En un peu plus de vingt ans, le Maroc a su se hisser dans le cercle restreint des nations aéronautiques qui comptent. Portée par la vision royale et l’engagement constant des industriels, la filière est passée du statut de plateforme “low cost” à celui de hub technologique “best value”. Dans cet entretien, Adil Jalali, président du GIMAS et de l’IMA, décrypte les ressorts de cette ascension, la stratégie de montée en gamme du secteur, et les défis à venir d’une industrie en quête de souveraineté et d’innovation.
Challenge : La présence de S.M. le Roi Mohammed VI lors du lancement du nouveau site industriel de Safran à Nouaceur symbolise une implication forte du Souverain dans le développement du secteur aéronautique. Quel impact cette implication a-t-elle eu sur l’installation durable d’acteurs stratégiques comme Safran au Maroc ?
Adil Jalali : L’implication royale joue un rôle central dans l’ancrage durable d’acteurs internationaux tels que Safran au Maroc. À travers le lancement du complexe industriel de moteurs d’avions du groupe à Nouaceur, Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu l’assiste, confirme la place stratégique du secteur aéronautique dans la politique industrielle nationale. Cette inauguration s’inscrit dans une vision royale de long terme, axée sur la durabilité, l’innovation et la compétitivité. Elle offre aux investisseurs un environnement propice, soutenu par des infrastructures modernes, des compétences hautement qualifiées et une politique publique cohérente. Grâce à cette dynamique, le Maroc consolide sa position de partenaire industriel de confiance.
Challenge : En l’espace de vingt-trois ans, le Maroc est passé du statut de plateforme low cost à celui de base « best value » dans l’aéronautique. Quelles ont été, selon vous, les étapes décisives de cette montée en gamme ?
A.J : En vingt ans, le Maroc a opéré un repositionnement stratégique majeur. Notre pays est devenu une plateforme « best value », où la compétitivité repose sur un modèle équilibré : coûts maîtrisés, qualité industrielle de haut niveau, délais courts et maîtrise technologique. Cette montée en maturité se traduit par une transition de la fabrication de pièces simples à la production de sous-ensembles critiques, de pièces moteur, à l’ingénierie de production et à la maintenance. En parallèle, le Royaume a investi massivement dans la formation spécialisée grâce à l’IMA, l’ISMALA et nos écoles d’ingénieurs, permettant de constituer un capital humain immédiatement opérationnel sur des activités complexes. Le Maroc ne cherche pas à produire moins cher, mais à produire mieux, dans les délais, avec plus de maîtrise technique et dans le respect des normes et du niveau de qualité requis. C’est cette différenciation qui nous positionne désormais au cœur de la compétitivité mondiale.
Voilà ce qui fait notre force : une industrie qui a su gravir les échelons pour atteindre les segments les plus complexes – moteurs, composites, avionique, ingénierie – tout en restant extrêmement compétitive.
Challenge : La confiance accordée par des géants mondiaux comme Airbus, Boeing ou plus récemment Safran, avec un nouveau site, traduit un changement de perception du Maroc. À quoi attribuez-vous cette attractivité grandissante ?
A.J : Le Maroc offre une stabilité politique et une politique industrielle volontariste, un environnement compétitif, une proximité immédiate avec l’Europe, et surtout une jeunesse formée aux meilleurs standards mondiaux.
En répondant précisément à ces exigences, le Royaume n’a plus rien à prouver sur sa capacité à absorber, en un temps record, des activités stratégiques grâce à des chaînes de valeur maîtrisées et à une gouvernance industrielle coordonnée.
Notre attractivité repose sur des facteurs tangibles : un cadre d’investissement clair, des infrastructures spécialisées, une chaîne logistique internationale connectée aux principaux hubs mondiaux, et une capacité à absorber des transferts d’activités complexes. La proximité avec l’Europe réduit les délais de livraison, et la disponibilité d’un capital humain qualifié permet de répondre immédiatement aux besoins techniques des programmes aéronautiques mondiaux.
C’est cette équation globale – compétitivité, fiabilité et excellence opérationnelle – qui explique l’accélération des implantations et la structuration d’un hub aéronautique de rang mondial au Maroc.
Challenge : L’intégration locale a connu une progression spectaculaire, doublant en quelques années. Quels sont les leviers aujourd’hui activés pour atteindre et dépasser l’objectif de 42 % d’intégration ?
A.J : Le Maroc a enclenché une logique de souveraineté industrielle : produire localement, en ciblant les composants stratégiques et en élargissant la base industrielle vers les segments critiques de la chaîne de valeur.
