Spoliation foncière

Le phénomène est-il réellement éradiqué ?

La lutte contre la spoliation foncière s’acharne : Commission interministérielle, CESE, appareil judiciaire… tous se mettent en ordre de bataille en parallèle à l’opération de «Melkisation» des terres collectives en zones irriguées qui suit son cours.

Le cauchemar de la spoliation foncière est-il derrière nous? Si l’on en croit le ministre de la Justice, la réponse est oui. A l’issue de la réunion de la Commission interministérielle chargée du suivi du dossier de la spoliation foncière, mise en place suite à la lettre adressée par le Roi le 29 décembre 2016 au ministre de la Justice de l’époque, il a déclaré que ladite commission «a pris les mesures qui ont mis fin au développement de ce phénomène».

Le moins que l’on puisse dire, est que la déclaration du ministre est trop optimiste et risque de pousser les parties concernées à baisser la garde alors que le chemin qui reste à parcourir est encore long. Certes, des mesures d’ordre législatif et organisationnel d’une grande importance ont été prises à l’initiative de la Commission interministérielle, mais elles sont très loin d’éradiquer ce fléau qui continue à faire des dégâts tant sur le plan économique que social.

Lire aussi : Spoliation foncière : la lutte se poursuit

Malgré leur pertinence, ces mesures d’ordre parcellaire ne s’attaquent pas au problème à la racine. En termes simples, elles ont permis de colmater quelques brèches mais sans s’attaquer à l’origine du problème. Ces mesures sont de deux catégories. Il y a d’un côté, les « retouches » législatives apportées à certains textes de loi à savoir, le Code des droits réels, le Code des obligations et des contrats, le Code pénal et le Code de Procédure pénale. 

D’un autre côté, l’Agence nationale de la conservation foncière a engagé quelques actions qui vont certainement améliorer la sécurité des biens immatriculés. La plus emblématique est le service «Mouhafadati» qui permet aux propriétaires de suivre les inscriptions portées sur leurs titres fonciers (vente, donation, échange, saisie, bail, hypothèque etc.) afin de pouvoir réagir à temps contre tout acte frauduleux. 

D’une manière générale, la Commission interministérielle a apporté des réponses à ce qui était urgent et réalisable sans engagement de grandes réformes. L’essentiel du travail pour éradiquer le fléau de la spoliation foncière passe par le grand chantier de la réforme foncière qui figure dans le programme de l’actuel gouvernement. Et tant que cette réforme «profonde et globale», pour reprendre la formule du programme gouvernemental, n’est pas réalisée, le phénomène de la spoliation foncière va persister et les prédateurs fonciers vont continuer à enrichir leur patrimoine foncier sur le dos des propriétaires légitimes.

La spoliation foncière ne porte pas que sur les 38 dossiers devant les tribunaux. Elle est de loin plus vaste, revêt plusieurs formes et touche tous les types de propriétaires y compris l’Etat à la fois en tant que propriétaire (domaine forestier, domaine privé et domaine public) et en tant que tuteur des terres collectives. 

C’est pourquoi, il est impératif qu’une réforme foncière soit menée dans les années à venir, car ses retombées seront très bénéfiques tant sur le plan économique que social. Et dans ce cadre, trois axes méritent d’être retenus. Le premier consiste à généraliser le régime de l’immatriculation foncière par le biais d’opérations collectives (procédure de l’immatriculation d’ensemble). Ceci pour la simple raison que le patrimoine foncier non immatriculé qui est le plus dominant, est une réserve foncière intarissable pour les prédateurs fonciers dont les méfaits arrivent très rarement au niveau des tribunaux.

Le second axe porte sur la sécurisation du patrimoine foncier de l’Etat (en tant que propriétaire et tuteur) à travers la généralisation de l’immatriculation et la révision des conditions de cession, d’échange et d’occupation de ce patrimoine. Le régime actuel de ce patrimoine favorise certaines formes «légales» de spoliation foncière qui portent atteinte à l’intérêt général du pays et entament la crédibilité des institutions publiques. 

Le troisième axe concerne la réforme de la gouvernance foncière à travers sa modernisation et son unification et à défaut la réduction du nombre des intervenants. Bref, il est grand temps que l’administration du foncier soit revue en profondeur pour la mettre à l’air du temps, notamment  par l’utilisation des nouvelles technologies.

 
Article précédent

Génération green : booster le PIB agricole à l'horizon 2030

Article suivant

L’e-santé, une réalité qui s’impose