Jamais le Maroc n’avait connu une telle vague de défaillances. Plus de 16 000 entreprises ont fermé leurs portes en 2024, un record qui ne cesse de s’alourdir en 2025. Derrière les chiffres, une réalité bien plus profonde : celle d’un tissu entrepreneurial fragile, composé majoritairement de TPME, qui ne parviennent pas à survivre aux secousses économiques ni aux contraintes structurelles qui les minent depuis des années. Détails.
En 2024, la scène économique marocaine a été marquée par un constat alarmant : plus de seize mille entreprises ont disparu, un chiffre inédit qui reflète la fragilité du tissu entrepreneurial. L’année 2025 ne semble pas rompre avec cette tendance, bien au contraire, puisque la vague des défaillances s’intensifie. Selon Allianz, les faillites devraient augmenter de 6 % à l’échelle mondiale en 2025 avant de ralentir à 3 % en 2026, mais au Maroc, cette prévision prend une résonance particulière tant la réalité locale accentue les effets de la conjoncture.
Pour Anouar El Basrhiri, Directeur général de TMS Consulting, cette situation n’est pas le fruit d’un événement unique mais la conséquence d’une accumulation de fragilités. Beaucoup de petites structures marocaines démarrent avec des fonds propres limités, des dirigeants peu accompagnés et une dépendance excessive à quelques clients seulement. Leur gestion de trésorerie est souvent tendue et ne laisse aucune marge pour affronter un ralentissement d’activité. «Ces entreprises ferment non pas parce qu’elles n’ont pas de marché, mais parce qu’elles manquent d’oxygène pour tenir entre deux factures», explique-t-il, pointant du doigt la culture persistante du retard de paiement qui fait peser sur elles une charge insupportable.
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Si la conjoncture mondiale, marquée par la hausse des coûts des matières premières, le resserrement du crédit et le ralentissement du commerce international, a indéniablement aggravé la situation, les problèmes structurels du Maroc amplifient considérablement la casse. « Au Maroc, ce sont surtout des problèmes structurels qui transforment la turbulence en naufrage », souligne El Basrhiri. Le tissu entrepreneurial, composé à plus de 90 % de TPME souvent sous-capitalisées et peu digitalisées, peine à accéder au financement. Et lorsque ces entreprises réussissent à décrocher un contrat, elles se heurtent au mur des délais de paiement interminables. « Le retard de paiement agit comme une double peine : même si une entreprise décroche un contrat, elle doit parfois attendre des mois pour encaisser, alors que ses charges tombent chaque jour », insiste-t-il.
La tendance mondiale ne fait donc qu’exacerber une vulnérabilité déjà présente. Le Maroc n’est pas seulement entraîné par une vague globale de faillites, il la subit avec une intensité accrue en raison de la fragilité de ses fondations économiques. « En Europe, une TPE a souvent accès à des lignes de crédit souples ou à des outils d’assurance-crédit qui amortissent le choc. Chez nous, la dépendance à la commande publique et la concentration sectorielle amplifient les risques », rappelle El Basrhiri. La vague mondiale se transforme ainsi, au Maroc, en un raz-de-marée aux effets disproportionnés.
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Face à cette crise, les réformes mises en place jusqu’à présent peinent à produire un véritable impact. Le programme Intelaka, la Charte de l’investissement ou encore la loi sur les délais de paiement représentent des avancées certaines, mais leur mise en œuvre demeure limitée. Pour El Basrhiri, le sentiment qui domine chez les dirigeants de petites entreprises est sans appel : « On parle beaucoup d’eux, mais peu de mesures changent leur vie quotidienne. Les TPE n’ont pas seulement besoin de crédits, elles ont besoin d’un accompagnement au quotidien. Trop souvent, les réformes restent au niveau macro ou sont conçues pour les grandes structures. »
Selon lui, il est impératif d’agir rapidement et concrètement pour éviter que l’hémorragie ne fragilise durablement l’économie nationale. La priorité absolue reste la trésorerie. Cela suppose une application stricte et transparente de la loi sur les délais de paiement, assortie de sanctions effectives, y compris dans le secteur public. Il est également crucial de renforcer les instruments de financement court terme, qu’il s’agisse d’escompte garanti par l’État, de facilités de trésorerie adossées à Tamwilcom ou encore d’une assurance-crédit domestique spécifiquement adaptée aux petites structures. La commande publique peut aussi jouer un rôle moteur en instaurant des paiements rapides, des avances systématiques et un allotissement des marchés qui ouvre réellement la porte aux TPME.
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Mais au-delà de la dimension financière, l’expert insiste sur l’importance d’un accompagnement opérationnel rapide, avec des « kits de survie » permettant aux entrepreneurs de prioriser, de relancer leurs encaissements et de retrouver un minimum de visibilité. « C’est ce mélange d’oxygène financier et de soutien pratique qui peut enrayer la spirale des fermetures», conclut Anouar El Basrhiri. Une conclusion qui sonne comme une alerte autant qu’un appel à l’action, alors que chaque faillite emporte non seulement une entreprise mais aussi des emplois, des familles et une part de vitalité économique dont le pays ne peut se passer.

