Karim Zidane: «La Nouvelle Charte a multiplié par cinq les investissements privés annuels»

Deux ans après l’entrée en vigueur de la Nouvelle Charte de l’investissement, Karim Zidane, ministre Délégué chargé de l’Investissement, de la Convergence et de l’Évaluation des Politiques Publiques, dresse un bilan résolument optimiste. Hausse spectaculaire du nombre de projets approuvés, diversification sectorielle et territoriale, montée en puissance des investissements nationaux comme étrangers : selon lui, le Maroc a franchi un cap décisif. Mieux encore, la Charte amorce une révolution silencieuse, plaçant les territoires au cœur de la stratégie d’attractivité et les CRI en véritables catalyseurs régionaux. Pour Karim Zidane, l’État se positionne désormais comme stratège et partenaire, prêt à ajuster ses outils pour répondre aux attentes des investisseurs.
Challenge : Deux ans après l’entrée en vigueur de la Nouvelle Charte de l’investissement, quel bilan global tirez-vous de sa mise en œuvre ? Les résultats sont-ils à la hauteur des ambitions affichées ?
Karim Zidane : La Charte est désormais entrée en vigueur depuis plus de deux ans, et le bilan que nous en tirons est extrêmement satisfaisant. Elle a été un véritable tournant majeur de l’investissement privé, aussi bien national qu’étranger. Cette dynamique confirme que la Charte répond à une attente forte et qu’elle constitue un tournant dans notre politique d’attractivité économique.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : l’année 2024 a enregistré des niveaux d’investissement privé parmi les plus élevés de la décennie, et les tendances de 2025 laissent entrevoir une année remarquable. Mais au-delà des montants engagés, c’est surtout l’impact qualitatif de ces investissements qui est à souligner.
Le premier de ces impacts est l’emploi. Grâce à la mobilisation du secteur privé, nous avons atteint un niveau satisfaisant de création d’emplois en zone urbaine, confirmant que l’investissement privé est le moteur principal de l’emploi durable et formel.
Deuxième avancée majeure : l’équité territoriale. Nous assistons à une véritable diversification géographique des projets, avec des investissements dans l’hôtellerie, l’industrie ou les services implantés dans des provinces qui, parfois, n’avaient pas accueilli de projets y compris ceux structurants depuis plusieurs décennies (46 provinces sur 75 ont déjà bénéficié d’investissement). Cette déconcentration marque un changement positif dans les dynamiques d’investissement et reflète la volonté du gouvernement de faire de chaque territoire un pôle de développement.
En somme, la Nouvelle Charte de l’investissement n’est pas seulement un texte ambitieux : elle produit déjà des résultats concrets, au service d’une croissance inclusive et équilibrée.
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Challenge : Les 47 projets validés lors de la 8ème Commission Nationale des Investissements représentent 51 milliards de dirhams et près de 17.000 emplois. Peut-on considérer qu’il s’agit d’un véritable changement de rythme, ou d’une continuité par rapport aux politiques précédentes ?
K.Z : Depuis l’adoption de la nouvelle charte de l’investissement, nous constatons une dynamique positive de l’investissement étant donné que le nombre de projets examinés par la Commission Nationale des Investissements, leurs montants et leur impact en termes de création d’emplois a fortement augmenté.
Ainsi, si l’on compare la période avant la nouvelle charte de l’investissement à la période post charte, nous nous apercevons que le nombre moyen de projets approuvés par an a été multiplié par 2, le montant d’investissement annuel moyen a été multiplié par 5.
Par ailleurs, nous constatons une augmentation significative du nombre de provinces, de préfectures ainsi que de secteurs concernés par les projets d’investissement approuvés en CNI, traduisant une répartition plus équilibrée. Cela témoigne de la forte diversification géographique et sectorielle rendue possible par la nouvelle Charte de l’Investissement.
Challenge : L’une des grandes promesses de la Nouvelle Charte est la déconcentration de l’investissement. En quoi la création des Commissions Régionales Unifiées d’Investissement (CRUI) renforce-t-elle cette dynamique ? Avez-vous déjà observé des impacts concrets sur le terrain ?
K.Z : Concrètement, les Commissions Régionales Unifiées d’Investissement (CRUI), dont la création date de 2019, sont désormais compétentes pour instruire, délibérer et statuer sur les projets d’investissement dont le montant est inférieur à 250 millions de dirhams. Cette réforme couvre la grande majorité des projets traités par les CRI et marque un tournant décisif dans la déconcentration de l’acte d’investissement, en consacrant le niveau régional comme principal espace de décision.
Les effets sont d’ores et déjà tangibles sur le terrain. On observe une nette amélioration des délais de traitement. Les CRUI permettent aux régions d’accélérer la concrétisation des projets répondant ainsi aux attentes des investisseurs.
