Quatre ans après avoir tourné le dos à l’Afrique, le mastodonte du capital-investissement américain Carlyle Group remet pied sur le continent, via l’acquisition d’unités flottantes déployées en Côte d’Ivoire…Décryptage.
L’Afrique, souvent perçue comme un terrain des investissements à haut risque, se retrouve à nouveau sous le radar d’un des géants américains du private equity. Carlyle, qui gère plus de 465 milliards de dollars d’actifs à l’échelle mondiale, avait semblé s’éclipser du continent ces dernières années, préférant transférer une partie de ses actifs à Alterra Capital Partners, un fonds porté par d’anciens cadres de la maison-mère. Cette stratégie avait été interprétée pour beaucoup d’expert africain comme un désengagement clair, renforcé par un manque de nouveaux deals d’envergure.
Pourtant, septembre 2025 marque un tournant. En rachetant les unités flottantes de production et de stockage (FPSO) d’Altera Infrastructure en Côte d’Ivoire, Carlyle envoie un signal fort : celui d’un retour opportuniste, dans un contexte mondial où les actifs énergétiques et logistiques sont redevenus stratégiques. Derrière cette transaction, dont le montant n’a pas été communiqué, se joue bien plus qu’une simple opération financière.
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« C’est un révélateur de la manière dont les grands fonds internationaux regardent aujourd’hui l’Afrique : non pas comme un terrain de croissance long terme porté par les marchés domestiques, mais comme une réserve de stabilité énergétique et d’accès à des flux vitaux », nous confie l’économiste ivoirien Samuel Mathey.
Un retrait assumé…
Le cas Carlyle illustre la trajectoire typique des grands fonds américains sur le continent : enthousiasme initial, phase d’implantation, puis repli stratégique face aux difficultés structurelles africaines. Pour la petite histoire, dans les années 2010, Carlyle avait tenté de bâtir un portefeuille africain diversifié, allant de l’agro-industrie aux infrastructures. Mais les rendements n’ont pas suivi, freinés par l’instabilité politique, la faiblesse des marchés financiers locaux et des devises fragiles.Le transfert d’actifs à Alterra Capital Partners, constitué d’anciens dirigeants du bureau africain de Carlyle, avait marqué ce virage.
Il s’agissait de déléguer la gestion africaine à une structure locale, mieux adaptée à jongler avec les réalités du terrain, mais aussi de se retirer d’une exposition trop directe. Cette phase a été interprétée comme un désengagement durable. Pourtant, l’opération en Côte d’Ivoire démontre que Carlyle n’a jamais réellement tourné la page : il attendait le bon moment pour revenir, dans des secteurs où les risques sont compensés par la valeur stratégique.
L’énergie comme vecteur d’influence
Le choix d’investir dans les unités flottantes de production pétrolière en Côte d’Ivoire n’est pas anodin. L’Afrique subsaharienne, et plus particulièrement son golfe de Guinée, est redevenue un espace géoéconomique central. Dans un monde marqué par la compétition énergétique – exacerbée par la guerre en Ukraine, les tensions au Moyen-Orient et la volonté des économies occidentales de sécuriser des approvisionnements – l’Afrique retrouve une place cardinale.
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Pour Carlyle, miser sur des actifs liés au pétrole et au gaz, même dans un contexte mondial de transition énergétique, relève d’un calcul froid : « ces infrastructures génèrent des flux financiers stables, sécurisés par des contrats de long terme avec des États ou des majors pétrolières. Elles offrent aussi une exposition à des marchés moins volatils que la finance locale ou que des secteurs comme la consommation de masse, très sensibles aux cycles africains », nous confie notre source. En clair, le retour de Carlyle n’est pas un pari sur l’Afrique des start-up, des classes moyennes émergentes ou de la digitalisation. C’est un pari sur l’Afrique des ressources naturelles, celle qui reste vitale pour l’économie mondiale, et donc un terrain de rente.
Quelles leçons pour l’Afrique ?
L’exemple Carlyle illustre l’une des limites structurelles des économies africaines : la dépendance à des fonds étrangers pour le financement d’actifs stratégiques. Alors que certains États cherchent à renforcer des champions nationaux dans l’énergie, les télécoms ou les infrastructures, les géants du private equity continuent de rafler les actifs à haute valeur. Le résultat est double : d’un côté, un apport de capitaux, souvent indispensable ; de l’autre, une perte de contrôle sur des leviers économiques clés.
Pour les pays africains, la leçon est claire : il ne suffit pas d’attirer les capitaux, il faut aussi construire une capacité endogène de gestion des investissements stratégiques. Notons que, le gestionnaire de fonds ne dispose d’aucun responsable dédié au continent ni même d’équipe sur place, en dépit de ses 29 bureaux répartis sur quatre continents. Mais la fenêtre africaine ne semble pas totalement fermée pour autant.