Tribune et Débats

Semi-conducteurs : un secteur lourdement impacté par une pénurie mondiale et des tensions internationales. Quelle réaction du Maroc ? [Par Charaf Louhmadi]

La crise issue de la pénurie des puces électroniques sur le marché mondial se prolonge. Elle s’explique d’une part par les dérèglements sur ce marché en période pandémique avec notamment un arrêt systémique de la production de nombreuses usines, et d’autre part, par une offre mondiale croissante, du fait de l’accélération de la digitalisation, du recours au télétravail au sein des entreprises, du déploiement progressif de la 5G et de l’utilisation abondante d‘équipements utilisant des nouvelles technologies (smartphones, électroménagers, objets connectés, véhicules électriques…) dotées de circuits électroniques.

Pat Gelsinger, CEO d’Intel, estime que cette pénurie risque bien de durer jusqu’en 2024, avec tous les problèmes qui lui sont adjacents. La pénurie des semi-conducteurs a tout naturellement de lourdes conséquences sur les fonderies ainsi que leurs clients. Pour ne citer que quelques exemples, retenons celui de Toyota dont l’activité a été temporairement suspendue au Japon ou encore celui de Scania, fabricant de poids lourds de Volkswagen, qui a également stoppé sa production en 2021. Et le confinement strict imposé à Shanghai par les autorités chinoises a compliqué la situation. Cette ville, stratégique, industrielle et technologique, où les premières levées des restrictions ne se sont intervenues qu’après deux mois de total isolement, abrite de nombreuses usines produisant des puces électroniques.

Géants mondiaux et Europe investissent pour s’affranchir de leur dépendance asiatique. Les protagonistes mondiaux, ces géants au premier rang des semi-conducteurs, réagissent à cette pénurie. Ainsi le mastodonte TSMC qui fournit Apple et Nvidia et dont le 4ème trimestre 2021 fut particulièrement rentable, débloque plus de 40 milliards de dollars d’investissements pour 2022. Intel diversifie son positionnement géographique, avec une implantation accrue en Europe, annonçant un plan d’investissement chiffré à 35 milliards d’euros visant l’Allemagne, la France et l’Italie, dont 17 milliards d’euros pour la construction d’une grande usine outre-Rhin. Le géant sud-coréen Samsung a également déclaré investir plus de 356 milliards de dollars sur cinq ans dans les semi-conducteurs, l’intelligence artificielle et la biotechnologie.

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Le continent asiatique produit 80% des semi-conducteurs à l’échelle mondiale, renvoyant l’Europe qui n’en produit que 10% à dépendre des puces asiatiques. Pour s’affranchir de cette dépendance et asseoir sa souveraineté numérique, le commissaire européen Thierry Breton, a acté en février 2022 le déblocage de 42 milliards d’euros à l’horizon 2030, dans un plan d’investissement dit le « Chips Act » dont l’objectif est de retrouver 20% des parts de marché mondiales à maturité. Notons donc, une prise de conscience généralisée, des entreprises et des Etats, quant à ce secteur névralgique à l’ère de l’accélération des processus de digitalisation et du numérique. Le cabinet Yole Développement estime que le marché mondial des semi-conducteurs est valorisé à près de 600 milliards d’euros.

La course à la miniaturisation des puces est également lancée, car on sait que plus un semi-conducteur est petit plus la puissance de calcul est améliorée et la consommation ainsi que l’effet de joule restreints. Là encore, il y a prépondérance taïwanaise : TSMC produit 85% des semi-conducteurs de taille inférieure à 7 nanomètres et ambitionne de produire dès 2022 des puces dont l’épaisseur est comprise entre 3 et 4 nanomètres et le géant taïwanais multiplie les projets de recherche pour viser la production de puces 2 nanomètres. Samsung de son côté dispose de moyens technologiques pour produire des puces inférieures à 7nm. Enfin Intel, légèrement en retard sur ce volet technologique, annonce pouvoir créer des puces 7nm à partir de 2023.

