Le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) de l’Union européenne, qui entrera en vigueur dès le 1er janvier 2026, imposera une taxe sur les produits importés en Europe en fonction de leur empreinte carbone, avec des certificats d’émissions dont le coût variera entre 60 et 100 euros par tonne de CO2. Une forme de droit de douane. Le Maroc, qui expédie près de 65% de ses exportations vers l’Europe pourrait être impacté par cette future taxe carbone. Pour les industriels marocains cette taxe carbone représente un défi ambivalent. Ceux qui n’auront pas réduit leurs émissions risquent de voir leurs produits perdre en compétitivité sur le marché européen, en raison des coûts supplémentaires. En revanche, ceux qui s’aligneront sur les normes climatiques européennes pourraient bénéficier d’une meilleure attractivité. Les industriels disposent encore de huit mois pour se conformer au MACF. Que risquent-ils ? Comment s’y mettent-ils ?
La décarbonation est le nouveau défi de l’industrie marocaine, en particulier celle exportatrice vers l’Europe, destination de près de 65% de ses exportations. À partir du 1er janvier prochain, l’Union européenne (UE) mettra en place un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), qui taxera les importations de produits en fonction de leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Le Maroc, en tant que grand exportateur vers l’UE, est directement concerné par ces nouvelles dispositions.
Le MACF imposera une taxe carbone aux entreprises exportatrices vers l’UE, en fonction de l’intensité carbone de leurs produits. Un seuil d’émissions de GES sera défini, au-delà duquel les produits seront considérés comme polluants et soumis à une taxe pour leur exportation vers l’UE. Ce mécanisme vise à instaurer une concurrence loyale entre les produits européens et ceux importés, et à limiter la délocalisation des industries européennes. Selon un industriel, «65% de nos exportations sont à destination de l’Europe. La taxe carbone peut nous impacter. Si la production n’est pas décarbonée, nous serons en risque maximal, notamment dans la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima, où 80% des exportations vont vers l’UE.»
Les secteurs concernés par le MACF
Au Maroc, plusieurs secteurs industriels seront touchés par cette nouvelle mesure, notamment l’automobile, la parachimie, l’électricité, les fertilisants, l’industrie agro-alimentaire, et le textile. Initialement, le MACF s’appliquera à cinq secteurs : fer et acier, aluminium, ciment, engrais, électricité et hydrogène. Ces secteurs devront payer une taxe carbone à l’importation, estimée entre 60 et 100 euros par tonne de CO₂ émise. Les industriels auront moins de huit mois pour se préparer.
Bien que la production marocaine de fer, d’acier, d’aluminium et de ciment soit actuellement peu concernée (car majoritairement destinée au marché local), l’impact pourrait devenir significatif à moyen terme si le mécanisme s’étend à d’autres industries. Les phosphates, représentant un pilier des exportations marocaines, sont déjà impactés. Toutefois, grâce à une empreinte carbone relativement faible par rapport à leurs concurrents internationaux, les phosphates marocains pourraient conserver un avantage compétitif. En revanche, la dépendance du pays aux énergies fossiles pour produire de l’électricité risque de fragiliser la compétitivité des secteurs comme la métallurgie et le ciment, malgré les investissements réalisés pour verdir leur production.
Le secteur textile : Un modèle à suivre
A partir de 2027-2028, le secteur textile, essentiel aux exportations marocaines, sera également concerné par le MACF. Les industriels du textile, en particulier dans le Nord du Royaume, se mobilisent déjà pour amorcer leur transition énergétique. Ce mouvement est largement soutenu par leurs donneurs d’ordre internationaux, tels qu’Inditex, le géant espagnol de la mode, qui réalise 60% de son sourcing au Maroc. En tant que plus grand donneur d’ordre du secteur de la confection textile au Maroc, avec une part de 65%, Inditex a exprimé son souhait de réduire son empreinte carbone, ce qui incite les industriels marocains à accélérer le processus de décarbonation.
