Ferroviaire

LGV Marrakech-Agadir. Le match France vs Chine

Fort du succès de son TGV entre Tanger et Casablanca, le Maroc souhaite étendre son réseau à grande vitesse ferroviaire. Son objectif dans un premier temps : relier Marrakech à Agadir. Un méga-projet qui pourrait amener le Royaume à confier une nouvelle fois sa réalisation à la France ou se tourner vers la Chine. Dans les deux cas, on se positionne comme on peut surtout que l’offre chinoise rebat les cartes et le choix de la France apparaît moins évident.

Après le grand succès de la première ligne reliant Tanger à Casablanca, inaugurée fin 2018, le Maroc veut se doter d’une nouvelle ligne à grande vitesse (LGV) reliant Casablanca à Agadir en passant par Marrakech. Soit 1300 kilomètres de nouvelles lignes. Mais, selon le ministère du Transport, la réalisation de la LGV reliant Marrakech et Agadir est l’une des priorités du plan de l’Office national des chemins de fer (ONCF). Un tel projet exigera un investissement de 75 milliards de DH. Comme pour la première ligne, le Maroc entend mettre en place un partenariat public/privé. Et cette volonté du Royaume n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd tellement elle attise les convoitises de plusieurs partenaires du Maroc et un nombre important d’acteurs sur la planète qui se livrent une concurrence féroce. On peut citer le géant chinois China Railway Construction Corp, le français Alstom, l’allemand Siemens, l’espagnol CAF, sans oublier le sud-coréen Hyundai. Tous ces industriels se battent dans les appels d’offres et sont prêts à d’importantes concessions pour emporter les lots. Mais, dans cette bataille pour s’adjuger la future LGV Marrakech-Agadir, la France et la Chine semblent les mieux placées.

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D’ailleurs, ce projet a récemment refait surface lorsque l’ambassadeur de Chine au Maroc, Li Changlin, a clairement indiqué que son pays veut remporter ce marché. Dans un entretien avec Le360, le diplomate, a assuré que la Chine dispose des moyens techniques et financiers pour assurer la réalisation du projet de ligne ferroviaire à grande vitesse devant relier Casablanca et Agadir et auquel le Royaume accorde une grande importance pour le développement, entre autres, de ses Provinces du Sud.

Lors de cette interview, l’ambassadeur de Chine au Maroc a affirmé que le projet de la LGV lui tient particulièrement à cœur. «De nombreuses entreprises chinoises performantes s’intéressent à ce projet. Certaines d’entre elles ont déjà travaillé, lors de certaines étapes de ce projet, de concert avec les autorités compétentes marocaines», a indiqué Li Changlin à Le360. «En ma qualité d’ambassadeur de Chine, je voudrais vous dire que la Chine est disposée à participer à la réalisation de ce gigantesque projet». Le diplomate a également assuré que l’Empire du Milieu et ses grandes banques sont en mesure d’accorder «à un taux préférentiel les financement nécessaires à la réalisation de cette ligne. Nous avons la haute technologie, l’expertise et le financement adéquats pour réussir ce chantier. La Chine et ses entreprises, je le répète, sont prêtes à accomplir cet ouvrage», a-t-il martelé.

Il faut dire que l’offre chinoise qui rebat les cartes et le choix de la France apparaît moins évident pour ce nouveau méga-projet : le Maroc pourrait se tourner vers la Chine. Comme l’a indiqué l’Ambassadeur de Chine au Maroc, plusieurs entreprises sont intéressées par ce marché. La société publique China Railway Construction Corp, par exemple, s’est positionnée sur le projet, avec des tarifs compétitifs qui tendraient à écarter les Français, et en contrepartie de la signature d’un contrat de concession en partenariat public-privé. Cette offre pourrait correspondre au tournant que semble prendre le Maroc avec la transformation prochaine de l’ONCF en Société Anonyme : un protocole d’accord signé le 25 juillet 2019 entre l’État et l’office prévoit une séparation entre le développement de l’infrastructure ferroviaire et l’exploitation commerciale du réseau. L’État prendra alors en charge les investissements, l’office ne s’occupant plus que de l’exploitation des lignes, un modèle permettant d’opérer de futurs contrats sous forme de concessions et inclure des opérateurs étrangers.

