Economie verte

Pourquoi le capitalisme américain abandonne-t-il le vert ?

Wall Street, BlackRock… Ils sont nombreux, les grands acteurs financiers qui prêchaient la révolution verte, mais qui font aujourd’hui marche arrière sur ces questions. Un retour à la doctrine économique tangible : celle de la matière, qui a toujours guidé le capitalisme américain.

Il y a quelques années encore, la finance américaine se présentait en fer de lance de la transition écologique. Wall Street, BlackRock, les grands fonds d’investissement… Tous annonçaient une révolution verte inévitable, où le capital se détournerait progressivement des énergies fossiles pour financer un avenir plus durable. Les politiques ESG (Environnement, Social et Gouvernance) devenaient la norme, les entreprises se pressaient d’annoncer leur neutralité carbone, et les majors pétrolières elles-mêmes se sentaient contraintes d’investir dans le renouvelable. Pourtant, aujourd’hui, le vent a tourné. Avec l’élection de Trump, les engagements se font plus flous, et les investissements dans le pétrole et le gaz repartent à la hausse. Larry Fink, PDG de BlackRock, autrefois apôtre de la finance verte, a lui-même nuancé son discours, affirmant que l’ESG était devenu un mot trop politisé.

Lire aussi | Tarifs douaniers de Trump: Quel impact pour les exportations marocaines?

Et il faut bien admettre que cette pirouette ne doit rien au hasard. Elle est le reflet d’un retour aux fondamentaux du capitalisme américain, ancrés non pas dans une vision idéologique de l’économie, mais dans une logique matérielle et stratégique. « La transition énergétique ne s’est jamais imposée comme une nécessité économique absolue, mais comme un pari financier porté par des conditions de marché favorables. Or, ces conditions ont changé. L’instabilité géopolitique, l’explosion des prix de l’énergie, la dépendance aux minerais critiques contrôlés par la Chine et la nécessité pour les États-Unis d’assurer leur autonomie énergétique ont remis au centre du jeu une évidence : le capitalisme américain ne peut se détacher de la matière, du tangible, de la compétitivité dans les ressources physiques », nous confie l’économiste Hicham Alaoui.

L’illusion de la finance verte face aux impératifs stratégiques

La finance verte n’a jamais été un mouvement purement éthique. Elle a prospéré dans un contexte où les conditions de marché rendaient son développement profitable. Les taux d’intérêt étaient bas, les politiques publiques encourageaient les investissements dans les renouvelables, et le narratif écologique permettait aux grandes institutions financières de se repositionner en acteurs vertueux. BlackRock, Vanguard et d’autres géants de la gestion d’actifs ont ainsi créé des fonds ESG, captant des milliards de dollars auprès d’investisseurs soucieux de donner un vernis éthique à leur portefeuille.

Lire aussi | L’Amérique, grande perdante de la guerre commerciale lancée par Trump?

Mais dès que les conditions économiques se sont durcies, la réalité matérielle a repris ses droits. En Europe, récemment, la Commission européenne a proposé une grande loi de déréglementation. « En effet, cette loi donne virtuellement une carte blanche aux grandes entreprises, qui pourront continuer à mener des activités à l’impact désastreux sur le climat. » Par ailleurs, la Commission européenne, sous des prétextes de « compétitivité et de simplification », ouvre la voie au greenwashing généralisé. Par exemple, les entreprises n’auront plus à mettre en place un plan de transition pour aligner leur stratégie avec l’Accord de Paris. La directive sur le devoir de vigilance (« CSDDD »), un des textes menacés, permettait de juger les entreprises sur les actions réellement mises en place pour opérer leur transition climatique. Désormais, il suffira aux entreprises de publier leurs intentions sur le climat, sans les mettre en œuvre. « Mais ce n’est pas tout », alertait Olivier Guérin, chargé de plaidoyer chez Reclaim Finance, dans une tribune.

L’économie-monde américaine repose sur une doctrine de la matière…

Dans « Destinée manifeste », le célèbre livre qui trace la vision des pères fondateurs, ce principe, énoncé depuis longtemps, guide les choix économiques et stratégiques des États-Unis. Cette doctrine repose sur une idée simple : la puissance économique ne se mesure pas à la seule domination financière ou technologique, mais avant tout à la maîtrise des ressources matérielles qui font tourner le monde. Dans cette logique, les matières premières – pétrole, gaz, métaux rares, production industrielle – ne sont pas de simples variables économiques, mais des piliers stratégiques dans lesquels il faut exceller.

Contrairement à l’Europe, qui a progressivement abandonné ses industries lourdes et son autonomie énergétique au profit d’une financiarisation et d’une économie de services, les États-Unis ont toujours maintenu un ancrage profond dans la production matérielle. Ce choix explique pourquoi, malgré des décennies de discours sur la transition énergétique et l’investissement durable, l’administration américaine continue de privilégier les énergies fossiles comme socle de son modèle économique. L’extraction pétrolière, le gaz et le contrôle des chaînes d’approvisionnement industrielles sont perçus comme des enjeux de souveraineté, et non comme des secteurs en déclin à remplacer par des alternatives vertes.

Lire aussi | Trump déclare la guerre commerciale au monde 

Cette doctrine de la matière ne se limite pas à l’énergie : elle s’étend à la production de semi-conducteurs, aux infrastructures et aux industries stratégiques, où les États-Unis cherchent à conserver une compétitivité absolue face à la montée en puissance de la Chine. Loin d’un simple opportunisme économique, cette approche traduit une vision du capitalisme où la suprématie repose sur des actifs tangibles et des ressources maîtrisées, et non sur des engagements idéologiques ou des effets de mode. Tant que cette doctrine guidera les décisions américaines, la transition écologique mondiale restera subordonnée aux intérêts stratégiques des États-Unis, dictant le tempo du capitalisme global.

Les conséquences pour le reste du monde

Ce revirement a des conséquences profondes à l’échelle mondiale. L’Europe, qui avait structuré sa stratégie énergétique autour d’une transition accélérée, doit revoir ses plans sous peine de subir une dépendance accrue aux États-Unis et aux importations d’hydrocarbures. Mais le changement le plus significatif pourrait concerner l’Afrique.

Pendant des années, les institutions financières et les gouvernements occidentaux ont exercé des pressions sur les pays africains pour qu’ils abandonnent progressivement l’exploitation de leurs ressources fossiles. Mais maintenant que les majors pétrolières reviennent en force et que la demande en hydrocarbures reste forte, l’Afrique doit se réapproprier la gestion de ses ressources. Plutôt que de rester un simple fournisseur de pétrole brut, le continent doit adopter une doctrine de souveraineté énergétique et industrielle, en imposant des conditions plus strictes aux multinationales et en investissant dans la transformation locale des matières premières.

Le retour du capitalisme américain à la doctrine de la matière est un signal fort : « L’énergie reste un outil de pouvoir avant d’être un enjeu environnemental. L’Afrique a une opportunité unique de tirer les leçons de ce basculement et d’éviter de se retrouver, une fois encore, prisonnière d’une économie extractive dictée par des intérêts étrangers », nous confie l’économiste Samuel Mathey.

 
Article précédent

Fnideq: 50 MDH alloués à la 2è tranche de la Zone d'activités industrielles de Haidara

Article suivant

Le pétrole chute lourdement sous le double effet des tarifs douaniers et de l’offre