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L’exigence de réduire les émissions de CO2 n’est pas perçue comme une contrainte, mais comme une véritable opportunité pour l’industrie textile marocaine. Une industrie décarbonée pourrait se positionner en pionnière parmi les pays en développement, offrant ainsi une production plus compétitive et attractive pour les clients internationaux. Les industriels locaux savent qu’ils doivent être parmi les premiers à répondre aux nouvelles normes environnementales, désormais incontournables sur le marché mondial.
L’industrie automobile : un précurseur dans la transition énergétique
La transition énergétique dans le secteur textile s’inspire largement de l’industrie automobile, qui a été l’une des premières à prendre des mesures concrètes pour réduire son empreinte carbone. Depuis trois ans, les entreprises du secteur automobile ont amorcé une transition en installant des cellules photovoltaïques sur leurs sites de production. Cette démarche a permis de réduire la dépendance aux énergies fossiles tout en favorisant l’usage d’énergies renouvelables. Bien plus qu’une simple transition écologique, cette initiative constitue une véritable opportunité pour le Maroc de se rapprocher de son objectif d’indépendance énergétique, tout en offrant aux industriels une réduction des coûts de production, gage de leur compétitivité mondiale.
L’agro-industrie : Des efforts à poursuivre
Le secteur agro-industriel marocain, bien que moins avancé dans sa transition énergétique, réalise des progrès. Cependant, des efforts restent nécessaires, notamment pour limiter l’usage de pesticides et d’herbicides dans la production agricole. Malgré ces défis, les performances récentes de l’agro-industrie marocaine sur le marché européen offrent une base solide. Certains produits marocains y sont devenus des références, ce qui renforce la position du Royaume comme fournisseur clé sur ce marché.
Dispositif d’accompagnement
Aujourd’hui, un dispositif d’accompagnement pour la décarbonation des industries marocaines a été mis en place. Par exemple, Maroc PME, dans le cadre de son programme de soutien à la décarbonation des PME industrielles, subventionne l’installation de panneaux photovoltaïques à hauteur de 30 %. Cependant, pour les industriels, le gouvernement doit renforcer les subventions et simplifier les procédures. La décarbonation de l’industrie marocaine est au cœur de la transition énergétique souhaitée par le Royaume.
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Pour réussir la décarbonation, le Département de l’Industrie a ouvert plusieurs chantiers stratégiques. L’un des projets phares est le «War Room Green Economy», conçu pour promouvoir un écosystème dédié au développement de projets verts. L’objectif est de créer des emplois, soutenir l’industrie nationale et décarboner les processus de production. Ce cadre multipartite, basé à l’Agence Marocaine pour l’Efficacité Énergétique (AMEE), doit permettre de générer de l’emploi durable, de substituer les importations et d’augmenter les exportations tout en réduisant l’empreinte carbone des industries marocaines.
Le ministère de l’Industrie, en collaboration avec l’Agence Nationale pour la Promotion de la PME (Maroc PME), a lancé le programme «Tatwir Croissance Verte», destiné à soutenir les TPME industrielles dans le cadre de la relance industrielle 2021-2023. Ce programme vise à accompagner les entreprises dans leurs démarches pour développer des produits et des processus décarbonés, à promouvoir l’émergence de nouvelles filières industrielles vertes et à réduire la pollution industrielle. Financièrement, ce programme apporte un soutien d’un milliard de dirhams pour l’investissement des TPME industrielles dans le domaine de l’économie verte.
Financements européens pour les PME
Dans le cadre de l’accompagnement à la décarbonation, plusieurs lignes de financement ont été mises en place, telles que la Green Value Chain (GVC) et la Green Economy Financial Facility. Ces programmes, soutenus par des partenaires européens et des institutions financières, permettent aux PME marocaines de financer des technologies vertes, comme celles liées à l’énergie renouvelable, à la gestion des ressources et à l’efficacité énergétique. La Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement (BERD) a signé des contrats d’une valeur de plus de 5 milliards d’euros dans le cadre de ces programmes. Cela a permis d’éviter des émissions de 9 millions de tonnes de CO2 par an et de réduire la consommation d’électricité de 30 millions de MWh par an.
La contribution de la BERD
En 2025, grâce aux programmes tels que Morseff (2015-2019), Green Value Chain (lancé en 2019) et GEFFII (lancé en 2020), la BERD aura financé des lignes de financement vert pour un montant total de 360 millions d’euros. Ces financements visent à encourager les entreprises marocaines à adopter des modèles de production durables et à compenser les surcoûts liés à l’adoption de technologies écologiques.
