Très active en Afrique, la Banque mondiale prévoit de centraliser dès 2026 certaines opérations entre ses branches du secteur public, IDA et BIRD, et celle dédiée au secteur privé, IFC. Décryptage.
Le vaste chantier de réforme du groupe Banque mondiale, lancé par Ajay Banga depuis son arrivée à la présidence en mai 2023, entre enfin dans sa phase concrète. Ce processus d’intégration, qui concerne la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), l’Association internationale de développement (IDA) et la Société financière internationale (IFC), vise à rendre l’institution plus cohérente et plus efficace.
C’est dans un courriel interne consulté par le confrère Jeune Afrique que le président du groupe annonce une refonte majeure de l’organisation. Certaines divisions du secteur public et du secteur privé seront fusionnées pour créer des pôles d’opérations centralisés. L’Agence multilatérale de garantie des investissements (MIGA) ne serait toutefois pas concernée par cette réorganisation.
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Ce nouveau dispositif, selon le courrier qui entrera en vigueur le 1er janvier 2026, ambitionne de briser les cloisonnements internes et d’encourager la collaboration entre départements. “En supprimant les silos, nous libérerons des ressources, renforcerons les partenariats internes et offrirons de meilleurs résultats à nos clients”, écrit Ajay Banga à ses équipes. Les pays africains, grands bénéficiaires des programmes et financements de la Banque mondiale, sont directement concernés par cette transformation.
Pour la petite histoire, c’est dès son arrivée, que l’ancien PDG de Mastercard avait amorcé un virage stratégique autour de la connaissance, structurée en cinq grands pôles : les personnes, la prospérité, la planète, les infrastructures et le digital. Ces piliers seront désormais animés par des experts issus de toutes les branches du groupe, publiques comme privées. Les équipes de recherche et de savoir de la BIRD et de l’IDA seront ainsi intégrées à la filiale dédiée au secteur privé, l’IFC, dirigée par Makhtar Diop. Un directeur général de la connaissance – actuellement en cours de recrutement – pilotera cette nouvelle architecture.
L’ enjeu de la performance
Autre innovation majeure : la création, au sein de chaque pôle, d’équipes “solutions et impact”. Leur mission sera d’identifier les projets réussis dans un pays pour les répliquer ailleurs, sans lourdeurs administratives. “Si un modèle fonctionne au Kenya ou au Pérou, il doit pouvoir être adapté et déployé ailleurs sans délai”, insiste Banga. Une manière, selon lui, de passer d’une logique de production à une logique d’impact mesurable — symbole d’une Banque mondiale en pleine mutation.
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En plus de ce nouveau département “connaissance”, la direction financière, les structures de ressources humaines et informatiques, ainsi que celles du budget, de l’immobilier et de la communication sont en train d’être réunies sous une direction unique. “Nous avons également rendu opérationnelle la nouvelle unité environnement et social et nous sommes en train de regrouper nos fonctions juridiques”, écrit Ajay Banga.
En revanche, les équipes opérationnelles resteront au sein de chacune des filiales du groupe – BIRD, IDA, IFC et MIGA – qui ne semblent pas appelées à disparaître, précise la note. Cette réorganisation, dont l’impact sur le continent demeure à déterminer, intervient alors que de plus en plus de voix questionnent, ces dernières années, l’efficacité de la Banque mondiale comme des institutions de développement, les conduisant à se réformer et à revoir leur mode de fonctionnement.
Administrateur Indépendant…zéro signal
“Nous pensons que si votre banque était cotée en bourse, elle aurait été radiée. Parce que votre gouvernance n’est pas bonne. Vous n’avez aucun administrateur indépendant. Les principaux actionnaires accaparent tout. Deuxièmement, nous n’avons jamais entendu parler d’un conseil d’administration d’une quelconque entreprise, d’une quelconque banque, où les membres vivent sur place. Ils [les fonctionnaires de la Banque mondiale, Ndlr] vivent dans les locaux avec leur personnel. Qu’est-ce que c’est que ça ?”, s’offusquait Mo Ibrahim, sur un ton très critique il y’a de cela presque une année dans une conférence internationale.
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“Ensuite, j’ai entendu dire qu’ils tiennent deux réunions par semaine. Comment avoir un tel conseil d’administration ? J’ai dirigé une entreprise auparavant. Quand j’ai une réunion du conseil, c’est un cauchemar. Mon personnel doit préparer les rapports. Nous ne travaillons pas, nous nous préparons pour le conseil. Ces gars-là ont deux réunions du conseil par semaine. Quand allez-vous trouver le temps pour faire votre travail, messieurs ? Le coût de fonctionnement du conseil d’administration à la banque dépasse 100 millions de dollars par an. Votre mission est de réduire la pauvreté. 100 millions de dollars par an permettraient de scolariser un million d’enfants en Afrique chaque année. Ça, c’est du développement. Et puis, ces gens-là viennent en Afrique et nous font la leçon sur la gouvernance. Excusez-moi. La gouvernance commence chez soi. Veuillez transmettre ce message à votre conseil d’administration : la gouvernance commence chez soi”, a-t-il conclu.
Et au-delà du speech sensationnel du fondateur de l’indice sur la gouvernance en Afrique, Challenge a essayé de comprendre pourquoi une telle structure comme la Banque mondiale ne dispose pas d’Administrateur indépendant. Selon un expert qui a voulu garder l’anonymat, “il faut aller chercher les réponses dans le statut juridique de la Banque Mondiale”, du fait que la BM “a un régime particulier qui fait qu’elle ne peut fonctionner comme une banque commerciale”. Et d’ajouter: “La Banque mondiale est une banque des États, juridiquement, il serait compliqué de donner quitus à un personne physique pour contrôler une telle structure, qui a la dimension d’un état en vérité”.
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De son côté l’économiste Mehdi Lahlou a, quant à lui, une tout autre lecture. “En vérité une structure comme la Banque Mondiale échappe au contrôle. On dit Banque Mondiale, mais le fait est que ce sont les pays comme les USA qui disposent d’une cote part assez importante et ces pays pèsent plus par rapport aux autres pays sur la Banque”, nuance Mehdi.
“Si on avait un administrateur indépendant son rôle serait en effet par exemple d’interroger sur le fait comment des millions sont dépensé au travers de politique publique en Afrique pour lutter contre la pauvreté et que jusqu’à ce jour on a toujours à faire à la pauvreté en Afrique”, a-t-il fait remarquer.