L’Afrique centrale traverse une phase décisive. Entre la CEEAC (Communauté économique des États de l’Afrique centrale) et la CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale), les ambitions d’intégration régionale restent freinées par des infrastructures déficientes, une faible connectivité logistique et financière, et une dépendance persistante aux matières premières. Dans ce paysage, le Maroc apparaît comme un acteur capable de se positionner, en s’appuyant sur son expérience réussie en Afrique de l’Ouest et sa diplomatie économique proactive. Décryptage.
C’était il y a presque un an que les chefs d’État de la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) se sont réunis à Yaoundé pour un sommet extraordinaire, témoignant de l’urgence de la situation économique régionale. L’Afrique centrale reste ainsi l’une des régions les moins intégrées du continent africain, malgré un potentiel économique et géostratégique considérable. Encadrée par deux organisations régionales – la CEEAC et la CEMAC –, elle demeure prisonnière de ses fragilités : un commerce intra-régional limité à 3 % des échanges, une dépendance aux matières premières, des infrastructures vieillissantes et des chaînes logistiques fragmentées.
En chiffres, les indicateurs de la région sont dans le rouge. La croissance économique régionale a chuté de 3,3 % en 2022 à 2,3 % en 2023 et elle devrait se situer à 3,7 % en 2024 puis 3 % en 2025, portée en particulier par les performances du Tchad et du Cameroun, selon une communication officielle de l’organisation. Concernant l’inflation (5,4 % en 2023), le seuil communautaire n’est plus respecté depuis 2022, en lien avec la hausse des prix des produits alimentaires liée à la guerre en Ukraine, selon la même source. Le solde budgétaire de la Cemac devrait rester déficitaire à – 0,7 % en 2024 et se dégrader à – 1,9 % en 2025.
Dans ce contexte, la question de l’intégration revient au premier plan : comment transformer ces fragilités en opportunités pour bâtir un marché compétitif et souverain ? La réponse passe nécessairement par une ouverture maîtrisée et des partenariats structurants, capables d’apporter expertise, connectivité et financements.
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C’est dans cette perspective que le Maroc apparaît comme un acteur stratégique. Depuis deux décennies, le Royaume s’est imposé comme une plateforme africaine de premier plan, combinant stabilité politique, volontarisme diplomatique et réussite économique. Avec ses banques présentes dans plus de 20 pays, son modèle logistique incarné par Tanger Med, et son expérience en matière de digitalisation et d’énergies renouvelables, le Maroc dispose d’un capital d’expérience exportable. Après avoir consolidé ses positions en Afrique de l’Ouest, le Royaume se tourne désormais vers l’Afrique centrale, où les besoins sont immenses et les marges de croissance considérables. L’intégration régionale, longtemps restée au stade de discours institutionnels, pourrait devenir un véritable levier de marché, en s’appuyant sur le modèle marocain de connectivité et de diversification.
Les défis structurels de l’intégration
L’Afrique centrale souffre d’un retard structurel qui entrave son intégration économique. Les corridors commerciaux sont discontinus, les ports saturés, les infrastructures routières vétustes. À cela s’ajoutent des barrières non tarifaires persistantes, malgré la monnaie commune de la CEMAC, qui ralentissent les flux de marchandises. Le résultat est sans appel : les pays de la région continuent d’exporter massivement leurs matières premières brutes – pétrole, bois, manganèse – sans réussir à développer des chaînes de valeur locales. Ce déficit de transformation empêche la création d’emplois et accentue la vulnérabilité aux chocs extérieurs. À cette fragilité économique s’ajoute un manque de connectivité financière et numérique.
La bancarisation y reste inférieure à 20 %, l’interconnexion bancaire quasi inexistante, et la digitalisation embryonnaire. Autant de freins qui éloignent la CEEAC et la CEMAC de l’objectif d’un marché intégré et compétitif. « Cette faiblesse de la performance des économies de la CEMAC peut s’expliquer par plusieurs facteurs dont deux me paraissent essentiels. Premièrement, une très faible intégration avec un niveau d’échange intra-communautaire très bas. Ceci s’explique principalement par le mauvais état des infrastructures routières, portuaires, ferroviaires et aéroportuaires. Il existe en effet très peu de voies de communication de bonne qualité permettant des échanges fluides entre les différents pays de cette espèce économique et monétaire.
