. Des clients se pressent devant les étals des marchands. Les uns s’approvisionnent, d’autres commandent à tout va. Peut on parler d’un effet Jamal Sqalli? La question se pose, même si on ne peut pas l’affirmer catégoriquement. Mais très clairement, depuis qu’il intervient sur les ondes de MFM, les gens se pressent au portillon et demandent toutes sortes de recettes pour guérir des maladies plus ou moins inquiétantes et qui n’ont pas trouvé remède. C’est devenu le sujet de discussion du tout Casablanca. Pour les marchands des herbes et des épices, le phénomène est plus ancien et on ne fait qu’assister à des engouements périodiques. Lorsqu’une nouvelle recette se popularise, les gens l’essaient et se mettent à acheter certaines plantes qui entrent dans la composition de “la potion magique”. Pour Ahlam, femme au foyer d’une cinquantaine d’années, le recours à ces recettes ne relève pas de la mode: “mon fils a commencé à avoir un début de calvitie. L’utilisation des produits pharmacologiques n’a pas donné de résultats tangibles. Depuis, je suis passée aux recettes traditionnelles, qui elles, ont montré leur efficacité.” Saloua, jeune femme active, la trentaine, analyse les choses différemment: “on recherche d’abord des solutions à travers la médecine classique, mais lorsqu’on est déçu, on se tourne vers doua dial laarab, la médecine traditionnelle bien de chez nous.” Le retour massif aux méthodes traditionnelles a fait le tour de la place. L’échos dans la société marocaine que trouve l’émission “Andi douak” n’est que révélateur d’un phénomène plus vaste: on cherche la solution miracle pour solutionner des problèmes de santé. Déjà par le passé, on recommandait aux gens souffrant de maux de dents l’apposition d’un simple clou de girofle, alors que la verveine était couramment usitée pour calmer les nerfs. Mais au delà de ces recettes de grand mère, il y a une science que le Dr Jamal Belkhadar a recensée dans son livre sur les pharmacopées traditionnelles. Le phénomène aurait pris une telle ampleur, qu’une lame de fond provoque un vent de panique chez les médecins et pharmaciens qui se défient de ces “médicaments” qui échappent à tout contrôle.

Des remèdes inégaux selon la provenance

Qui aurait imaginé, il n’y a pas longtemps un monde dans lequel le détartrage chez le dentiste serait remplacé par un brossage de dents au bicarbonate de soude et à l’eau oxygénée ? Un monde où le rhume classique serait soigné par des infusions chaudes. Il y a véritablement de quoi faire trembler la corporation des professionnels de la santé. Ce qui pourrait expliquer que le bon Dr Sqalli serait attaqué par des confrères. Pour des raisons de profits immédiats ou de sécurité des patients? Nul ne le sait. Pourtant, le soin par les herbes médicinales n’est pas nouveau. Il suffit d’ouvrir les journaux arabophones pour constater que des herboristes proposent des mixtures pour soigner le cancer (sic), le sida (re sic), et d’autres recettes pour fortifier le cuir chevelu ou pour adoucir la peau. C’est en effet une tendance inquiétante, qui peut ouvrir la porte au charlatanisme le plus éhonté. De quoi questionner les experts. Pour le Pr Abdessalam El Khanchoufi, directeur de l’Institut National des Plantes Médicinales et Aromatiques de Taounate, les choses sont on ne peut plus claires: “on ne parle pas des “remèdes” traditionnels comme médicaments, mais comme des compléments alimentaires, librement disponibles par ailleurs dans la parapharmacie classique. Il est clair que, les plantes entrent dans des composés médicaux, mais ne suffisent pas, à elles seules et sans autres apports pour constituer un médicament”, explique-t-il. Ce que Jamal Sqalli récuse : “les plantes sont à l’origine des médicaments traditionnels. Mais il y a une limite à toute chose, et on ne peut soigner des maladies génétiques ou chroniques uniquement par ce biais. Le soin par les plantes peut décupler les remèdes chimiques, ce qui peut aider à combattre des infections contre des virus de plus en plus résistants aux vaccins classiques”, admet-il cependant. Pour la pharmacologue, et directrice adjointe de l’Institut, Dr Dalila Bouseta, c’est cependant un jeu dangereux: “il y a un problème d’identification des plantes. Parfois on en vend une pour une autre, comme c’est le cas pour le thym-zaatar- qui compte une quinzaine d’espèces différentes. Certains mélanges peuvent même s’avérer dangereux pour la santé. De même que des problèmes en matière de conservation seraient de nature à mettre en danger la santé des patients.” Ce à quoi le Pr El Khanchoufi ajoute: “les plantes sont dépendantes de leur milieu naturel. En fonction de la région où elles poussent, elles contiendront une dose ou une autre de principe actif. Comme il y a différentes zones d’approvisionnement, les doses du “remède” ne sont pas identiques. Il faut être pharmacologue pour s’y retrouver.” Ce que M. Sqalli admet volontiers et sans restriction: “la vente des herbes médicinales n’est pas un commerce comme les autres. On joue avec la santé des malades, et parfois, des commerçants peu scrupuleux vendent des herbes communes à des prix déraisonnables, c’est honteux”, tempête-t-il.

Remède traditionnel ou poison moderne

Cependant, s’il faut respecter la posologie, il faut également tenir compte des règles de conservation des plantes, et de leur traitement. Ainsi, ces dernières doivent être entreposées dans un espace sec et à l’abri du soleil, de manière à ne pas perdre l’efficacité du principe actif de la plante: “il faut que les plantes soient entreposées la tête en bas, de manière à garder leurs vertus. Mais il faut également être vigilant, les plantes qui présentent des champignons et des pourritures sont impropres à l’usage”, poursuit Jamal Sqalli. Reste qu’il admet, comme les autres experts, qu’il ne faut pas se soigner de manière anarchique. Une plante doit être diluée dans de l’eau, ce qui permet d’éviter les désagréments.
Cependant, même si ce ne sont pas les dangers qui risquent de décourager les usagers des plantes médicinales, les herboristes ne sont pas malintentionnés ni ignares. Pour Dr Bouseta: “on a constaté un rapprochement entre les herboristes et les scientifiques. Ils cherchent à apprendre, et surtout à rationaliser leurs recettes traditionnelles. Mais dans ce cas, il faut se rendre dans les régions pour y découvrir les remèdes et constater, sur la durée, qu’ils ne provoquent pas d’effets secondaires,” rassure-t-elle. Pourtant, un “médicament” utilisé pour le traitement de la douleur s’avère très nocif. Il s’agit de l’aristoloche, autrement connue sous le nom barztam, qu’on préconise pour adoucir les douleurs des cancéreux. L’usage de cette plante est de nature à détériorer les reins de ceux qui en prennent. Un autre exemple de triste souvenir est celui du célèbre écrivain égyptien, Taha Hssine. Le recours à des recettes traditionnelles lui a tout simplement fait perdre la vue. Une autre plante toxique, utilisée par les drogués est la jusquiame -bouaqa- dont le jus contient le même poison qu’a utilisé Socrate pour mettre fin à ses jours, la cigüe.
Qu’on y croit ou pas, la médecine par les plantes est profondément ancrée dans les traditions marocaines et continuera probablement à avoir de beaux jours devant elle. Que ce soit pour teindre les cheveux, blanchir les dents ou soigner un rhume, la médecine traditionnelle reste en vogue. Mais ne remplace pas les traitements, cela s’entend. n

 
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