Le Maroc vient d’ouvrir un nouveau chapitre de son histoire économique. Avec le décret de juillet 2025, la microfinance sort de sa sphère traditionnelle pour s’installer au cœur de la dynamique de croissance. Fini le rôle restreint de guichet social réservé aux plus fragiles : désormais, les institutions de microfinance (IMF) deviennent des acteurs à part entière du financement de l’économie locale. En leur donnant la capacité de collecter l’épargne, de déployer des services digitaux et d’accompagner des projets de plus grande envergure, le pays fait un pari clair : celui de miser sur l’énergie des petits entrepreneurs, artisans, commerçants et jeunes porteurs de projets pour stimuler la prospérité nationale. Explications.
Jusqu’ici, la microfinance au Maroc se limitait essentiellement à accorder de petits crédits aux populations exclues du système bancaire. Une mission essentielle, qui a permis à des milliers de familles de financer une activité génératrice de revenus ou de traverser des périodes difficiles. Mais cette approche avait ses limites : peu de perspectives de croissance, des financements souvent trop modestes pour passer à l’échelle, et une dépendance structurelle aux bailleurs et subventions.
Le décret de juillet 2025 marque donc une rupture. Les IMF pourront désormais collecter l’épargne de leurs clients, offrant à ces derniers un premier pas concret vers la bancarisation. Elles auront également les moyens d’accorder des financements plus larges, capables d’accompagner un commerçant qui souhaite agrandir sa boutique, un artisan qui veut moderniser son atelier ou une petite coopérative qui envisage de se structurer. Enfin, elles seront en mesure d’intégrer pleinement les outils digitaux pour fluidifier leurs services, du micro-crédit jusqu’au paiement mobile.
Lire aussi | Standard & Poor’s: le Maroc se hisse dans la catégorie Investment Grade (BBB-/A-3)
Pour Karim Zaitouni, PDG de Sispay, il ne faut pas voir dans ce tournant une dérive vers la logique bancaire : «L’extension des missions de la microfinance n’est pas une remise en cause de son ADN social. C’est au contraire le moyen de la renforcer. Plus les IMF seront solides, plus elles seront capables de toucher un public large et diversifié. Le véritable enjeu n’est pas d’opposer inclusion et performance, mais de conjuguer les deux ».
La principale crainte soulevée par cette réforme est de voir les IMF perdre leur vocation sociale au profit d’une course à la rentabilité. Mais pour les acteurs du secteur, cette évolution est naturelle et même nécessaire. L’équilibre viendra d’une offre adaptée, avec des produits pensés pour répondre à des besoins très divers : du micro-crédit simple et accessible pour les plus petites structures, mais aussi des solutions plus ambitieuses pour ceux qui veulent franchir un cap.
Cette capacité à proposer une gamme différenciée est la clé de la réussite. Car, l’inclusion n’a de sens que si elle s’accompagne d’un véritable effet de levier économique. Autrement dit, il ne s’agit plus seulement de permettre à un épicier de tenir son commerce à flot, mais de l’accompagner jusqu’à devenir un distributeur régional. Il ne s’agit plus seulement de donner à une couturière les moyens d’acheter une machine à coudre, mais de l’aider à bâtir une petite entreprise textile, capable d’embaucher et de croître.
Karim Zaitouni identifie trois conditions indispensables pour que cette réforme tienne ses promesses. La première est une régulation moderne, exigeante et crédible, qui protège les déposants et garantit la stabilité du système. Sans cadre de confiance, aucune dynamique durable n’est possible. La deuxième est la montée en compétences des IMF, tant sur le plan technique que sur celui de la gouvernance. Cela suppose une digitalisation profonde, une meilleure gestion des risques et une professionnalisation accrue. La troisième est l’éducation financière des bénéficiaires.
Lire aussi | Défaillances d’entreprises: les petites entreprises étouffent en silence
« Donner accès à des produits modernes doit aller de pair avec une meilleure compréhension de leur usage. C’est ainsi que chacun pourra en tirer le maximum de valeur », insiste Zaitouni. Car l’accès ne suffit pas : encore faut-il savoir utiliser ces services de manière éclairée.
Le digital, levier décisif
Si le décret ouvre la voie à une transformation profonde, c’est bien le digital qui en sera le moteur. Pour Zaitouni, il faut dépasser l’idée d’une simple informatisation interne : « Le futur de la microfinance repose sur des solutions accessibles et modernes : paiements digitaux, portefeuilles électroniques, applications mobiles, mais aussi des dispositifs de self-service qui offrent autonomie et simplicité aux bénéficiaires. »
Ces outils peuvent démocratiser la finance au quotidien. Le paiement digital permet de sécuriser et de fluidifier les transactions des petits commerçants. Les wallets électroniques offrent une alternative pratique au cash et facilitent l’épargne. Les applications mobiles mettent à portée de main des services financiers simples, rapides et accessibles. Quant aux bornes de self-service, elles permettent aux bénéficiaires de réaliser certaines opérations de façon autonome, sans attendre l’assistance d’un agent.