Géopolitique des puces : l’impact des grands conflits, guerre en Ukraine et tensions sino-américaine autour de Taïwan

La guerre en Ukraine impacte indéniablement l’industrie des semi-conducteurs, la Russie et l’Ukraine produisant des matières premières utilisées dans les procédés de productions des puces électroniques. L’Ukraine produit 90% du néon utilisé dans l’industrie des semi-conducteurs, un gaz rare extrait au sud du pays, à Odessa, dont le port actuellement bloqué est des plus stratégiques pour les exportations, dont notamment de denrées alimentaires. La Russie, elle, produit à l’échelle mondiale 50% de palladium, métal utilisé dans la fabrication des puces électroniques, lequel du fait de la guerre, a vu son prix s’envoler. Quant aux deux premières puissances mondiales, Etats-Unis et Chine, elles affichent leur profond désaccord au sujet de l’île de Taïwan. Antony Blinken, a dénoncé une « coercition croissante » de la Chine sur l’île voisine, alors même que Pékin dénonce l’ingérence américaine et s’estime calomniée par les propos du secrétaire d’Etat. La position du pouvoir chinois est sans équivoque et extrêmement ferme au sujet de Taïwan. Par ricochet, une intervention militaire est assez probable, ce qui risque d’ajouter du désordre au désordre mondial, sachant que Pékin se rapproche de plus en plus de la Russie, qui rappelons-le, est sévèrement sanctionnée par les pays occidentaux. Les deux pays affichent sans ambiguïté leur alliance, et la démontrant concrètement : un premier pont routier reliant la Russie et la Chine vient d’être inauguré en fanfare courant juin 2022.

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Cette situation géopolitique touche frontalement et violemment le secteur des semi-conducteurs, puisque, rappelons-le, TSMC (Taïwan Semiconductor Manufacturing Company) est le leader mondial des semi-conducteurs, produisant des puces de tailles miniatures de l’ordre de quelques nanomètres, une technologie où elle dépasse largement la Chine, laquelle à ce jour est incapable de rivaliser avec Taïwan sur ce volet. Les semi-conducteurs sont manifestement le maillon faible de la balance commerciale chinoise, la Chine ayant en 2018 procédé à des importations de l’ordre de 312 milliards de dollars contre à peine 84,6 milliards de dollars d’exportations. L’annexion de Taïwan, permettrait incontestablement à la Chine, de résoudre ce problème de dépendance sectorielle et par la même occasion, renforcer son économie.

Les marchés financiers internationaux dans une amorce de forte baisse des cours

Les cours des entreprises spécialisées dans la production des semi-conducteurs affichent une tendance baissière depuis début 2022, les marchés reflètent les diverses difficultés sur ce secteur, exprimant un prolongement de la pénurie, les conséquences de la guerre en Ukraine, la corrélation avec les secteurs technologiques visiblement essoufflés et les tensions géopolitiques sino-américaine concernant Taïwan, sont autant de facteurs qui n’augurent aucunement d’une prochaine sortie de crise. Au 17 juin 2022, on observait les baisses suivantes en « Year-to-date » : TSMC : -20,6%, Intel : -30,52%, Samsung : -23,92%, STMicroelectronics : -27,93%.

La bonne forme de ST Microelectronics Maroc, créatrice d’emploi et écolo-friendly

Le géant franco-italien ST Microelectronics, dont le chiffre d’affaires en 2021 s’élève à plus de 11,5 milliards d’euros, est implanté au Maroc depuis plusieurs décennies, dont 20 ans sur le site de Bouskoura. ST Maroc est l’une des plus importantes usines du groupe à l’échelle mondiale, comptant un effectif de 3300 salariés, avec une dynamique de recrutement très perceptible, plus de 700 embauches en 2021, malgré le contexte tendu que connaît ce secteur. La filiale marocaine ambitionne de se spécialiser dans l’industrie de l’automobile électrique, secteur porteur, du fait de la hausse des prix des carburants et de l’urgence climatique. Tesla, sixième plus grande capitalisation boursière mondiale à fin 2021, pesant plus de 1074 milliards de dollars, fait partie des clients de la filiale marocaine.

