Tourisme : comment prévenir les crises ?

Ces dernières années, le Maroc a fait du tourisme un levier de son économie ; et surtout, à la veille du Mondial 2030, les ambitions dans ce secteur sont grandes. En chiffres, le Maroc compte accueillir les 26 millions de touristes prévus d’ici 2030. Bien qu’étant louable pour l’économie, la stratégie du “tout touristique” peut provoquer des crises. Décryptage !
Même si le tourisme fait le bonheur des grandes économies, depuis quelques années, les destinations phares font le malheur des citadins qui, aujourd’hui, dénoncent le surtourisme, ou encore appelé tourisme de masse. En Europe, c’est l’Italie qui est le symbole de ces ras-le-bol contre ces centaines de milliers de vacanciers. “Le marché des vacanciers est essentiel pour bien des économies locales, mais la hausse du nombre de visiteurs peut engendrer d’énormes problèmes”, martelait dans une tribune l’hebdomadaire italien L’Espresso. “Un phénomène qui modifie principalement les équilibres des grandes communes”, observe le journal de Rome.
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Aujourd’hui, en Europe, la crise du logement a pris une dimension sévère. Et pour beaucoup d’observateurs, le surtourisme y est pour beaucoup. Dans plusieurs grandes villes européennes, et même occidentales, bon nombre de propriétaires préfèrent mettre leur bien sur la plateforme Airbnb. Puisque le marché hôtelier est saturé dans certains lieux et inexistant dans d’autres, les chambres et logements laissés deviennent la seule alternative des vacanciers. Avec la prolifération de l’offre et surtout les enjeux de rente que cela représente pour les heureux propriétaires, dans plusieurs villes, il est difficile de se loger aujourd’hui. À Barcelone (Espagne), où des manifestations ont éclaté dès 2014 contre le surtourisme, les locaux sont poussés à vivre en périphérie. En Italie, 1 000 à 1 500 Vénitiens seraient contraints chaque année de quitter leur ville pour s’installer sur la terre ferme. Récemment, en réponse, l’Europe a décidé de rentrer en guerre contre la plateforme. Pour remédier à la pénurie de l’offre locative de longue durée, Barcelone a ainsi décidé d’interdire la location de 10 000 logements sur Airbnb d’ici 2029. À Londres, les locations Airbnb sont limitées à 90 nuitées par an pour les logements entiers, situés dans la capitale et dans sa proche périphérie. En Italie, alors que les villes de Rome, Florence et Milan limitent les locations de type Airbnb dans leurs centres historiques, le gouvernement, lui, souhaite légiférer au niveau national pour réglementer les locations touristiques à court terme. Un projet de loi a ainsi été publié l’an dernier et impose une durée minimale de deux nuitées dans les villes à haute densité touristique, ainsi qu’un code d’identification national pour les différents types d’établissements d’hébergement de courte durée. Ces décisions ont été prises à la lumière de conséquences réelles : selon la Commission européenne, le sans-abrisme a considérablement augmenté dans toute l’Europe au cours de la dernière décennie.
Et le Maroc dans tout ça ?
Ces dernières années, le Maroc a fait du tourisme un levier de son économie ; et surtout, à la veille du Mondial 2030, les ambitions dans ce secteur sont grandes. En chiffres, le Maroc compte accueillir les 26 millions de touristes prévus d’ici 2030. Bien qu’étant louable pour l’économie, la stratégie du “tout touristique” peut provoquer à l’avenir une véritable crise du logement. Car comme en Europe, une grande partie de l’activité sera captée par les plateformes Airbnb ou encore les propriétaires de locations alternatives qui, avec le temps, s’adonneront à des pratiques spéculatives. Il faut d’ailleurs rappeler que, pour le moment, les Airbnb se pratiquent par seulement une petite niche. Niche, d’ailleurs, qui est sous l’œil vigilant des autorités. Même si, pour l’heure, les autorités, au travers du fisc, ont les yeux sur ce secteur, il doit cependant y avoir une régulation spécifique à la lumière des externalités négatives qui peuvent découler de l’activité.
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« Ce qui m’interpelle en premier, c’est cette formulation « Bien qu’étant louable pour l’économie, la stratégie du “tout touristique” » : c’est quoi ? Je n’ai vraiment pas vu de stratégie à proprement parler, sinon la multiplication de constructions d’unités d’hébergement, et les plus en vue, ce sont les grandes enseignes qui prennent en gestion des unités qui appartiennent à d’autres investisseurs où la CDG a avancé les fonds pour la construction des murs ! », explique Amal Karioun, président de la Fédération nationale des agences de voyages.
Et de poursuivre : « Tout le monde parle de ces enseignes dans les villes qui vont accueillir les coupes, avec un accent particulier sur Rabat. Oui, il y a par ailleurs une pléthore d’autres unités moyen de gamme. Est-ce cela que cette administration appelle la feuille de route ? J’ai signalé à plusieurs reprises et en maintes occasions le risque du surtourisme, à commencer par Marrakech. À ce que je vois, la Primature a donné des instructions pour que le pays soit « en mesure d’accueillir, en termes de disponibilité litière, le flux des deux événements sans trop se pencher sur le reste ». Une remarque pour finir : si nous devons nous baser sur le revenu moyen actuel par touriste, nous assisterons très probablement à ce que nous avons déjà vécu il y a quelques années : une incapacité de rénovation de ces unités. Le surtourisme, non merci, il n’y a qu’à voir ce qui se passe aux Baléares ou à Barcelone ! Cependant, le sujet est trop grave pour ne mériter que quelques lignes. En fait, ce que je peux dire, c’est que nous sommes en situation d’opportunisme, et cette politique risque d’être une bulle que notre pays paierait très cher », alerte Karioun, président de la Fédération nationale des agences de voyages. Et d’ajouter : « Et pour répondre directement à la question : oui, l’État doit encadrer cette offre et sévir contre les personnes qui ne respectent pas la législation. Mais attention, il ne faut pas que nous tombions dans la situation inverse et que nous favorisions du surtourisme. »
Tickets d’entrée, une solution ?
À Venise, les autorités expérimentent un ticket d’entrée pour les touristes à la journée, tandis qu’à Florence, l’on tente de bloquer la mise sur le marché de nouveaux logements à louer pour courte durée. « À mon sens, il faut arrêter d’aller chercher les chiffres et de vouloir se comparer pour dépasser certaines destinations ! Nous devons réfléchir à définir notre tourisme : ses composantes, ses atouts, ses faiblesses, et comme disent les économistes et financiers, tracer notre matrice SWOT en toute objectivité, et définir ce que nous voulons en réalité, tant en ce qui concerne le tourisme international que national. Le prix des chambres d’hôtel, aux prix actuels, est loin des bourses des nationaux, et cette politique de ces hôtels en faveur des TO étrangers ou plateformes de réservation en ligne est une aberration. Pourquoi ne pas revenir à ce que nous avions auparavant (et qui fait la richesse du patrimoine de l’hébergement en Europe ou aux Amériques) : les campings. Ils n’y réfléchissent pas du tout. » En somme : « Le tourisme doit continuer à être une ressource, et ne pas devenir une malédiction pour ceux qui vivent dans les destinations les plus prisées », prévient l’expert.