Avec la politique volontariste « Made in Morocco », visant l’émergence de champions nationaux capables de produire des sous-ensembles critiques, nous construisons une base industrielle mature. Le prochain palier sera atteint grâce à la R&D, à l’innovation et à l’ingénierie locale. La trajectoire est engagée, et c’est déjà en marche.
Simultanément, des incitations ciblées encouragent les donneurs d’ordre internationaux à sourcer localement. Nous passons d’un modèle d’exécution à un modèle de contribution technologique.
Challenge : Les opérateurs internationaux parlent de la qualité des ressources humaines marocaines. En quoi l’écosystème de formation (IMA, OFPPT, ISMALA, universités…) constitue-t-il un avantage compétitif décisif dans cette industrie de pointe ?
A.J : Le Maroc possède un écosystème de formation aéronautique performant. Pourquoi ? Parce qu’il a été construit avec les industriels, pour les industriels. À l’IMA, à l’ISMALA, dans nos écoles d’ingénieurs, les programmes sont élaborés, voire calibrés, de telle sorte à répondre aux besoins des industriels.
À l’IMA, les cursus sont définis avec les industriels, garantissant des compétences immédiatement opérationnelles sur les lignes de production. L’ISMALA assure la formation en maintenance aéronautique, renforçant la chaîne MRO.
Les écoles d’ingénieurs et universités marocaines produisent des compétences capables d’assurer l’industrialisation, la conception et la montée en cadence d’activités complexes.
Cette agilité et cette ingénierie éducative, adossées aux besoins réels du marché, constituent l’un des principaux leviers de compétitivité du Maroc et un facteur déterminant dans la décision d’implantation des investisseurs. Ici, ils trouvent le talent, la compétence et la fiabilité.
Challenge : Le Maroc forme aujourd’hui des ingénieurs et techniciens très recherchés à l’international, au point que certains grands groupes les recrutent à l’étranger. Cette fuite des talents devient-elle un frein pour le développement local de la filière aéronautique ? Et comment y remédier ?
A.J : La mobilité internationale de nos talents est réelle et ne concerne pas que le Maroc, mais elle est le signe d’une chose : la compétence marocaine est convoitée. L’enjeu n’est pas seulement de retenir à tout prix, mais d’investir dans la montée en capacité et en compétence. La réponse est de former davantage, de créer des perspectives de carrière et surtout de développer des projets technologiques à forte valeur avec des trajectoires de carrière ascendantes.
Challenge : Quid des niveaux de commandes pour la filière aéronautique marocaine ?
A.J : Les commandes mondiales d’avions atteignent des niveaux records, et les avionneurs doivent augmenter leurs cadences de production sur les dix prochaines années. La cadence mondiale s’accélère et les avionneurs se tournent vers les plateformes qui offrent à la fois compétitivité, qualité et stabilité. Le Maroc coche toutes ces cases et s’impose comme un maillon indispensable de la supply chain mondiale, capable de soutenir les cadences et d’assurer la continuité industrielle des grands donneurs d’ordre.
Cette dynamique n’est pas conjoncturelle, elle est structurelle.
C’est pourquoi nous observons une croissance annuelle à deux chiffres et une demande soutenue. Cela se traduit par des carnets de commandes pluriannuels, ce qui n’est pas seulement un indicateur de performance, mais un marqueur de confiance.
Challenge : Au sein du GIMAS, on parle d’une « phase 2 » du développement du secteur. Quels sont les axes prioritaires de cette nouvelle ère, notamment en matière de diversification des métiers et d’industries connexes ?
A.J : Nous entrons dans une deuxième phase claire : le Maroc va accélérer sur l’ingénierie, la R&D, la maintenance avancée, l’avionique, le spatial et la défense. Nous allons créer de la propriété intellectuelle, développer des solutions et de la technologie exportable, intégrer l’intelligence artificielle dans nos procédés industriels. C’est une phase de souveraineté assumée : le Maroc ne sera pas seulement un hub de production, mais un centre de conception euro-africain de référence. Et nous avons, dès aujourd’hui, les fondations humaines, industrielles et stratégiques pour y parvenir.
La nouvelle phase de développement de la filière marocaine repose sur l’extension de nos compétences vers les segments de pilotage technologique : maintenance avancée, ingénierie de systèmes, avionique, spatial et défense. L’objectif : construire une base industrielle qui conçoit, certifie et soutient des programmes complets.
Cette étape mobilise des compétences en test, en simulation, en maintenance prédictive et en gestion de cycles de vie industriels. C’est un mouvement naturel pour une filière arrivée à maturité productive. Le Maroc est prêt pour ce basculement, car il a consolidé en amont sa supply chain, son capital humain et ses infrastructures.
 
			         
														 
								 
								 
								 
								 
								