C’est un signal fort adressé à ces investisseurs : plus d’agilité, plus de proximité et de réactivité. L’écosystème régional, renforcé par la présence active des CRI, est désormais pleinement mobilisé pour accompagner les porteurs de projets, tout au long des étapes de concrétisation des projets.
Challenge : Les Centres Régionaux d’Investissement (CRI) ont été profondément réformés. Quels sont aujourd’hui leurs rôles dans l’attractivité territoriale et quels leviers reste-t-il à actionner pour qu’ils deviennent de véritables pôles de développement régional ?
K.Z : Les Centres Régionaux d’Investissement (CRI) jouent aujourd’hui un rôle structurant dans l’attractivité territoriale. Réformés pour devenir de véritables guichets uniques, ils ne se limitent plus à l’instruction administrative des projets, mais interviennent désormais à toutes les étapes de la chaîne de valeur de l’investissement.
Ils se positionnent comme référents régionaux en matière d’intelligence économique, en assurant la collecte, l’analyse et la valorisation de données économiques stratégiques. Cette maîtrise de l’information leur permet de mieux orienter les investisseurs, d’identifier les filières prioritaires et de contribuer aux exercices de planification sectorielle et territoriale.
Les CRI assurent également la promotion de l’offre territoriale d’investissement, en coordination avec l’AMDIE, et en appuyant les acteurs économiques locaux dans la concrétisation de leurs projets.
Enfin, à travers leur rôle dans l’animation du climat des affaires, ils participent activement à la simplification des démarches et à la levée des obstacles à l’investissement.
Pour pleinement déployer ce potentiel, la nouvelle vision consiste à renforcer les capacités des ressources humaines, accélérer la digitalisation des services, donner plus de visibilité sur le foncier et ancrer davantage leur action dans les stratégies régionales de développement.
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Challenge : Quels secteurs économiques bénéficient aujourd’hui le plus de la nouvelle dynamique d’investissement ? Est-ce que l’investissement privé national a progressé au même rythme que l’investissement étranger ?
K.Z : Comme expliqué précédemment, le nombre de secteurs des projets bénéficiant de la nouvelle charte de l’investissement a fortement augmenté. En effet, 34 secteurs et sous-secteurs sont concernés par ces projets.
Le secteur bénéficiant le plus de cette nouvelle dynamique est l’industrie avec 114 projets, soit 48% des projets approuvés. Au niveau du secteur industriel, les projets concernent notamment l’agroalimentaire avec 22 projets, l’automobile avec 18 projets, le textile avec 12 projets, les matériaux de construction avec 10 projets et la chimie avec 9 projets.
En deuxième lieu, le tourisme a également fortement bénéficié de cette dynamique instaurée par la nouvelle charte. En effet, 59 projets touristiques ont été approuvés, soit 25% du total des projets.
En troisième position, le secteur de l’énergie a également pu profiter de la nouvelle charte de l’investissement avec 9 projets approuvés, soit 4% du total des projets.
En ce qui concerne l’investissement national et étranger, il est à noter tout d’abord que 65% des projets privés sont portés par des entreprises marocaines. La charte de l’investissement bénéficie donc en premier lieu au secteur privé national.
Toutefois, il est à noter que la dynamique a profité aussi très fortement aux entreprises étrangères. En effet, nous assistons ces derniers mois à des chiffres records en matière d’Investissements directs étrangers et nous sommes bien partis pour atteindre l’une des meilleures années de l’histoire du Maroc en termes d’IDE.
Challenge : La Charte prévoit un système de soutien conditionné à des critères précis (emploi, durabilité, impact territorial). Comment ces critères sont-ils évalués et quelles en sont les premières retombées mesurables ?
K.Z : En effet, la Charte de l’investissement conditionne l’octroi des primes à sept critères d’impact (emploi stable, durabilité, genre, intégration locale, métiers d’avenir, territorialité, secteur prioritaire). L’objectif est de soutenir l’investissement productif créateur d’emploi stable, et à fort impact en matière de création de valeur et de développement territorial.
L’instruction des projets se fait en deux temps : un premier examen régional par la CRUI, puis une validation centrale des primes à octroyer par la CNI. Dans ce cadre, sur les projets approuvés durant les 7 premières CNI, 83 % ont bénéficié de la prime sectorielle, 80 % de la prime genre, 65 % de la prime emploi, 41 % de la prime durabilité, 41 % de la prime d’intégration locale, 36 % de la prime territoriale et 17 % de la prime “métier d’avenir”.
Il est important de préciser qu’avant le déboursement des primes, une double vérification du respect des engagements est effectuée : tout d’abord sur le terrain par un comité local de suivi, puis au niveau central sur la base d’une attestation du commissaire aux comptes et le rapport du comité local de suivi.