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Par ailleurs, l’antenne marocaine vient d’inaugurer, en présence du ministre de l’Industrie et du commerce et des membres de son cabinet, une nouvelle ligne en vue de fabriquer du matériel sophistiqué à base de carbure de silicium et dédié aux véhicules électriques. Ce projet stratégique, valorisé à plus de 2,4 milliards de dirhams, permettra une extension du site de Bouskoura de plus de 7500 mètres carrés. L’usine se veut enfin verte et vise la neutralité carbone à l’horizon 2027. Au registre écologie, placé visiblement au centre de sa stratégie, ST Maroc table sur une utilisation de 50% d’énergies renouvelables en 2022 et ce via l’achat d’énergie électrique produite par 12 éoliennes, situées au nord du Maroc et construites par la société InnoVent. Dans sa démarche écologique, l’usine a installé en 2019 plusieurs milliers de panneaux solaires dans son parking en vue de produire et d’utiliser de l’énergie solaire. Elle a aussi procédé au remplacement de toutes les ampoules de l’usine par des lampes LED dans l’optique de diminuer sa consommation électrique. ST Maroc s’impose ainsi en un fleuron industriel régional à Bouskoura, dans une zone connue par l’étendue de ses espaces verts et par sa forêt, poumon de la région du grand Casablanca.

L’écosystème MAROC des plus favorables au secteur des semi-conducteurs

L’attractivité du Royaume est connue et reconnue par et pour les investisseurs et entreprises qui souhaitent s’y installer et y développer leurs activités. C’est le cas précisément et spécialement pour le secteur des semi-conducteurs du fait que l’industrie automobile, secteur que l’on sait particulièrement corrélé à celui des puces électroniques, est bien présente, avec entre autres des ténors français (Renault, PSA…) et internationaux. Le Royaume se distingue fortement dans le secteur automobile où il affiche des résultats impressionnants : les exportations prévisionnelles pour 2022 sont valorisées à plus de 330 milliards de dirhams et le Maroc se positionne en premier exportateur de véhicules à destination de l’Union Européenne, dépassant de fait la Chine, la Turquie et le Japon.

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Outre cela, le secteur automobile, en formidable employeur avec plus de 150 000 personnes au Maroc, avec une production de plus de 403 000 unités en 2021, fait du Royaume le premier hub continental en termes de production de véhicules. Une dynamique évidente, quasi structurelle, s’y opère depuis quelques années. Entre 2020 et 2021, les exportations de voiture de tourisme ont bondi de 18% pour frôler les 360 000 véhicules. Le volet fiscal est également intéressant pour les entreprises et les entrepreneurs. On y observe des gradients importants de taux d’imposition en comparaison avec des pays comme l’Espagne, l’Italie ou la France. De plus, le coût de la main d’œuvre est particulièrement moins onéreux comparé à la plupart des pays de l’Union Européenne, notamment dans les secteurs des semi-conducteurs qui embauchent énormément d’ouvriers. Il s’agit rappelons-le de fonderies et d’usines. Le smic marocain est valorisé à ce jour à environ 250 euros, soit cinq fois moins que le smic français.
A cela s’ajoute enfin la mise en place de dispositifs étatiques libéraux mis en place par l ’ « ANAPEC » (Agence Nationale de Promotion de l’Emploi et des Compétences) permettant une souplesse et une flexibilité dans les embauches, très favorables aux entreprises et au patronat. Ce dynamisme économique du Royaume connote le bon développement économique du pays, mesure pleinement la compétitivité asiatique et mondiale, le Maroc n’a ainsi pas d’autres choix que de renforcer sa production dans des secteurs industriels clés comme ceux des semi-conducteurs, de l’aéronautique, des batteries et de l’automobile.

 
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