Interview avec // Anouar El Basrhiri,Directeur général de TMS Consulting
«Au Maroc, ce sont surtout des problèmes structurels qui transforment la turbulence en naufrage »
Challenge : En 2024, plus de 16 000 entreprises ont mis la clé sous la porte au Maroc, un record. En 2025, la tendance s’aggrave encore. Comment en est-on arrivé là ?
Anouar El Basrhiri : La multiplication des défaillances d’entreprises n’est pas le fruit d’un seul événement, mais le résultat d’une accumulation de fragilités. Beaucoup de petites structures marocaines démarrent avec des fonds propres limités, des dirigeants mal accompagnés, une dépendance forte à quelques clients et une gestion de trésorerie tendue. Quand l’activité ralentit, elles n’ont pas le coussin financier pour résister. À cela s’ajoute une culture du retard de paiement bien ancrée, qui fait peser sur les TPME la charge de financer gratuitement leurs donneurs d’ordres. Autrement dit, ces entreprises ferment non pas parce qu’elles n’ont pas de marché, mais parce qu’elles manquent d’oxygène pour tenir entre deux factures.
Est-ce la conjoncture internationale qui plombe nos entreprises, ou bien des problèmes structurels locaux ?
Certes que la conjoncture mondiale a joué son rôle, hausse des coûts des matières premières, resserrement du crédit, ralentissement du commerce international… Mais au Maroc, ce sont surtout des problèmes structurels qui transforment la turbulence en naufrage. Notre tissu entrepreneurial est composé à plus de 90 % de TPME, souvent sous-capitalisées et peu digitalisées, qui ont du mal à accéder au financement. Le retard de paiement, encore, agit comme une “double peine” : même si une entreprise décroche un contrat, elle doit attendre parfois des mois pour encaisser, alors que ses charges courent chaque jour. Ce décalage structurel entre les délais de paiement et la capacité de financement explique pourquoi la casse est si importante.
Challenge : Les prévisions d’Allianz annoncent une hausse mondiale des faillites. Le Maroc n’est-il qu’un maillon de cette chaîne, ou y a-t-il des spécificités locales qui aggravent le phénomène ?
A.E.B. : Le Maroc n’échappe pas à la tendance mondiale de hausse des défaillances, mais il la vit plus durement parce que son tissu est plus fragile par rapport aux pays développés. En Europe par exemple, une TPE a souvent accès à des lignes de crédit souples ou à des outils d’assurance-crédit qui amortissent le choc. Chez nous, la dépendance à la commande publique et la concentration sectorielle, construction, commerce, services B2B… amplifient les risques. Ce n’est donc pas seulement une vague importée, c’est une vague mondiale qui, en touchant des fondations déjà fissurées, provoque ici des dégâts disproportionnés.
Challenge : Les programmes d’appui aux entreprises et les réformes annoncées sont-ils vraiment suffisants ?
A.E.B. : Les initiatives comme Intelaka, la Charte de l’investissement ou la loi sur les délais de paiement sont des avancées notables. Mais leur impact reste limité tant que l’application concrète n’est pas au rendez-vous. Les TPE n’ont pas seulement besoin de crédits, elles ont besoin d’un accompagnement au quotidien, suivi de trésorerie, conseil commercial, médiation avec les clients retardataires… Or, trop souvent, les réformes restent au niveau macro ou sont conçues pour les grandes structures. Le sentiment des dirigeants de petites entreprises est clair : on parle beaucoup d’eux, mais peu de mesures changent leur vie quotidienne.
Challenge : Quelles solutions concrètes pourraient, selon vous, redonner de l’air aux TPME et stopper cette vague de défaillances qui fragilise tout le tissu économique ?
A.E.B. : Je pense que la priorité absolue est de redonner de l’air à la trésorerie. Cela passe par une application stricte et transparente de la loi sur les délais de paiement, avec des sanctions effectives pour les retardataires, y compris dans le secteur public. Il faut également renforcer les instruments de financement court terme par exemple (escompte garanti par l’État, facilités de trésorerie adossées à Tamwilcom, et assurance-crédit domestique adaptée aux petites structures…) Parallèlement, la commande publique peut jouer un rôle moteur, paiement rapide, avances systématiques et allotissement des marchés pour inclure les TPME. Un autre point très important au-delà de l’argent, il faut miser sur un accompagnement opérationnel rapide, des “kits de survie” pour aider les entrepreneurs à prioriser, relancer leurs encaissements et retrouver de la visibilité. C’est ce mélange d’oxygène financier et de soutien pratique qui peut enrayer la spirale des fermetures.