Un mécanisme de «Bilan carbone » pour les entreprises
Le ministère de l’Industrie, en collaboration avec la Fondation Mohammed VI pour l’Environnement, l’AMEE, la CGEM et le ministère de l’Énergie et des Mines, travaille sur la création d’un mécanisme permettant aux entreprises marocaines d’établir un bilan carbone. Le Maroc prépare également un projet de norme nationale qui sera reconnue au niveau européen pour évaluer le bilan carbone des entreprises nationales. Ce projet est bien avancé et attend que l’Union Européenne fixe les critères à mesurer. En parallèle, des discussions sont en cours avec l’Union Européenne pour établir un pacte vert liant les deux parties.
La découverte de gaz naturel dans le gisement de Tendrara par la société britannique Sound Energy offre aux industriels marocains une nouvelle source d’énergie : le gaz naturel liquéfié (GNL). En collaboration avec Afriquia Gaz, Sound Energy permettra aux industriels de bénéficier d’un produit au pouvoir calorifique par kilogramme beaucoup plus élevé que celui du propane ou du butane, tout en réduisant l’empreinte carbone. Cela contribuera à accroître la compétitivité des industries marocaines.
Les industriels et exportateurs marocains sont conscients des enjeux de la taxe carbone européenne, qui pourrait avoir un impact significatif sur leur compétitivité. Toutefois, cette taxe a suscité des critiques, notamment de la part de pays émergents, qui l’accusent de protectionnisme et de discrimination. Selon la CNUCED, l’agence des Nations Unies pour le commerce et le développement, cette taxe pourrait rediriger les flux commerciaux vers des pays où la production est moins polluante, mais son impact sur le réchauffement climatique serait limité.
La mise en place de la Taxe carbone marocaine : un système adapté
Face à la taxe carbone européenne, le Maroc prépare sa propre taxe carbone, inspirée des meilleures pratiques internationales, mais adaptée aux spécificités locales. Cette taxe carbone devrait être mise en place dès 2025, avec un prix du carbone défini. L’IMANOR sera l’entité publique chargée de valider les bilans carbone des entreprises marocaines. De plus, des inspecteurs seront formés pour contrôler l’application de cette taxe. Parallèlement, le Maroc envisage la création d’un marché carbone national d’ici janvier 2026, afin d’aligner sa régulation avec celle de l’Union Européenne et de réduire l’impact fiscal du Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (MACF).
L’impact de la taxe carbone sur l’industrie textile marocaine et son exportation vers l’UE
Dans une usine du secteur textile, un industriel produit chaque année une variété d’articles destinés à l’exportation. À l’instar des autres acteurs de l’industrie, il doit évaluer l’impact environnemental de ses activités. Son bilan carbone annuel provient principalement de deux sources : la consommation d’électricité et l’utilisation de gasoil pour alimenter ses machines. Grâce à des facteurs de conversion adaptés à chaque type d’énergie, il est possible de déterminer la quantité exacte de CO2 émise par ces deux sources. Ce calcul permet de dresser un bilan carbone annuel précis, essentiel pour comprendre et gérer son empreinte environnementale.
Concrètement, chaque article fabriqué a une empreinte carbone, exprimée généralement en grammes par unité produite. L’entreprise exportatrice est donc tenue de déclarer le volume total de CO2 de ses exportations, qui sera soumis à une taxe carbone aux frontières de l’UE. Selon la Commission européenne, les importateurs de ces produits devront acheter des certificats carbone auprès de leurs autorités nationales. Le prix de ces certificats sera directement lié au coût du CO2 sur le marché européen du carbone.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là pour l’entreprise marocaine. En s’engageant dans un processus d’efficacité énergétique et en intégrant des énergies renouvelables dans ses opérations, elle peut réduire son empreinte carbone. Ce faisant, elle contribuera non seulement à la protection de l’environnement, mais verra aussi ses coûts fiscaux diminuer, car elle devra payer moins de taxes liées aux émissions de CO2.