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Le deuxième facteur freine les bonnes performances économiques de la CEMAC demeure sa sous-industrialisation et le manque de diversification de son économie. Basées sur l’exportation des matières premières brut, les économies de la CEMAC ne permettent que très peu d’échanges car aucun des États n’est demandeur des matières premières que produisent les autres, faute de disposer d’une industrie de transformation et d’un marché adéquat » , nous confie Alain-Claude Bilie-By-Nze ancien Premier Ministre du Gabon.
Et d’ajouter : « La CEMAC constitue un espace monétaire de même qu’une zone de libre échange qui aurait pu permettre à ses six États membres d’avoir des échanges économiques et commerciaux intenses, bénéfiques aux acteurs économiques et aux populations mais, hélas, malgré les bonnes intentions, traduites pas des normes communes entre autre, la CEMAC peine à remplir toutes ses missions et à atteindre les objectifs de développement attendus. A l’heure actuelle, la croissance dans la zone concernée qui se situe aux alentours de 3%, en légère hausse par rapport à 2022, reste très fragile et largement en-deçà des chiffres qu’affiche son homologue de l’UMOA par exemple. »
Le Maroc, un hub africain déjà éprouvé
Le Maroc, à l’inverse, a su bâtir un modèle d’intégration continentale qui combine diplomatie économique et expansion d’entreprises nationales. Casablanca Finance City est devenue un point d’ancrage pour les multinationales opérant en Afrique. Les groupes bancaires marocains – Attijariwafa bank, BCP, Bank of Africa – dominent aujourd’hui le paysage financier ouest-africain, tandis que Maroc Telecom s’est imposé dans les télécommunications au Sahel et en Afrique de l’Ouest. Sur le plan logistique, le port de Tanger Med illustre la capacité du Royaume à se positionner en plateforme de connectivité mondiale, reliant l’Afrique à l’Europe et à l’Asie.
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Ces réussites ne sont pas que des vitrines : elles constituent un savoir-faire transférable à l’Afrique centrale. En adhérant à la CEEAC comme membre observateur, et en renforçant ses relations diplomatiques avec des pays comme le Gabon, le Congo et le Cameroun, le Maroc prépare méthodiquement son ancrage dans cette région.
Afrique, une nouvelle diplomatie économique…
Les échanges commerciaux du Maroc avec les pays africains se sont développés au cours des dernières décennies, et ce en raison de la pertinence de la diplomatie économique du Maroc qui a su construire un véritable couloir de coopération avec certains pays d’Afrique, notamment les pays de l’Afrique de l’ouest. Même si les efforts sont louables et également les retombées économiques sont là, le Maroc cependant dans certaines régions du continent n’a pas encore déployé sa présence. Ce constat a été partagé par l’économiste Hicham Alaoui. Pour l’économiste, le Maroc doit saisir la lucarne de la Zlecaf pour aller à la rencontre des régions africaines où il n’est pas encore présent afin d’y exporter son expertise.
Et selon une étude de la DEPF, les secteurs qui bénéficieraient le plus de l’accord seraient « l’industrie Manufacturières, de l’Alimentaire et du Textile ». Cependant, même si les avantages sur le plan économique et même social sont évidents, le projet de la ZLECAF présente tout même certains défis. Pour l’économiste, l’un des enjeux majeurs est la vulgarisation auprès des opérateurs économiques. Notons d’ailleurs que le patronat marocain a fait de cette question une priorité. Par ailleurs, face à la grande problématique du cadre réglementaire, sans oublier le levier investissement qui pose le débat du montage financier d’un tel projet, l’économiste a préconisé une ZLECAF par région. « Le Maroc n’a pas attendu la ZLECAF pour exporter son savoir-faire sur le continent. Aujourd’hui le Maroc doit poursuivre son élan et penser une diplomatie économique qui doit anticiper les freins de la ZLECAF. Face aux défis économiques et juridiques, il faut construire la ZLECAF par région », alerte l’économiste.
Quatre domaines offrent des opportunités immédiates de coopération :
· Télécommunications et digitalisation : renforcer la fibre optique, développer des plateformes de paiement mobile, soutenir la e-gouvernance.
· Banques et inclusion financière : élargir la bancarisation, fluidifier les transactions transfrontalières, créer des marchés financiers régionaux.
· Logistique et transport : moderniser les ports de Douala et Libreville, créer des corridors intégrés, développer des zones franches inspirées du modèle marocain.
· Énergies renouvelables : transférer l’expertise du Maroc dans le solaire et l’éolien, appuyer les projets d’électrification rurale et accompagner la diversification énergétique.