En rapprochant la finance des citoyens, le digital devient ainsi le catalyseur d’une inclusion massive. Mais il ouvre aussi une nouvelle ère de confiance : une relation plus directe, plus fluide, plus transparente entre institutions et clients.
Ce qui se joue dépasse largement la question de la microfinance. Le Maroc trace ici les contours d’un modèle où la prospérité repose sur l’énergie des petits projets. Demain, un épicier, une artisane, un jeune entrepreneur pourront accéder à des financements adaptés, utiliser des outils modernes et bâtir une trajectoire solide. L’enjeu n’est plus seulement de donner accès au crédit, mais d’accompagner la transformation de ces initiatives locales en véritables relais de croissance.
Lire aussi | Abdellah El Fergui: «Les petites entreprises réclament leur place à la table des décisions»
Pour Zaitouni, il s’agit d’une opportunité historique : «Ces conditions ne sont pas des contraintes. Elles représentent une formidable opportunité de hisser la microfinance marocaine à un niveau d’excellence reconnu à l’international. Le décret de juillet 2025 trace une nouvelle voie : à nous de la transformer en un modèle de réussite et d’inclusion durable ».
En réinventant la microfinance, le Maroc ne modernise pas seulement son cadre légal. Il propose un projet de société. Ce projet repose sur une conviction forte : la croissance de demain viendra autant des grands groupes que de milliers de petites structures locales. En élargissant le rôle des IMF, le pays donne à chaque citoyen la possibilité de participer pleinement à l’économie, de transformer ses rêves en projets, et ses projets en réussites.
Ce pari sur l’avenir pourrait bien dépasser les frontières. Dans un continent où l’exclusion bancaire reste massive, le modèle marocain pourrait devenir une référence, un laboratoire de modernité alliant proximité sociale et innovation économique.
La réforme de 2025 n’est donc pas un simple ajustement réglementaire. Elle incarne une vision stratégique : celle d’un Maroc confiant, ambitieux, et décidé à faire de l’inclusion financière le socle d’une prospérité partagée et durable.

3 questions // Karim Zaitouni,PDG de Sispay
«Ce décret donne aux IMF les moyens d’être des acteurs à part entière de la croissance économique locale»
Challenge : Le décret de juillet 2025 marque un tournant majeur pour la microfinance au Maroc. En quoi ces nouvelles dispositions vont-elles transformer concrètement le rôle et les capacités des institutions de microfinance ?
Karim Zaitouni : Jusqu’ici, les institutions de microfinance accompagnaient des milliers de Marocains dans la création d’activités modestes. Leur rôle était précieux, mais restait limité par un cadre juridique étroit. Avec le décret de juillet 2025, elles changent de dimension.
Elles ne sont plus seulement un tremplin pour démarrer: elles deviennent de véritables partenaires financiers de proximité, capables d’accompagner leurs clients tout au long de leur parcours entrepreneurial. Pouvoir collecter l’épargne, accorder des financements plus importants et diversifier leurs services leur permet de renforcer leur solidité et de mieux répondre aux ambitions de leurs bénéficiaires.
Concrètement, un commerçant qui souhaitait jusque-là simplement maintenir son activité pourra désormais envisager de l’agrandir, d’embaucher, ou même de se digitaliser. Ce décret donne aux IMF les moyens d’être des acteurs à part entière de la croissance économique locale.
Challenge : L’autorisation de la collecte de dépôts est présentée comme une avancée historique. Quels avantages mais aussi quels risques cela représente-t-il pour la stabilité du secteur et la confiance des bénéficiaires ?
C’est une avancée majeure. Pour beaucoup de familles et de petits entrepreneurs, il sera désormais possible de déposer leur épargne dans des institutions qu’ils connaissent, et avec lesquelles ils ont déjà bâti une relation de confiance. Cela représente un pas décisif vers une plus grande inclusion financière.
Les avantages sont évidents : une meilleure sécurisation de l’épargne, des ressources supplémentaires pour financer davantage de projets, et une dynamique plus saine pour tout l’écosystème. Bien sûr, cette évolution appelle aussi à une vigilance renforcée. La gestion de l’épargne est une responsabilité considérable et impose aux IMF de se hisser à des standards encore plus élevés en matière de gouvernance et de transparence. Mais c’est précisément cet effort de montée en gamme qui va consolider la confiance des bénéficiaires et renforcer la stabilité du secteur.
Challenge : Avec l’ouverture de financements plus importants, la microfinance peut désormais mieux accompagner les TPE. Pensez-vous que cela va changer la structure même de l’économie informelle et de la petite entreprise marocaine ?
C’est probablement l’un des changements les plus structurants. En levant les plafonds de financement, les IMF ne se contentent plus d’aider à «survivre», elles permettent désormais de «grandir».
Un épicier pourra ouvrir un second point de vente, un artisan investir dans des machines plus performantes, une petite société de services recruter du personnel qualifié. Ces évolutions, multipliées à l’échelle nationale, peuvent transformer le tissu économique et amener de nombreuses structures informelles vers une formalisation progressive.
En soutenant les TPE dans leurs projets de croissance, la microfinance devient un outil puissant de transformation économique : elle renforce la compétitivité, stimule l’emploi et contribue à élargir la base fiscale du pays.