Emmanuel Macron a reconnu l’Etat palestinien devant l’ONU, ce 22 septembre 2025. La France annonce-t-elle une nouvelle ère de sa diplomatie dans cette région ?
Le 22 septembre à New York, Emmanuel Macron a franchi un pas historique en reconnaissant officiellement l’État de Palestine lors de l’Assemblée générale des Nations unies, aux côtés du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane. Ce geste, présenté comme une étape décisive pour relancer la solution à deux États, rompt avec la prudence habituelle de Paris sur le conflit israélo-palestinien. Pour la première fois, une grande puissance occidentale choisit de s’aligner sur la majorité de la communauté internationale – 147 pays dont la Russie, la Chine, l’Espagne ou encore l’Irlande – qui considèrent déjà la Palestine comme un État souverain. En agissant ainsi, la France tente d’ouvrir une brèche dans un processus de paix enlisée depuis plus de deux décennies.
Mais au-delà de l’acte symbolique, cette décision traduit une volonté de rééquilibrage de la diplomatie française au Moyen-Orient. Face à l’intransigeance de Benyamin Netanyahou et au soutien inconditionnel de Washington à Tel-Aviv, Paris choisit d’endosser un rôle de médiateur politique, cherchant à redonner une légitimité à l’autorité palestinienne. La “Déclaration de New York”, adoptée par 142 pays, marque cette inflexion : elle condamne explicitement les attaques du 7 octobre, exige le désarmement du mouvement islamiste et propose la mise en place d’une mission internationale de stabilisation à Gaza. Pour Emmanuel Macron, il s’agit d’inscrire la France dans une démarche irréversible vers la paix, en tentant de relancer une dynamique multilatérale que les initiatives américaines n’ont pas su produire.
Un pari diplomatique risqué mais structurant
Cette reconnaissance ouvre indéniablement une nouvelle page de la diplomatie française au Moyen-Orient. En se positionnant comme le premier grand pays occidental à franchir ce cap, Paris prend une initiative qui pourrait inspirer le Canada, l’Australie, le Portugal ou encore la Belgique. Elle marque aussi la volonté française de se démarquer d’une posture atlantiste trop souvent dictée par les équilibres stratégiques américains. En associant l’Arabie saoudite, acteur clé des équilibres régionaux, Macron fait le choix d’un axe franco-saoudien susceptible de peser dans les négociations régionales, notamment sur Gaza et la reconstruction post-conflit. Cependant, cette audace diplomatique comporte de nombreux risques. Côté israélien, la réaction a été immédiate et virulente : Tel-Aviv dénonce une “récompense au Hamas” et menace de fermer le consulat de France à Jérusalem.
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Contacte par Challenge, Anas Abdoun, Consultant en stratégie et affaires internationales déclare: «la reconnaissance par Emmanuel Macron de l’État palestinien devant l’Assemblée générale de l’ONU le 22 septembre marque en effet un tournant symbolique de la diplomatie française au Moyen-Orient. Elle traduit d’abord un retour de l’influence du Quai d’Orsay à l’Élysée. Les diplomates français ont toujours eu une connaissance fine des équilibres complexes de la région, forgée par des décennies de présence et de dialogue. Mais depuis la présidence de Nicolas Sarkozy, cette expertise avait progressivement perdu de son poids, les choix présidentiels étant davantage marqués par des logiques d’alliances identitaires ou de blocs. Le geste de Macron peut donc être lu comme une réhabilitation de cette approche plus équilibrée, plus ancrée dans la tradition diplomatique française d’équilibre et de médiation. Ce choix comporte néanmoins des conséquences immédiates. Israël a déjà annoncé des sanctions contre la France et d’autres mesures de rétorsion devraient suivre. La reconnaissance de l’État palestinien par Paris risque donc d’ouvrir une phase de tensions bilatérales qui pourraient s’accélérer dans les prochains mois. Or, dans l’histoire de la diplomatie française, ce type de tension n’est pas inédit : chaque fois que Paris a cherché à se poser en puissance d’équilibre dans la région, elle a dû composer avec des réactions de rejet de la part d’Israël».