Challenge : Certains acteurs économiques pointent encore des freins : complexité administrative, lenteurs d’exécution, manque de clarté sur les incitations. Que leur répondez-vous ? Des ajustements sont-ils prévus ?
K.Z : La Nouvelle Charte de l’investissement a été conçue dès l’origine non pas comme un cadre rigide, mais comme une politique publique globale, évolutive et résolument adaptative. Elle repose sur une vision à long terme, mais également sur une capacité à s’ajuster en permanence aux réalités du terrain et aux retours des investisseurs.
C’est dans cet esprit que nous avons engagé un dialogue permanent avec les acteurs économiques, marocains comme étrangers. De nombreux points d’amélioration ont déjà été identifiés en concertation avec eux, et nous restons pleinement à l’écoute de nouvelles propositions. La Charte n’est pas figée : c’est un cadre vivant.
Parmi les chantiers prioritaires sur lesquels nous avançons rapidement :
– La simplification du parcours investisseur, avec pour objectif de réduire les délais et d’accroître la lisibilité des démarches administratives ;
– La digitalisation accélérée de l’ensemble des procédures, qui est un levier majeur pour améliorer l’efficacité, la transparence et la traçabilité ;
– Le renforcement du rôle des Centres régionaux d’investissement (CRI), qui jouent un rôle clé de proximité, d’orientation et d’appui aux porteurs de projets ;
– La clarification et la diffusion plus lisible du système d’incitations, pour que chaque investisseur, quelle que soit la taille de son projet ou sa localisation, ait une visibilité claire sur ce à quoi il peut prétendre.
Nous avons également lancé des évaluations régulières du dispositif, afin d’identifier les mesures d’amélioration concrètes, et de les implémenter avec agilité. Il ne s’agit pas seulement de répondre à des critiques ponctuelles, mais de bâtir un écosystème d’investissement fluide, réactif et centré sur l’utilisateur.
En somme, notre réponse est claire : nous ne nions pas les défis, mais nous les transformons en leviers d’amélioration continue. C’est cela, la logique d’un État stratège et partenaire.
Challenge : Quels sont vos axes prioritaires pour les mois à venir afin d’accélérer l’implémentation de la Charte et renforcer la confiance des investisseurs, qu’ils soient marocains ou étrangers ?
K.Z : Nos priorités pour les mois à venir s’articulent autour de la consolidation des acquis et de l’accélération de plusieurs leviers structurants de la Nouvelle Charte de l’investissement.
Premièrement, nous mettons en œuvre une déconcentration administrative stratégique, qui constitue un tournant majeur. Depuis le début de cette année, les projets d’investissement inférieurs à 250 millions de dirhams sont désormais traités au niveau régional, ce qui permet de réduire significativement les délais et de rapprocher la décision publique du terrain. Cette réforme permet une réactivité accrue au service des investisseurs.
Deuxièmement, nous poursuivons le travail d’amélioration continue des dispositifs déjà déployés depuis plus de deux ans. La Charte est un cadre évolutif, et nous veillons à ce que ses outils restent efficaces, lisibles et adaptés à la diversité des porteurs de projets. Cette approche itérative, fondée sur l’écoute et l’agilité, est l’un des socles de notre politique d’investissement.
Troisièmement, nous finalisons l’un des dispositifs les plus attendus : le mécanisme de soutien dédié aux investissements des TPME, qui forment le cœur battant de notre tissu économique. Il concernera les projets compris entre 1 et 50 millions de dirhams, portés exclusivement par des TPME marocaines. L’appui public pourra atteindre jusqu’à 30 % du montant de l’investissement, en fonction de plusieurs critères, au premier rang desquels le nombre d’emplois stables créés. Ce dispositif entrera en vigueur très prochainement, et il contribuera à élargir les bénéficiaires de la nouvelle charte de l’investissement à des entreprises agiles, ancrées dans les territoires, et fortement créatrices de valeur ajoutée locale.
Quatrièmement, l’amélioration du climat des affaires demeure au cœur de notre stratégie. Beaucoup de progrès ont été réalisés depuis 2022 : e-création d’entreprises, dématérialisation, réformes législatives et réglementaires… Mais d’autres avancées sont attendues dans les mois qui viennent, notamment pour fluidifier davantage le parcours investisseur et lever les irritants encore identifiés par les opérateurs.
Enfin, nous poursuivons la réforme de la gouvernance de l’investissement, troisième pilier de la nouvelle charte de l’investissement. L’objectif désormais est clair : faire des CRI les véritables référents régionaux de l’investissement, capables d’accompagner les investisseurs de bout en bout, avec efficacité, transparence et esprit de partenariat.
Notre action est guidée par une conviction forte : la confiance des investisseurs se construit dans la clarté, la stabilité et la réactivité. C’est cette trajectoire que nous poursuivons avec détermination.