Du 6 au 10 octobre, Barcelone devient l’épicentre européen de l’innovation foodtech et logistique avec la Tech Catalyst Week, un événement initié par Glovo, l’une des scale-ups les plus emblématiques du continent. Objectif : connecter les startups émergentes aux investisseurs internationaux tout en nourrissant une réflexion sur l’impact économique et social des technologies dans les villes.
À cette occasion, Sacha Michaud, cofondateur et CEO de Glovo, revient à travers cette interview sur la vision stratégique de cet événement, son regard sur le potentiel marocain et la manière dont Glovo entend contribuer à un écosystème tech inclusif et durable.
Challenge : Glovo organise cette semaine la Tech Catalyst Week à Barcelone. Quel est l’objectif stratégique global de cet événement, et que représente-t-il particulièrement pour le Maroc ?
Sacha Michaud : Glovo est aujourd’hui une entreprise mondiale, mais profondément ancrée dans les réalités locales. Nous opérons sur plusieurs continents, dans des milliers de villes, et chaque marché a ses spécificités économiques, culturelles et réglementaires. À travers la Tech Catalyst Week, nous souhaitons mettre à profit notre expérience internationale et agir pour accélérer la digitalisation des écosystèmes locaux et soutenir leur développement. C’est une façon pour nous de partager ce que nous avons appris, nos réussites comme nos erreurs, et d’en faire bénéficier les acteurs émergents.
Le Maroc, à ce titre, est un pays particulièrement prometteur : il combine un fort potentiel technologique et une nouvelle génération d’entrepreneurs ambitieux. On observe un phénomène très positif : de nombreux talents marocains formés à l’étranger reviennent pour créer leur entreprise. C’est le signe d’une maturité nouvelle et d’une confiance retrouvée dans l’écosystème local.
Challenge : Le secteur de la livraison fait régulièrement l’objet de discussions avec les autorités réglementaires, notamment au Maroc. Comment Glovo parvient-il à concilier innovation et cadre légal ?
S.M. : Ce type de situation est courant lorsqu’une entreprise croît très vite dans un cadre réglementaire encore en construction. Il est normal que la loi ne s’adapte pas immédiatement à de nouveaux modèles économiques. L’essentiel, c’est le dialogue.
Au Maroc, nous avons trouvé des interlocuteurs ouverts et une réelle volonté de construire ensemble. Nous avons partagé nos données, expliqué notre modèle, et pris des engagements concrets pour améliorer la protection et les conditions de travail des livreurs. Ce type de collaboration est essentiel : une entreprise internationale doit savoir s’adapter aux spécificités locales. C’est ce qui la rend plus forte et plus durable. Nous sommes d’ailleurs heureux d’annoncer que nous intensifierons nos investissements au Maroc dès l’année prochaine.
Challenge : Que souhaitez-vous que les startups marocaines retirent de leur participation à la Tech Catalyst Week ?
S.M. : Avant tout, de l’inspiration. Monter une entreprise est une aventure aussi exaltante que difficile, qui exige une grande dose de persévérance, de créativité et de résilience.
J’espère que les fondateurs marocains repartiront avec de nouvelles idées, des contacts utiles et, pourquoi pas, des mentors capables de les guider. Si nous pouvons les aider à affiner leur stratégie, à renforcer leur confiance ou à éviter certaines erreurs que nous avons commises, alors l’événement aura pleinement atteint son objectif.
Challenge : Le Maroc est fortement représenté cette année. Pourquoi ce choix, et comment percevez-vous le potentiel du pays dans la tech et la foodtech ?
En effet, les startups marocaines sont les plus nombreuses parmi les participantes cette année et ce n’est pas un hasard. Le Maroc est un marché stratégique pour Glovo, où nous enregistrons une croissance solide et durable. Mais au-delà de la performance économique, il existe une dimension géopolitique majeure: la relation privilégiée entre l’Espagne et le Maroc crée un cadre propice à l’investissement et à la coopération. Je suis convaincu que le Maroc a le potentiel pour devenir le hub technologique reliant l’Europe à l’Afrique. L’évolution que j’observe sur place est impressionnante : les infrastructures s’améliorent, l’écosystème entrepreneurial se renforce et l’esprit d’innovation est bien réel.
Challenge : Les startups marocaines présentes innovent dans la fintech, la logistique ou la traçabilité. Quelles opportunités concrètes y voyez-vous ?
S.M. : Ce que je trouve fascinant, c’est que beaucoup de ces startups s’attaquent à des problématiques profondément locales, que les grands groupes internationaux n’abordent pas, car elles semblent trop spécifiques.
C’est précisément là que réside leur force : en construisant des solutions locales adaptées, ces jeunes entreprises peuvent d’abord s’imposer sur leur marché, puis s’étendre à d’autres pays africains.
Et demain, lorsqu’un acteur mondial voudra s’implanter en Afrique, il trouvera face à lui des champions marocains solides, capables de collaborer et de rivaliser à un niveau régional. C’est exactement ce que nous voulons encourager avec la Tech Catalyst Week.
Challenge : Glovo est passée en quelques années d’une startup barcelonaise à un acteur mondial. Quels enseignements souhaitez-vous transmettre aux jeunes entrepreneurs marocains ?
S.M. : Notre parcours n’a pas été un long fleuve tranquille. Nous avons failli fermer trois ou quatre fois. Ce qui nous a sauvés, c’est la résilience, sans doute la qualité la plus essentielle pour un entrepreneur.
Les startups traversent forcément des crises, des doutes ou des obstacles financiers. L’important est de continuer à avancer, à s’adapter, à apprendre.
Et puis, il faut savoir faire des choix. Chaque entreprise connaît des moments charnières : faut-il pivoter ? Lever des fonds ? Changer de modèle ? Ce type d’événement est justement l’occasion d’échanger avec ceux qui ont déjà affronté ces décisions.
Challenge : Glovo se positionne désormais, comme un acteur majeur du “quick commerce”. Quelle place ce modèle peut-il occuper dans le développement du e-commerce marocain ?
S.M. : Nous avons commencé par la livraison de repas, mais nous avons très vite adopté une approche multi-catégorie : courses, pharmacie, retail, produits de proximité…
Le “quick commerce”, cette capacité à livrer n’importe quel produit en quelques minutes, sera selon moi le segment le plus dynamique du e-commerce mondial dans les prochaines années.
L’avantage de notre approche, c’est qu’elle soutient directement l’économie locale : nous ne construisons pas d’entrepôts, nous collaborons avec les commerçants de quartier et les aidons à se digitaliser pour atteindre de nouveaux clients.
Plutôt que de remplacer les commerces existants, nous cherchons à renforcer leur compétitivité et leur visibilité dans un environnement de plus en plus digital. C’est cela, notre mission : être un partenaire technologique des villes, au service de leur tissu économique.