De 7 millions de dollars levés en 2019 à plus de 82 millions en 2024, les startups marocaines connaissent une dynamique sans précédent. Portée par l’émergence de nouveaux fonds et par l’attractivité croissante du marché, cette montée en puissance révèle toutefois des défis majeurs à surmonter pour hisser le Maroc parmi les écosystèmes leaders du continent.
En l’espace de cinq ans, le paysage marocain des startups a profondément changé. À l’origine de cette accélération : la structuration de fonds d’investissement en capital-risque, issus notamment du programme « Innov Invest » lancé par Tamwilcom en 2018.
«La disponibilité de ces fonds a encouragé davantage d’entrepreneurs à se lancer et a permis d’attirer des investisseurs étrangers », souligne Omar El Hyani, Directeur d’investissement à MNF Ventures. Ce cercle vertueux a ouvert la voie à des levées de fonds record, passant de 7 millions de dollars en 2019 à plus de 82 millions en 2024.
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La capitale économique joue un rôle central dans ce développement. Avec son réseau de Technoparks, ses incubateurs et sa proximité avec les grandes institutions financières, Casablanca concentre l’essentiel des initiatives. Son rayonnement international agit comme un catalyseur pour l’ensemble du pays, en renforçant la visibilité des jeunes pousses marocaines auprès des investisseurs régionaux et mondiaux.
Des avancées, mais aussi des carences structurelles
Si les financements en amorçage (seed) sont aujourd’hui mieux couverts qu’il y a cinq ans grâce aux fonds de capital-risque et aux dispositifs de prêts d’honneur, les startups en quête de tickets plus importants – au-delà de 20 millions de dirhams – doivent presque systématiquement se tourner vers des investisseurs étrangers.
Le cadre réglementaire reste également en retrait par rapport aux standards internationaux. «Le Maroc ne dispose pas encore d’outils comme le SAFE Agreement ou de mécanismes de stock-options, pourtant essentiels pour attirer et fidéliser les talents », regrette Omar El Hyani.
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À cela, s’ajoute un marché domestique relativement restreint et peu intégré régionalement, comparé aux géants africains que sont l’Égypte, le Nigéria, l’Afrique du Sud ou le Kenya, qui bénéficient soit d’une démographie massive, soit d’une forte intégration régionale.
Consolider la place du Maroc sur la carte mondiale
Pour franchir un nouveau cap, le Maroc devra lever plusieurs verrous. D’abord, en ouvrant davantage de secteurs stratégiques encore fortement régulés – comme la finance, l’assurance ou le transport urbain – qui concentrent l’essentiel des investissements en Afrique. Ensuite, en améliorant son environnement réglementaire et judiciaire afin de renforcer la confiance des investisseurs.
«Le pays doit encore progresser sur le doing business et bâtir un véritable État de droit pour protéger au mieux les intérêts des entrepreneurs et des investisseurs», insiste El Hyani.
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Le Maroc a franchi une étape décisive : ses startups attirent désormais les regards et les capitaux. Mais pour transformer cette effervescence en puissance durable, le pays devra relever un double défi : renforcer son cadre réglementaire et élargir son marché au-delà de ses frontières. À ce prix seulement, il pourra consolider sa place dans les classements mondiaux et devenir un pôle incontournable de l’innovation africaine.

3 questions // Omar El Hyani,Directeur d’investissement à MNF Ventures
Challenge : Qu’est-ce qui explique la montée en puissance de l’écosystème marocain des startups et la multiplication des levées de fonds ces dernières années ?
Omar El Hyani : L’écosystème des startups a connu une évolution soutenue ces 5 dernières années. Celles-ci ont levé plus de 82 millions de dollars en 2024, contre 7 millions seulement en 2019. Ceci est dû à la structuration de nouveaux fonds d’investissement en capital-risque, issus notamment du programme « Innov Invest » porté par Tamwilcom depuis 2018. La disponibilité des fonds, fait que plus de fondateurs se lancent dans l’aventure entrepreneuriale. Cette dynamique a aussi attiré de nombreux fonds étrangers, intéressés par les nouvelles opportunités qu’offre le marché marocain.
Challenge : Quels sont les principaux défis structurels qui freinent encore l’essor des startups marocaines ?
Omar El Hyani : Avec la multiplication des fonds de capital-risque et des mécanismes de subventions et de prêts d’honneur, les besoins de financement en phase seed sont aujourd’hui mieux couverts qu’il y a 5 ans. Cependant, pour des besoins de financement plus importants (au-delà de 20 millions de DH), il faut le plus souvent recourir à des fonds d’investissement étrangers.
Concernant les aspects juridiques, le Maroc ne dispose toujours pas d’outils juridiques comme le Safe Agreement for Future Equity (SAFE) très courant dans d’autres pays, qui reporte le sujet de valorisation au moment de l’investissement à des rounds ultérieurs, ou de dispositif de stock-options, essentiels pour retenir les talents dans les startups.
Le marché marocain reste relativement modeste pour des startups qui veulent se développer rapidement, et manque d’intégration régionale, surtout si on le compare aux Big Four africains : l’Egypte et le Nigéria ont des populations qui dépassent les 100 millions d’habitants, et l’Afrique du Sud et le Kenya sont très bien intégrés régionalement.
Challenge : Comment le Maroc peut-il consolider sa place dans les classements mondiaux et attirer davantage d’investisseurs étrangers tout en soutenant l’innovation locale ?
Omar El Hyani : Au Maroc, de nombreux secteurs restent très réglementés et surprotégés. Je pense par exemple au secteur financier, aux assurances et celui du transport urbain. Or, ce sont les startups opérant dans ces secteurs qui attirent le plus les investissements en Afrique. Les Fintech sont de loin, celles qui ont le plus levé de fonds ces 5 dernières années.
Nous avons également encore beaucoup de chemin à faire sur le plan du doing business pour améliorer l’attractivité du Maroc, notamment sur les aspects réglementaires et l’instauration d’un réel Etat de droit, susceptible de protéger au mieux les intérêts des investisseurs.