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L’intérêt de la Chine pour le projet de la LGV Marrakech-Agadir remonte à plusieurs années : sur la quinzaine d’accords signés le 11 mai 2016, lors de la visite du Roi Mohammed VI à Pékin, un concerne un mémorandum d’entente (MoU) sur la coopération ferroviaire entre la Société nationale des chemins de fer Chinois (China Railways) et l’ONCF. D’autres MoU avaient été signés au cours des années suivantes, à l’image de celui sur l’initiative de la « Ceinture et la Route » signé en 2017, renforçant les partenariats sino-marocains tant dans des secteurs prometteurs et à forte valeur ajoutée (infrastructures, industries, technologie) que sur le plan culturel, touristique et académique. Cela fait aujourd’hui de l’Empire du Milieu le troisième partenaire commercial du Maroc.

C’est dire que la Chine qui n’a plus à prouver ses compétences dans le domaine ferroviaire, a renforcé son partenariat au cours de cette dernière décennie. Pour rappel, le pays s’est doté du plus grand réseau ferré à haute vitesse au monde en l’espace de dix ans seulement. En 2002, le pays adopte un projet gigantesque étalé sur quinze ans et aujourd’hui, le réseau chinois est devenu le plus grand au monde avec plus de 144.000 km de voies en juillet 2020 dont près de 39.000 km de voies à grande vitesse. Son réseau transporte à lui seul près d’un milliard et demi de voyageurs par an et compte 60% des lignes haute vitesse mondiales.

De son côté, la France, qui avait largement contribué à la construction de la première LGV entre Casablanca et Tanger, remue ciel et terre pour que le projet profite une nouvelle fois aux entreprises françaises, notamment Alstom. Elle s’est positionnée pour accompagner le Royaume dans ce nouveau projet avec une offre représentée par Colas Rail et entend faire jouer la carte de la continuité et de la compatibilité de la technologie entre les lignes Casablanca-Tanger et Marrakech-Agadir.

Rappelons que pour la réalisation de la LGV Casablanca-Tanger, la France avait financé cette première ligne à hauteur de 51%, soit 1,1 milliard d’euros, sous forme de prêts de la direction du Trésor et de l’Agence française de développement. La Société nationale des chemins de fer français (SNCF) avait participé au projet en mettant à disposition son expertise, dans un objectif de transfert de technologie vers le Maroc. En contrepartie, de nombreuses entreprises françaises avaient décroché l’essentiel des contrats : Alstom pour la fourniture des rames TGV, le consortium Ansaldo-Ineo (signalisation et télécoms), Cegelec (sous-stations électriques) et le consortium Colas Rail-Egis Rail (voies et caténaires).

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Pour la future LGV Marrakech-Agadir, l’Hexagone et ses entreprises comptent sur les très étroits liens qui l’unissent au Royaume, surtout si de massifs prêts sont à nouveau consentis pour mener à bien ces nouveaux projets. Le partenariat entre la France et le Maroc est nourri par des liens privilégiés, notamment économiques, illustrés par la première place qu’occupe la France en matière d’IDE au Maroc et plus de 900 filiales de groupes français installés dans le Royaume), et des relations culturelles importantes. Mais le timing actuel ne parait pas plaider en faveur de l’Hexagone. Alliés historiques, les relations entre le Maroc et la France traversent une période de froid, après la décision des autorités françaises de réduire de 50% les visas octroyés aux Marocains. La mesure a été jugée arbitraire et a été dénoncée par de nombreux Marocains qui ont vu leur dossier rejeté alors qu’ils ont des déplacements professionnels, ou devaient se rendre en France pour des soins médicaux… Et pas seulement.

 
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