Depuis son retour au pouvoir, le président brésilien Lula a fait du continent une de ses priorités. Zoom sur ce poids lourd de l’Amérique latine qui parie lui aussi sur le continent…
Vingt ans après la première grande offensive diplomatique de Lula da Silva sur le continent, le Brésil signe son grand retour en Afrique. Depuis son retour au pouvoir en 2023, le président brésilien multiplie les initiatives : visites officielles, accords économiques, relance de Petrobras au Nigeria, et volonté affichée de replacer l’Afrique au cœur de la politique étrangère brésilienne. Mais ce retour, salué comme le signe d’un nouvel élan Sud-Sud, est-il réellement à la hauteur des ambitions affichées ?
Le Brésil cherche à renouer avec une Afrique qu’il considère à la fois comme partenaire économique et espace d’influence historique. L’argument identitaire est souvent mis en avant : près de la moitié des Brésiliens ont des racines africaines, et les liens culturels avec les pays lusophones — Angola, Mozambique, Cap-Vert, Guinée-Bissau — constituent une passerelle naturelle. Lula veut désormais transformer cette proximité en levier stratégique. Mais l’Afrique d’aujourd’hui n’est plus celle du début des années 2000. Elle est devenue un champ de compétition mondiale où la Chine, la Turquie, les Émirats arabes unis ou encore l’Inde ont profondément redéfini les équilibres économiques. Face à ces puissances établies, le Brésil doit convaincre qu’il ne s’agit pas d’un simple “retour sentimental”, mais d’un projet économique de long terme, nous confie l’économiste ivoirien Samuel Mathey.
Seulement 20 milliards de dollars d’échanges
Entre 2003 et 2011, le président Lula en avait déjà fait un objectif, conduisant la Banque brésilienne de développement (BNDES) à multiplier les lignes de crédit et incitant les géants nationaux, dont Petrobras, Odebrecht et Vale, à investir massivement en Afrique. Mais, le départ du pouvoir de Lula et la révélation en 2014 de l’affaire de corruption à grande échelle « Lava Jato », qui a mené nombre de dirigeants (dont Lula) en prison et obligé les opérateurs à se recentrer sur le marché national, ont mis fin à cette expansion. Revenu au pouvoir, le mandat de Lula relance la dynamique africaine. Rappelons en chiffre que les échanges commerciaux avec l’Afrique, avaient culminé à environ 28 milliards de dollars en 2013. Comparé aux 100 milliards de l’Inde et aux 243 milliards de la Chine, le pays de Lula reste loin derrière ces pays. Par ailleurs, il faut noter l’Égypte, demeure le seul pays africain signataire d’un accord de libre-échange avec le Mercosur. L’Afrique du Sud, le Nigeria et le Maroc constituent le reste du top 5. Même avec les pays lusophones, dont l’Angola, les relations sont modestes, avec des exportations inférieures à 500 millions de dollars en 2024.
Présence faible dans le secteur privé
Depuis 2023, les signes de réengagement se multiplient. Petrobras, longtemps en retrait, a annoncé sa réintroduction sur les marchés africains, notamment au Nigeria et en Angola. Cette décision marque la volonté de Brasilia de renouer avec une diplomatie économique basée sur l’énergie et les infrastructures, deux domaines dans lesquels le Brésil possède un savoir-faire reconnu. Sur le plan diplomatique, la tournée africaine de Lula en 2023 — au Cap, à Luanda et à Addis-Abeba — a ouvert la voie à plusieurs accords de coopération bilatérale. Brasilia a également rouvert des ambassades fermées durant les années Bolsonaro, réaffirmant ainsi une présence institutionnelle. Au Nigeria, les discussions ont porté sur l’agriculture, les biocarburants et le transport aérien, symbolisées par l’ouverture prochaine d’une ligne Lagos–São Paulo. Le commerce bilatéral, lui, reste modeste. En 2022, les échanges entre le Brésil et l’Afrique représentaient environ 16 milliards de dollars, loin derrière la Chine (282 milliards) ou l’Inde (95 milliards). Les exportations brésiliennes vers le continent sont dominées par les produits agricoles, les équipements mécaniques et les biens intermédiaires, tandis que le Brésil importe essentiellement du pétrole brut et des minerais. Une structure commerciale qui, malgré sa croissance, reste peu diversifiée.
Les grandes entreprises brésiliennes du BTP ou des services, naguère très présentes, peinent à retrouver leur niveau d’avant 2015. Odebrecht, autrefois championne des infrastructures africaines, a quitté la scène après des scandales de corruption retentissants. D’autres, comme Vale, se sont recentrées sur l’Amérique latine. L’absence d’acteurs privés brésiliens solides en Afrique limite l’impact concret du retour de Brasilia.
En revanche, dans les pays lusophones, le Brésil conserve un capital d’influence. En Angola, des entreprises brésiliennes participent encore à des projets d’infrastructures, tandis que des programmes de coopération agricole et universitaire relient Brasilia à Maputo et Praia. Le soft power brésilien — langue, culture, formation — reste un atout unique dans un continent multilingue.
Les échanges économiques comme base de la percée du Maroc en Amérique latine
Rappelons que le phosphate est le noyau qui a fait du Brésil un client stratégique du Maroc, qui lui-même devient le 5e partenaire économique du Brésil en Afrique et dans le monde arabe. L’ambition marocaine dans ce contexte vise à créer un partenariat commercial utile et stratégique faisant du royaume une plate-forme pour le Brésil vers les marchés européens, arabes et africains.
En contrepartie, le Royaume essaie de faire aussi du Brésil sa future plate-forme vers les autres pays de l’Amérique latine. « Avec plus d’un million et demi de locuteurs en 2018, le Maroc se classe comme le deuxième pays non hispanophone, après les États-Unis, à compter le plus grand nombre de personnes disposant de notions en espagnol sans que ce soit leur langue maternelle ». « L’Atlantique Sud, en plus d’être une route commerciale et un espace géoéconomique important, est aussi un pôle de développement. Dans ce contexte, il convient de rappeler que la projection sud-américaine, surtout brésilienne, vers l’Afrique et l’Asie est suivie par celle de la Chine et de l’Inde vers l’Afrique et l’Amérique du Sud. », expliquent les experts du Policy Center.
« L’océan Atlantique, dans sa partie sud, qui demeure un espace géopolitique inexploité, peut servir de nouvelle plateforme de dialogue entre le Nord et le Sud. Le Royaume du Maroc, stratégiquement placé dans cet espace, peut exploiter sa façade atlantique afin d’insuffler une nouvelle dynamique à sa relation avec l’Amérique latine pour le renforcement des échanges politiques et économiques dans le sud global ». Tel est le plaidoyer du Policy Center.