À l’aube d’une redéfinition des routes continentales et d’une intensification des échanges intra-africains, la logistique se présente plus que jamais comme un levier stratégique du développement. Dans ce contexte, l’Union africaine des organisations de transport et logistique (UAOTL), présidée par Mustapha Chaoune, s’impose comme l’une des initiatives phares visant à structurer, dynamiser et harmoniser le secteur du transport à l’échelle africaine.
Depuis quelques années, la façade atlantique africaine connaît un regain d’intérêt stratégique sans précédent. Le Maroc, en particulier, a placé cette dimension au cœur de sa diplomatie économique, en portant une vision qui dépasse les frontières nationales pour embrasser une dynamique régionale et continentale. Le projet de la façade atlantique, tel qu’initié par le Royaume, n’est pas seulement une ambition nationale de valoriser son ouverture maritime ; il constitue une véritable offre collective adressée aux pays d’Afrique de l’Ouest et du Golfe de Guinée, pour bâtir un espace de prospérité partagée, adossé à une logistique moderne, fluide et compétitive.
Dans un monde où les chaînes d’approvisionnement sont de plus en plus intégrées, où la compétitivité d’une économie se mesure autant à ses ports, à ses corridors et à sa connectivité qu’à ses matières premières, la façade atlantique se présente comme une nouvelle matrice de puissance et de croissance africaine.
Ce projet s’inscrit pleinement dans la logique d’une coopération Sud-Sud, que le Maroc ne cesse de promouvoir, et qui prend ici une dimension logistique et maritime. Au-delà des discours, l’objectif est de transformer l’océan Atlantique en un espace de connexion et non de séparation, en reliant les pays côtiers entre eux mais aussi en irriguant les économies enclavées du Sahel.
Lire aussi | Amine Bennouna: En Afrique, les compétences et technologies n’ont de valeur qu’adossées à un marché solide
Cette vision appelle à une organisation et à une gouvernance nouvelles du secteur. Car si l’Afrique dispose d’atouts indéniables – 30 000 km de côtes, des ressources maritimes immenses, une jeunesse entrepreneuriale et des marchés en expansion – elle souffre encore de fragmentations structurelles : réglementations hétérogènes, infrastructures inégalement développées, lenteurs administratives, et surtout absence d’une stratégie commune de transport et de logistique. C’est à cette croisée des chemins qu’intervient l’Union africaine des organisations de transport et de logistique (UAOTL), dont la mission est précisément de créer ce cadre de concertation et de mutualisation indispensable.
L’interview accordée à Challenge s’inscrit donc dans ce contexte où la logistique devient un enjeu diplomatique autant qu’économique. En abordant les défis structurels du transport africain, les perspectives de coopération régionale, ou encore la diplomatie de la façade atlantique, Mustapha Chaoune met en lumière les conditions de réussite d’un projet qui pourrait transformer durablement le visage du continent. Car la logistique n’est pas seulement une affaire de camions, de ports ou de trains : elle est la colonne vertébrale de toute économie, la clé de voûte de l’intégration africaine et un levier essentiel pour concrétiser les promesses de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf).
Question: Pouvez-vous nous présenter le bilan et les faits marquants du premier congrès de l’UAOTL, ainsi que la feuille de route que vous mettez en place ?
Le premier congrès de l’UAOTL a été un moment fondateur : les élections se sont tenues dans un climat de transparence, et plusieurs jours de débats ont permis d’examiner en profondeur les rapports et les priorités sectorielles. Pour la première fois, des représentants de l’Union africaine étaient présents pour superviser l’événement, témoignant de l’importance attribuée désormais au transport et à la logistique dans l’agenda continental.
La feuille de route de l’UAOTL repose sur la constitution d’une dizaine de comités sectoriels (transport routier, ferroviaire, maritime, aérien, intermodalité, formation, politique publique, infrastructure, innovation, sécurité, etc.), chacun doté d’un président et d’un vice-président couvrant toutes les régions d’Afrique
Quels sont les principaux défis structurels qui freinent aujourd’hui le développement du transport et de la logistique en Afrique ?
Le secteur souffre d’un déficit de réformes structurelles profondes : des réglementations hétérogènes, des barrières non tarifaires, la faible connectivité des infrastructures, l’insuffisance de capacité de formation et des moyens logistiques, ainsi que des difficultés en matière de sécurité routière et de qualité des infrastructures.
Lire aussi | La banlieue de Casablanca abritera la première zone logistique proposant des terrains XL
De plus, l’Afrique est confrontée à des disparités réglementaires entre États, à des formalités douanières lourdes et au morcellement des corridors de transport. Le manque de coordination interétatique rend souvent les échanges coûteux et lents. Enfin, les investissements dans les technologies, la digitalisation logistique et l’innovation restent trop faibles, ce qui freine la compétitivité du continent.
La coopération entre nations africaines est souvent perçue comme faible dans le domaine logistique. Comment l’UAOTL entend-elle promouvoir cette coopération ?
Réponse. L’un des rôles clés de l’UAOTL est de servir de plateforme de concertation entre États, acteurs privés et institutions régionales. Nous veillons à inclure les ministères, les opérateurs nationaux, les experts et les organisations professionnelles. La mise en place de comités régionaux favorise la coordination et la mutualisation des efforts.
Nous comptons encourager la signature d’accords bilatéraux et multilatéraux sur la facilitation du transport, sur la reconnaissance mutuelle des normes, sur l’interopérabilité des systèmes de transit, et sur la gestion conjointe des corridors. L’UAOTL peut jouer un rôle de médiateur et d’ordonnateur pour lever les obstacles liés aux frontières, aux formalités ou aux infrastructures.
Vous mettez l’accent sur la diplomatie de la façade atlantique. Quelle est votre vision pour cette « diplomatie logistique » maritime, et quels sont ses enjeux ?
La façade atlantique africaine constitue une voie stratégique pour relier le continent aux marchés mondiaux. La diplomatie logistique de cette façade vise à renforcer les liaisons maritimes, les hubs portuaires, l’efficacité des terminaux, les services de transbordement, ainsi que la connectivité entre ports et arrière-pays.
Lire aussi | Un rapprochement stratégique pour créer le premier opérateur logistique intégré au Maroc
Concrètement, cela suppose de mettre en place des collaborations port-to-port, d’optimiser les services maritimes caboteurs entre pays riverains de l’Atlantique, de développer des corridors terrestres d’exportation à partir des territoires intérieurs vers les ports, et d’harmoniser les politiques douanières et logistiques des États qui bordent l’Atlantique. Par ailleurs, renforcer la diplomatie portuaire revient aussi à travailler avec les partenaires internationaux, les institutions financières et les organisations maritimes pour attirer des investissements, former des compétences et moderniser les infrastructures.
Quel rôle les acteurs privés, notamment les transporteurs et les logisticiens, peuvent-ils jouer dans le succès de votre vision, et comment envisagez-vous le partenariat public-privé dans ce cadre ?
Les acteurs privés sont au cœur de la chaîne logistique : ce sont eux qui opèrent les navires, les flottes routières, les entrepôts, les services de transit, les systèmes informatiques, etc. Leur savoir-faire, leurs innovations et leur efficacité opérationnelle sont indispensables. L’UAOTL cherche à les intégrer pleinement dans ses structures, via des plateformes de dialogue et des comités techniques, afin qu’ils contribuent à l’élaboration des standards, des recommandations et des programmes de formation.
Sur le modèle des partenariats public-privé (PPP), nous concevons des démarches où les États construisent les infrastructures (ports, corridors, terminaux) tandis que le privé assure la gestion, l’exploitation, la maintenance ou la technologie. L’UAOTL soutiendra des projets pilotes, encouragera les cofinancements et promouvra la transparence dans les modalités d’appels d’offres, pour garantir que les initiatives soient viables, efficaces et durables.
Enfin, quelle est votre vision pour la logistique africaine à l’horizon 2030 ? Quelles avancées concrètes espérez-vous voir ?
En 2030, je souhaite que l’Afrique dispose d’un réseau logistique interconnecté, efficace et compétitif, comparable aux standards internationaux. Que les délais de transit entre pays africains soient réduits significativement, que les coûts logistiques soient compétitifs, et que les corridors fonctionnent de manière fluide.
Lire aussi | BLS annonce un programme d’investissement de 2,1 milliards de dirhams pour renforcer la logistique au Maroc
Je m’attends à ce que l’UAOTL ait joué un rôle central dans l’adoption de normes communes, dans la formation d’une nouvelle génération de logisticiens, dans le lancement de projets d’infrastructures interétatiques structurants, et dans l’animation d’un marché continental intégré du transport. Je souhaite aussi que la façade atlantique devienne un vecteur de croissance, que les ports africains se modernisent, que le cabotage maritime intra-Africain se développe, et que le continent consolide sa souveraineté logistique, en réduisant sa dépendance aux chaînes externes.
Dans ce sens, depuis deux ans, nous avons lancé une sorte de dialogue intra-Africain sur ce sujet au travers du Logiterre ou plusieurs pays du continent se retrouvent dans ce laboratoire d’idée afin de construire une réponse commune face au défis qui pèsent sur le secteur.