Et de poursuivre: «Plus profondément, cette décision s’inscrit dans une recomposition du rôle de la France au Moyen-Orient. En assumant un geste fort qui va à l’encontre de la ligne défendue par Washington et une partie des capitales européennes, Paris réaffirme une autonomie stratégique. C’est une tentative de reprendre une place singulière dans le jeu régional : ni alignée mécaniquement sur les États-Unis, ni enfermée dans une posture exclusivement pro-israélienne, mais cherchant à exister comme médiateur crédible entre les parties. Cela suppose cependant de transformer ce geste symbolique en une stratégie durable, c’est-à-dire de proposer des initiatives concrètes pour relancer le processus de paix, renforcer les relations avec les acteurs arabes et maintenir en même temps un canal de dialogue ouvert avec Israël. En somme, il ne s’agit pas seulement d’un signal ponctuel mais bien d’une réorientation : le retour à une diplomatie française qui cherche à conjuguer principes et réalités géopolitiques. Ce virage implique de nouveaux risques, notamment une crispation dans les relations avec Israël et une possible polarisation accrue au sein de l’Union européenne. Mais il peut aussi redonner à la France une visibilité et une crédibilité régionales qu’elle avait perdues, à condition de savoir convertir cette reconnaissance en une action diplomatique suivie et structurée».
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Pour Yasmina Asrarguis, chercheure-spécialiste des Accords d’Abraham, «la reconnaissance de l’État palestinien par Emmanuel Macron à la tribune des Nations unies, le 22 septembre, relève moins d’une rupture que d’une continuité historique. Depuis De Gaulle et la déclaration de 1967, la diplomatie française combine l’affirmation du droit des peuples et l’appel à un règlement négocié. En réitérant ce soutien devant l’ONU, Paris ne fonde pas une ‘nouvelle ère’ mais réactive un registre ancien, celui d’un rôle médiateur entre Israël et le monde arabe».
Mais, fait-elle remarquer, «derrière la solennité du geste, la portée réelle de l’annonce reste toutefois incertaine : la France ne dispose ni des moyens militaires ni de l’influence diplomatique pour traduire cette reconnaissance en leviers concrets. L’absence de plan de sécurité ou de cadre politique capable de transformer les principes proclamés en garanties effectives souligne un trait récurrent de la politique européenne proche-orientale : l’écart entre le discours et la capacité à déployer une véritable action de terrain. Sans stratégie d’accompagnement et plan humanitaire d’urgence pour la Bande de Gaza, ce positionnement risque de demeurer symbolique».
La continuité de la ligne diplomatique tracée par le général de Gaulle au Proche-Orient….
D’après l’expert-consultant international Michel Vialatte, « la décision de la France de reconnaître l’État de Palestine s’inscrit dans la continuité de la ligne diplomatique tracée par le général de Gaulle au Proche-Orient. Dès 1967, celui-ci avait affirmé la nécessité d’un règlement équilibré fondé sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et le refus des logiques de domination».
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«La France, fidèle à cette tradition d’indépendance et de recherche d’équilibre, confirme aujourd’hui sa conviction que la paix durable passe par l’existence de deux États souverains, vivant côte à côte dans des frontières reconnues et sécurisées».
Michel Vialatte explique que «cette reconnaissance n’est pas un geste contre Israël mais un acte en faveur de la paix, qui donne un cadre politique et juridique à la revendication palestinienne. Elle répond également à l’exigence de cohérence : la France a toujours défendu la solution à deux États, il était donc naturel qu’elle traduise cette position en acte».
Enfin, il souligne qu’au-delà du plan diplomatique, l’impact sera considérable dans le monde arabe, notamment au Maghreb. Dans une région où l’opinion publique est profondément sensible à la cause palestinienne, le choix français sera perçu comme une marque de respect, de constance et de courage. Il renforcera le crédit de la France, en montrant sa capacité à tenir une parole indépendante, à conjuguer principes et réalisme, et à agir pour une paix juste et durable.