Singapour, un nouvel acteur asiatique intéressé par l’Afrique?

L’édition 2025 du Forum d’affaires Afrique-Singapour, tenue dans la cité-État du 26 au 28 août, a mis en lumière l’ambition singapourienne de renforcer ses positions sur le continent. Transport maritime, logistique et industrie manufacturière figurent parmi les secteurs phares ciblés. En marge de l’événement, la Côte d’Ivoire a conclu un accord bilatéral d’investissement, illustrant l’attractivité croissante de ce partenariat. On vous explique…
Dans le paysage africain marqué depuis deux décennies par l’omniprésence de la Chine, un nouvel acteur discret mais déterminé avance ses pions : Singapour. La cité-État asiatique, longtemps considérée comme une plateforme financière et logistique régionale, cherche désormais à élargir son influence au-delà de l’Asie du Sud-Est. La tenue, du 26 au 28 août 2025, de la 8ᵉ édition du Forum Afrique-Singapour illustre cette dynamique. Plus de 5 000 participants y ont pris part, venus scruter les opportunités de partenariat entre les entreprises africaines et singapouriennes. Pour beaucoup d’expert ce mouvement n’est pas anodin.
L’Afrique connaît une profonde transformation de ses économies, stimulée par la croissance démographique, l’urbanisation rapide et l’émergence d’une classe moyenne consommatrice. Les besoins en infrastructures, en logistique et en industries de transformation explosent.
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Là où la Chine a massivement investi dans les routes, les ports et les mines, Singapour propose une approche différente : celle d’un hub stratégique, misant sur son expertise logistique, son savoir-faire en matière de connectivité portuaire et sa capacité à attirer les flux financiers mondiaux. Pour l’économiste Driss Aissaoui ‘’un pays comme Singapour a atteint un niveau important de développement, alors dans ce schéma il parait clair que le pays se pense en dehors de son espace pour créer de la richesse’’.
Des secteurs stratégiques ciblés
Trois secteurs apparaissent comme prioritaires dans cette offensive économique singapourienne : le transport maritime, la logistique et l’industrie manufacturière. L’Afrique, avec ses 30 000 kilomètres de côtes, demeure un marché sous-équipé en infrastructures portuaires modernes. Singapour, dont le port figure parmi les plus performants du monde, voit là une opportunité de mettre en avant son expertise. Les entreprises singapouriennes veulent contribuer à la modernisation des terminaux africains, à la gestion numérique des flux de marchandises et à l’optimisation des chaînes de valeur.
En parallèle, la logistique devient un enjeu central. À l’heure où la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) ambitionne de créer un marché commun de plus d’un milliard de consommateurs, la fluidité des échanges internes sera cruciale. Les groupes singapouriens, réputés pour leur efficacité dans la gestion de hubs régionaux, entendent s’imposer comme partenaires privilégiés. L’industrie manufacturière, enfin, est vue comme un relais naturel : plutôt que d’exporter uniquement des matières premières, plusieurs pays africains cherchent à développer des filières de transformation locales. Singapour y apporte son expérience en matière de zones économiques spéciales et d’écosystèmes industriels intégrés.
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Par ailleurs il faut noter que de nombreuses banques d’Afrique de l’Ouest s’appuient déjà sur la technologie singapourienne pour effectuer des paiements transfrontaliers. On peut citer des initiatives telles que l’écosystème financier intégré du Ghana, basé sur une solution singapourienne, qui permet aux petites entreprises d’accéder à des financements et à de nouveaux marchés.
Les chiffres confirment cette montée en puissance. En 2024, le commerce entre Singapour et l’Afrique de l’Ouest a atteint un record de 7 milliards de dollars. À titre de comparaison, ce montant reste encore loin des échanges Afrique-Chine, estimés à 282 milliards de dollars la même année. Mais la trajectoire est significative : Singapour ne cherche pas à concurrencer frontalement Pékin, mais à occuper une niche stratégique, en jouant sur son image d’acteur neutre et agile, moins contraint par des ambitions géopolitiques visibles. ‘’La Chine devrait prendre ce nouvel acteur comme un concurrent sérieux. Il faut rappeler que dans les investissements chinois, Pékin vient avec l’homme et la femme censé exécute les projets’’
Premiers accords et perspectives
Le Forum d’affaires Afrique-Singapour a également donné lieu à des avancées concrètes. La Côte d’Ivoire a signé un accord bilatéral d’investissement avec la cité-État, marquant une étape dans la coopération économique entre les deux parties. Pour Abidjan, il s’agit de diversifier ses partenariats et d’attirer des capitaux dans des secteurs clés comme les infrastructures et les services financiers. Pour Singapour, c’est l’occasion de tester son modèle en Afrique de l’Ouest, souvent considérée comme une porte d’entrée vers le continent.
Cette percée reste toutefois à nuancer. Si la Chine a bâti son influence sur des financements massifs et visibles – routes, chemins de fer, barrages – Singapour adopte une approche plus sélective, centrée sur la valeur ajoutée et la connectivité. Cela lui confère une certaine crédibilité auprès des décideurs africains, mais limite aussi sa capacité à peser face aux géants déjà installés. L’avenir dira si ce positionnement complémentaire lui permettra de s’affirmer comme un rival sérieux ou simplement comme un partenaire alternatif.
Une alternative crédible, mais pas encore un rival
La question de savoir si Singapour peut réellement rivaliser avec la Chine en Afrique reste ouverte. En termes d’échelle et de puissance financière, la comparaison semble disproportionnée. La Chine a représenté près de 64 % des exportations africaines vers l’Asie l’année dernière, consolidant ainsi sa position dominante en tant que premier partenaire commercial du continent.
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Mais en matière de qualité des partenariats, de neutralité politique et d’expertise technique, la cité-État dispose d’atouts indéniables. Elle se présente moins comme un compétiteur direct que comme une alternative crédible pour les pays africains désireux de diversifier leurs partenaires.
Dans un continent en pleine mutation, où la compétition entre puissances étrangères ne cesse de s’intensifier, l’arrivée de Singapour illustre une réalité : l’Afrique n’est plus seulement l’objet d’un tête-à-tête entre grandes puissances. Elle devient un espace ouvert où des acteurs de taille moyenne, mais spécialisés et agiles, peuvent trouver leur place. La réussite de Singapour en Afrique dépendra de sa capacité à inscrire cette ambition dans la durée, à multiplier les projets concrets et à démontrer que sa promesse de partenariat « gagnant-gagnant » peut se traduire dans les faits.
Pour rappel les échanges commerciaux entre Singapour et l’Afrique de l’Ouest ont été de 7 milliards de dollars en 2024, soit près du double du niveau enregistré en 2020. Les entreprises singapouriennes ont déjà investi plus de 20 milliards de dollars à travers l’Afrique, faisant du pays l’une des 10 premières économies à investir sur le continent, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED).