Aide au développement : la fin d’un modèle ?

À Séville, l’élite mondiale mène la réflexion sur l’avenir des Aides publiques au développement. Dans le nouveau monde qui se dessine, les priorités des pays du Nord semblent ailleurs. Décryptage.
« Le Lesotho, je ne connais pas », une formule du président américain devant le Congrès américain pour justifier sa nouvelle politique, sonnant la fin de plusieurs décennies d’aide au développement. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le monde a été scindé en deux blocs qui soutiennent la politique des APD (aide publique au développement), notamment les nations du Nord qui apportent l’aide, et celles du Sud qui la reçoivent. Fondé sur les idéaux de partage de la croissance et de solidarité dans un monde globalisé, l’instrument de l’aide a été un véritable levier de soft power à la disposition des pays du Nord. En 2021, selon les données de l’OCDE, l’instrument financier APD avait atteint un nouveau niveau historique de 179 milliards $. Cependant, cumulant plusieurs années d’irrégularités, la grande politique économique de l’aide traverse des périodes de « fatigue de l’aide ». À Séville, l’alarme a été tirée. Le constat du rapport 2025 sur le développement durable, coordonné par Jeffrey Sachs et dévoilé quelques jours avant la rencontre, est clair : « Aucun des 17 objectifs [de développement durable, ODD] n’est en voie d’être atteint d’ici à 2030. »
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Les USA, le champion de l’aide internationale, du Plan Marshall à ses grandes agences sur le terrain, ont décidé de mettre en pause ces milliards de dollars destinés à l’influence américaine. Ils étaient aux abonnés absents lors de cette conférence internationale. En attendant, la classe des intellectuels défend mordicus le projet de l’aide. Dans une tribune dans le journal Le Monde, le prix Nobel de l’économie Esther Duflo appelle à une préservation des acquis de l’aide. « L’aide au développement émanant des pays riches a également joué un rôle important, pour renforcer les biens publics mondiaux, surmonter les crises, tester et évaluer rigoureusement les approches innovantes. L’aide au développement n’est pas un gaspillage d’argent public. »
L’APD est-elle devenue aujourd’hui une histoire ancienne ?
À écouter les discours du président américain, l’on peut tout de suite comprendre qu’au plan national, ces dernières années, il y a une forte montée d’une opinion nationaliste anti-aide, autocentrée. La politique de l’America First a eu raison de plus d’un demi-siècle de soutien international. Par ailleurs, au-delà des effets de la politique Trump, on est en droit de se demander si la politique des APD n’est pas victime de son efficacité ? Dans un monde de plus en plus concurrentiel, et surtout enclin à des défis socio-économiques de toutes sortes, le chapitre du partage de la croissance semble être une idée désuète. Les APD, pour les États-Unis aujourd’hui, ne représentent plus une priorité dans leur diplomatie. C’est par la voie de son Secrétaire d’État, Marc Rubio, que Trump avait clos le débat. Il faut d’ailleurs rappeler que dans un texte futuriste, publié en 2009, Jean-Michel Severino et Olivier Ray faisaient le constat que l’APD s’était instituée en « politique publique mondiale », tout en s’interrogeant sur sa fin prochaine. « L’aide publique au développement (APD) a été construite dans les années 1960 comme un instrument temporaire pour répondre à une phase de l’histoire du monde mêlant décolonisation, guerre froide, industrialisation et inégalités flagrantes entre le « Nord » et le « Sud » », expliquaient les auteurs.
L’Afrique sur la sellette
Aujourd’hui, en Afrique, la fermeture du rideau de l’aide a fait couler beaucoup d’encre. Après plus de 60 ans d’assistanat, quel bilan pouvons-nous dresser de l’aide au développement ?
Infrastructure, énergie, santé, éducation… l’aide au développement a été une véritable caisse publique en Afrique. La seule dépendance de certains pays à ces aides est un argument-bilan sur ces décennies de soutien au développement.
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Contacté par Challenge, l’économiste Ahmed Azirar aborde dans le même sens : « Le logiciel afro-africain doit changer sur deux plans : proposer des projets bancables à des échelles régionales voire continentales, en assurant des conditions de leur gouvernance, et surtout, mobiliser dans le cadre de fonds souverains continentaux les finances nécessaires. L’énorme potentiel en ressources naturelles et stratégiques doit « backer » ces fonds. Là aussi, un cadre de gouvernance continental est à assurer.
Un cas particulier : IMIS a proposé dans ce sens la création, autour de Tanger Med, d’un marché sous forme de plate-forme numérique des matières premières africaines (cf. www.imis.ma). Avantages : groupage. Pouvoir fort de négociation. Finances suffisantes drainées qui soustraient l’Afrique à la dépendance de la dette extérieure et des marchés spéculatifs. »
Développement ou influence ? La question reste en tout cas posée aux intellectuels africains à l’heure où le paysage de l’aide au développement se recompose.