Interview

Vincent Delahaye : «Il est urgent de trouver des solutions afin que le dialogue se noue entre Paris et Rabat» 

Le Sénateur de l’Essone (Ile-de-france), également l’un des vice-présidents du Sénat, est un fervent défenseur des relations Maroc-France. Dans cette interview, Vincent Delahaye plaide pour une sortie de la crise qui empoisonne les relations franco-marocaines depuis plus d’un an.

Challenge : Les relations entre Rabat et Paris sont au plus froid depuis un an. En septembre 2021, Paris avait décidé de réduire de 50 % le nombre de visas accordés au Maroc pour mettre la pression sur le gouvernement qu’il juge trop peu coopératif dans la réadmission de ses ressortissants expulsés de France. Comment qualifiez-vous une telle mesure qui a déclenché des vagues d’indignation sur les réseaux sociaux et jeté un froid dans les relations entre Rabat et Paris ? 

Vincent Delahaye : C’est vrai qu’il y a des opérations de reconduites aux frontières et que la France a besoin d’une bonne coopération avec l’ensemble des pays du Maghreb, que ce soit le Maroc, mais aussi l’Algérie et la Tunisie. Je pense que le gouvernement français a souhaité que ces opérations se fassent un petit peu plus régulièrement jusqu’à présent. Nous estimons que c’est nécessaire, mais nous ne pensons pas que l’utilisation, entre guillemets, de l’arme des visas soit une bonne chose. Nous avons beaucoup de Marocains qui apprécient la France, et se voir sanctionner ainsi, sachant qu’il faut quand même payer de toute façon entre 120 et 150 euros pour faire une demande de visa. Or, il y a beaucoup de refus. Il est donc urgent de trouver rapidement des solutions afin que le dialogue se noue entre Paris et Rabat. 

Challenge : Avez-vous une idée sur l’étendue du mal qu’a causé cette politique des visas qui a touché la partie marocaine la plus francophile et la plus proche de la France ?

V.D : Selon les derniers chiffres dont on a entendu parler, c’est 80 000 visas refusés, ce qui est énorme. C’est vous dire une nouvelle fois que le sujet nécessite qu’il soit pris à bras le corps, à la fois par le gouvernement français, et en lien aussi avec les autorités marocaines pour que l’on sorte de cette situation qui pénalise énormément les Marocains et qui jette un froid sur les relations qui sont très amicales entre les deux pays.

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Challenge : Le gouvernement français s’apprête à présenter son projet de loi sur l’immigration, avec l’objectif de faire exécuter la totalité des OQTF (obligation de quitter le territoire français). Ce projet de loi ne risque-t-il pas d’empirer les relations Maroc-France ?

V.D : Je ne pense pas à priori, il n’y a pas de raison. Il est vrai que chaque pays a sa politique d’immigration. Celle de la France a quand même été largement ouverte. Je crois qu’aujourd’hui il y a un souhait, un désir que ce soit un peu moins ouvert, en tout cas que l’on soit plus regardant, plus sérieux dans l’exécution des décisions qui sont prises. C’est cela qu’attendent les Français également. Ceci doit être pris en compte des deux côtés. Sinon, on risque en France d’avoir à un moment donné un gouvernement populiste qui sera beaucoup plus drastique sur ces sujets-là, et sans doute moins accommodant. Nous avons tous intérêt, aussi bien du côté marocain comme du côté français, à trouver les bonnes solutions. 

Challenge : Cette guerre des visas n’est pas la seule pomme de discorde entre Rabat et Paris. La France est jugée trop attentiste sur la question du Sahara, et sa nouvelle lune de miel avec l’Algérie, a fait grincer des dents. La France n’a-t-elle pas mal géré ces dossiers ?

V.D : Comme vous le savez, on n’est pas dans le secret des discussions et des négociations. D’ailleurs, c’était assez frappant puisque lors de la visite, ou à l’issue de la visite d’Emmanuel Macron en Algérie, l’on disait un peu partout qu’il y avait eu un accord qui avait été trouvé. Mais en fait, personne ne connaissait le contenu de l’accord. Donc, si vous le connaissez c’est très bien, mais moi je ne le connais pas. La France peut avoir de bonnes relations avec l’Algérie et conserver d’excellentes relations avec le Maroc. L’un n’est pas exclusif de l’autre et j’estime qu’en la matière, il ne faut surtout pas de jalousie mal placée. Je pense qu’il faut avoir de bonnes relations avec les pays avec lesquels nous avons des liens historiques très forts et une histoire parfois très mouvementée comme avec l’Algérie sur laquelle il faut, bien sûr, bâtir des choses pour l’avenir.

Pour ma part, et cela n’engage que moi, il me paraît assez évident que la question de la reconnaissance du Sahara marocain doit se faire rapidement. Pour moi, il n’y a pas d’ambiguïté sur le sujet, il ne devrait pas y en avoir. Maintenant, je ne suis pas à la place du Président de la République et de ce qui a pu être pris comme position, mais jusqu’à présent, on a toujours voté favorablement dans ce sens-là. 

Challenge : A votre avis, qu’est-ce qui est réellement à l’origine du froid entre Rabat et Paris ?

V.D : Je pense que les deux volets que vous avez soulevés, que ce soit le problème des visas et la reconnaissance du Sahara marocain, sont les deux questions majeures. Sur le reste honnêtement, nous avons beaucoup de Français qui sont au Maroc et également beaucoup d’intérêts français au Maroc où les entreprises françaises investissent. Des Marocains investissent aussi en France. Les liens d’amitié entre les deux pays et même entre nos dirigeants sont réels. Je crois qu’il faut absolument crever l’abcès de ces deux questions rapidement, pour revenir à une situation normale d’amitié entre nos deux pays. 

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Challenge : S.M. Le Roi Mohammed VI et le Président Macron ont eu un entretien mardi 1er novembre. Va-t-on vers un dénouement d’une brouille entre les deux alliés ?

V.D : Nous n’avons pas de confirmation officielle de cet entretien. C’est effectivement une information qui a couru. Maintenant, elle n’a été ni confirmée ni démentie officiellement, d’un côté comme de l’autre. Ce qui serait bon, c’est que les deux dirigeants se rencontrent assez vite parce qu’il faut que ces malentendus, en tout cas ces positions divergentes, puissent être rapidement réglées.

 
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