Suspension des droits de douane par Pékin au profit des pays africains: révolution ou effet d’annonce ?

La Chine a annoncé son intention de suspendre les droits de douane imposés aux produits africains. Entre effet d’annonce et impact réel, que vaut cette décision ?
C’est une annonce qui a fait couler beaucoup d’encre. En effet, le 12 juin, lors de l’édition 2025 du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC), le ministre chinois des Affaires étrangères a annoncé que Pékin avait l’intention de supprimer les droits de douane sur les importations de produits en provenance de la quasi-totalité des pays africains. Dans ce contexte économique de guerre commerciale, avec son lot de conséquences, l’intention de Pékin est claire : se présenter comme une alternative crédible, en particulier vis-à-vis du Sud global, face à des États-Unis qui, sous l’impulsion de Donald Trump, ont déclaré une guerre commerciale à pratiquement tout le reste du monde — et à la Chine en particulier. Pour beaucoup d’experts, notamment le spécialiste en relations internationales Driss Aissaoui, « la Chine se pose ainsi en championne du libre-échange et locomotive du “Sud global”. De surcroît vis-à-vis d’un continent lui aussi malmené par les États-Unis. De fait, si Pékin est la première cible de l’offensive protectionniste de Washington, de nombreux pays africains sont également menacés de surtaxes douanières, et une trentaine d’entre eux pourrait perdre le bénéfice des franchises tarifaires accordées dans le cadre de l’African Growth and Opportunity Act, un accord commercial vieux d’un quart de siècle aujourd’hui en sursis », prévient l’expert.
Un geste politique habillé en mesure économique
Officiellement, Pékin affirme vouloir soutenir les pays en développement et encourager des échanges plus équilibrés. Derrière cette posture solidaire, l’initiative s’inscrit clairement dans une stratégie de consolidation de l’influence chinoise sur le continent africain, à un moment où la concurrence géopolitique (notamment avec les États-Unis et l’Union européenne) s’intensifie.
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Les pays concernés incluent notamment le Tchad, le Rwanda, l’Éthiopie ou encore le Mali. Pour ces économies, l’accès au gigantesque marché chinois sans barrière douanière pourrait ouvrir de nouvelles perspectives d’exportation — à condition qu’elles disposent d’une offre exportable, structurée et compétitive. Il faut d’ailleurs noter que cette annonce intervient dans un contexte où le volume des échanges entre l’Afrique et la Chine a explosé en deux décennies. De 12 milliards de dollars en 2002, les échanges commerciaux ont atteint près de 300 milliards de dollars en 2024. À comparer, cependant, aux 530 milliards de dollars d’échanges entre la Chine et les États-Unis la même année. Cependant, cette coopération n’est pas pour autant équilibrée. Cette croissance exponentielle des échanges sino-africains ne doit pas occulter une autre réalité : celle du déficit commercial abyssal qu’accuse le continent vis-à-vis de la Chine. En 2023, il atteignait la bagatelle de 82 milliards de dollars, soit l’équivalent du PIB de l’Éthiopie. Si la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) doit permettre de rééquilibrer en partie cette inégalité, elle tarde à émerger concrètement, et le rythme de croissance du commerce intra-africain ne suit pas celui de la progression des échanges entre le continent et la Chine. En 2024, les échanges entre les pays du continent ont certes augmenté de 7,7 %, pour un volume global d’environ 208 milliards de dollars. Mais ils ne représentent toujours qu’à peine 15 % des échanges globaux du continent. Et dans le détail, la Chine exporte de la valeur, l’Afrique continue d’exporter des ressources, principalement des matières premières brutes (pétrole, cuivre, minerais).
Le Maroc, une alternative ?
« Le Maroc, dans le cadre de sa stratégie de décarbonation du secteur du transport, prévoit de créer une véritable industrie de véhicules électriques compétitive. La proximité avec l’Europe et l’entrée en vigueur de la future taxe carbone début 2026 poussent les investisseurs à se tourner vers d’autres marchés comme celui du Maroc. Une batterie fabriquée en Inde ou en Chine, par exemple, coûtera plus cher pour entrer sur le marché européen qu’une batterie fabriquée à presque 10 km des frontières », nous confie l’économiste.
À la lumière de son positionnement stratégique, et surtout de la coopération économique dynamique qui lie les deux pays, le Maroc, ces dernières années, s’est inscrit dans une diplomatie économique ouverte aux possibles. L’Espagne, la France, les USA, le Royaume-Uni, la Chine, l’Afrique… les relations économiques du Maroc sont ouvertes à un large horizon. Par exemple, le projet type du TGV est un exemple de cette vision du Maroc, où l’on peut retrouver divers acteurs, y compris le partenaire chinois. Avec Covec, ils sont près de quatre, le nombre des entreprises chinoises désignées à ce jour pour mener les travaux de génie civil de la future LGV. On a entre autres CRCC 20, China Railway No.04 Engineering et Shandong Hi-Speed Engineering-Construction. Il faut d’ailleurs rappeler que, telle une nation émergente avec ses ambitions sur la scène internationale, le Maroc est dans une posture stratégique d’ouverture. Dans l’un de ses rapports, le laboratoire de réflexion IRES s’était penché sur le sujet.
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Dans son analyse dédiée à la coopération Chine-Maroc, il déchiffre les enjeux de cette coopération : « Au-delà de ces partenariats bilatéraux, le Maroc continuera à partager son expérience accumulée et son savoir-faire consolidé, afin d’asseoir une coopération triangulaire riche et diversifiée, fondée sur un véritable partenariat “gagnant-gagnant” avec la Chine… ».
« Fort d’une économie ouverte qui se diversifie, disposant d’infrastructures modernes (Port Tanger Med, aéroports, TGV…) et grâce à ses partenariats avec l’Europe et les États-Unis, le Maroc, en tant que hub régional, peut jouer un rôle actif dans le déploiement des Nouvelles Routes de la Soie. En outre, de par leur expérience avérée des marchés africains, les entreprises marocaines pourraient être des partenaires de choix pour les entreprises chinoises », expliquait l’étude de l’IRES. Pour l’économiste Aissaoui, cette décision de la Chine de suppression douanière pourrait permettre au Maroc d’aller davantage sur ce marché. « À l’aune de l’hydrogène, où le Maroc est très à fond dans ce chantier, dans les années à venir, il pourrait ouvrir un véritable couloir de coopération. »