Nucléaire civil : quelles ambitions pour le Maroc

Sur le continent, la question du nucléaire civil est à l’ordre du jour. Au Maroc, le nucléaire est une alternative énergétique. Avec Uranext, les ambitions du Maroc sont claires…
Depuis le 17e siècle, avec la création de la machine à vapeur, l’énergie a toujours joué un rôle clé dans l’histoire de l’économie mondiale. L’historien français Braudel, dans son livre La dynamique du capitalisme, a démontré comment, grâce à l’énergie, l’industrie a été transformée, ainsi que la mobilité des marchandises, notamment avec le commerce au loin. Aujourd’hui, dans ce siècle des économies-mondes, des grands marchés internationaux et de la mondialisation heureuse, « l’énergie est indispensable à l’instauration d’une croissance économique durable et à l’amélioration du bien-être des populations », constate l’Agence internationale de l’énergie atomique. « Le nucléaire ouvre la voie à une énergie propre, fiable et d’un coût abordable, qui contribue à l’atténuation des effets négatifs des changements climatiques. Il représente déjà une part considérable du bouquet énergétique mondial et son utilisation devrait augmenter dans les décennies à venir. » Aujourd’hui, face aux défis écologiques, l’énergie nucléaire se présente comme une alternative idoine.
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Sur le continent, cette voie du nucléaire civil est adulée par bon nombre de pays. Le Maroc, le Ghana, l’Égypte, l’Ouganda, le Niger, le Burkina Faso, le Nigeria, le Kenya notamment, ont déclaré vouloir passer à la production d’énergie nucléaire à but civil. En Afrique de l’Ouest, des pays comme le Mali ou le Burkina ont signé des accords de coopération avec le russe Rosatom pour le développement du nucléaire civil. Avec un taux d’électrification d’à peine 25 %, le Burkina Faso espère que des petits réacteurs modulaires (SMR) lui permettront de doubler sa production électrique d’ici 2030.
Au Maroc, l’heure est également à la réflexion sur cette question. « Pour la première fois, l’AIEA publie dans son rapport annuel de mise en œuvre des garanties nucléaires au titre de l’année 2024 que le Royaume du Maroc bénéficie de la conclusion élargie attestant que toutes les matières nucléaires présentes sur le territoire national sont exclusivement utilisées à des fins pacifiques », indiquait l’AMSSNuR dans un communiqué récent.
« Le Maroc accorde une attention particulière aux petits réacteurs modulaires (PRM) du fait de leurs nombreux avantages – notamment leur adaptabilité, qui facilite l’intégration », avait déclaré en septembre 2024 Leila Benali, ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, dans une déclaration adressée au forum scientifique de l’AIEA. En effet, d’après nos investigations, nous apprenons qu’une startup, Uranext, serait en cours d’installation dans le but d’impulser une unité industrielle de « Yellowcake ».
Une solution pour l’eau ?
L’eau devient de plus en plus rare dans de nombreuses parties du monde. Le problème de la pénurie d’eau, chronique dans certaines régions du monde, notamment au Maroc, se pose avec acuité. Avec la rareté de la ressource hydrique, dans de nombreuses grandes villes, la seule solution pour éviter de transporter sur de longues distances l’eau provenant des sources naturelles est d’avoir recours au dessalement de l’eau de mer. À l’heure actuelle, le dessalement constitue le seul moyen rentable d’obtenir de l’eau en dehors des sources classiques, et c’est la seule technique qui puisse être appliquée à l’échelle industrielle. Selon l’AIEA, c’est évidemment un apport marginal à l’approvisionnement par les moyens classiques. Pendant les dix dernières années, la capacité de dessalement a augmenté de 18 % par an, et il est presque certain que ce taux de croissance sera beaucoup plus élevé au cours des prochaines années.
Alors, même si la technologie du dessalement est une alternative au stress hydrique, la question du coût de l’énergie est un défi. Et aujourd’hui, la source d’énergie nucléaire semble être une alternative. Notons que l’Agence internationale de l’énergie atomique étudie les possibilités du dessalement nucléaire depuis les années 1960. Plusieurs États membres de l’Agence se sont intéressés au dessalement nucléaire. C’est aujourd’hui le cas du Maroc, qui semble voir dans ce procédé une piste intéressante pour le développement de son écosystème de stations de dessalement. Le protocole d’accord entre l’entreprise marocaine Water and Energy Solutions et Rosatom dans le domaine du dessalement est un fait éloquent qui étaye les ambitions du Maroc dans ce chantier.
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Contacté par Challenge, l’expert en énergie Amine Bennouna nous explique : « Si le Maroc se dote d’une centrale nucléaire, chaque réacteur nucléaire conventionnel aura une puissance voisine de 1 000 MW qui, avec 6 600 GWh, permettrait d’alimenter 8 stations comme celle de Casablanca, ce qui est trop pour le Maroc d’aujourd’hui, quel que soit le prix du kWh. Les petits réacteurs modulaires (SMR), qui permettraient d’assurer une puissance de 122 MW, n’existent encore qu’au stade expérimental, ont des déboires (voir NuScale Power), et il n’y a encore aucune information fiable sur le coût de l’électricité qui serait produite. »
« Aujourd’hui, lorsqu’on écoute le discours de la France sur la solution du nucléaire, on voit juste la logique de vente et de construction de centrales nucléaires. » De son côté, l’expert en durabilité Omar Beniacha nous confirme que « le Maroc a des ambitions dans le domaine du nucléaire énergétique ». Cependant, pour lui, cette technologie a des coûts énormes. « Ceci étant, il faut reconnaître que l’énergie nucléaire est un bon moyen pour réduire le coût du dessalement et avoir évidemment un dessalement propre. En termes de timing, je ne pense pas que cette ambition soit pour aujourd’hui, puisque la priorité affichée au plus haut sommet de l’État, c’est d’avoir une offre hydrogène vert. »