La commission technique chargée de la réforme des régimes de retraite se réunit de nouveau le 18 septembre avec les syndicats et le patronat pour relancer la réforme. Face à un système de retraites à bout de souffle, les principaux régimes affichent des déficits et risquent d’épuiser rapidement leurs réserves. Les syndicats, tout en reconnaissant la nécessité d’agir, exigent des garanties sur le maintien du pouvoir d’achat des pensions et sur la non-remise en cause des droits acquis.
Dans le cadre de la mise en œuvre des conclusions de l’Accord social et de la Charte Nationale du Dialogue social, conclu le 30 avril 2022 entre le Gouvernement, les centrales syndicales et les organisations et associations professionnelles des employeurs, une commission chargée de la réforme des régimes de retraite a vu le jour. La création de cette commission émane de la volonté du Gouvernement et des partenaires sociaux de lancer la réforme systémique des régimes de retraite dans un cadre de dialogue ouvert et constructif entre l’ensemble des partenaires.
Cette commission a tenu sa première réunion le 5 octobre 2022, présidée par Nadia Fettah, ministre de l’Economie et des Finances. Ses travaux ont fait le constat que les principaux régimes sont déjà en déficit structurel : la Caisse Marocaine de Retraite (CMR) affiche un déficit de 7,8 MMDH et pourrait épuiser ses 68 MMDH de réserves dès 2028 ; le RCAR (Régime collectif d’allocation de retraite) enregistre un déficit de 3,3 MMDH ; la CNSS (Caisse Nationale de Sécurité Sociale) qui profite encore d’un équilibre démographique favorable, risque de voir ses 61 MMDH de réserves disparaître en 2038.
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La situation est d’autant plus critique, que le ratio cotisants/retraités s’est effondré de 7 pour 1 au début des années 2000 à, seulement, 2 pour 1 aujourd’hui, compte tenu de la baisse du recrutement dans le secteur public. Par conséquent, pour le gouvernement, une réforme paramétrique s’impose à court terme comme un impératif technique. Le maintien du statu quo exposerait le pays à une explosion des déficits publics ou à une incapacité à verser les pensions.
Le nouveau round du dialogue social du 18 septembre va permettre de poursuivre les discussions avec les syndicats sur la réforme. La feuille de route gouvernementale, discutée avec les syndicats et les organisations patronales, confirme l’orientation vers un système à deux pôles. Un pôle public, avec un régime de base plafonné et un régime complémentaire obligatoire et un pôle privé, intégrant à la fois les salariés et les travailleurs indépendants, avec possibilité de souscrire à des régimes complémentaires facultatifs. Ce modèle vise à harmoniser les règles (âge de départ, taux de cotisation, méthode de calcul), à réduire les inégalités entre assurés et , avec un risque de «nivellement par le bas», à améliorer la portabilité des droits.
Parmi les mesures discutées, figurent le relèvement progressif de l’âge de départ à la retraite à 65 ans pour tous les secteurs, une hausse des taux de cotisation, avec un partage équilibré entre salariés et employeurs, la révision du mode de calcul des pensions, basé sur un nombre plus élevé d’années de référence, l’extension de la couverture aux indépendants, saisonniers et travailleurs informels et le gel temporaire de la revalorisation automatique des pensions, dans une logique de stabilisation financière.
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Le Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, a affirmé le 10 septembre dernier, dans une interview diffusée sur les chaînes Al Aoula et 2M, que «Toute réforme du système des retraites ne pourra être mise en œuvre sans l’accord des syndicats, la complexité du dossier nécessite un consensus. Le gouvernement a sa vision et les syndicats ont la leur, il est impossible d’avancer sur ce chantier sensible sans convaincre nos partenaires sociaux ». Le Chef du gouvernement a rappelé que le déficit technique du régime des pensions civiles de la CMR était initialement prévu pour 2028, mais que les dernières hausses salariales ont permis de repousser l’échéance de trois ans. Il a également insisté sur la volonté de son équipe de dialoguer avec le Parlement, majorité comme opposition.
Mais le chemin reste semé d’embûches. Les syndicats, tout en reconnaissant la gravité de la situation, refusent un report mécanique de l’âge de départ sans étude d’impact différenciée selon les secteurs. Ils rejettent toute solution parcellaire et exigent une approche globale, mêlant réformes profondes et garanties sociales, afin d’assurer la viabilité du système sans sacrifier les droits des retraités actuels et futurs. Parmi leurs propositions figurent la diversification des sources de financement -via de nouvelles contributions ou l’élargissement de l’assiette des cotisants-, tout en veillant à un équilibre juste entre prestations et charges.
A noter que sur les 13 millions d’actifs au Maroc, près de 11 millions ne sont affiliés à aucun régime de retraite, soit seulement 16% de couverture globale. Côté patronat, des réserves existent quant à l’augmentation des cotisations, perçue comme un risque pour la compétitivité des entreprises, en particulier les PME.
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La reprise des réunions de la commission technique le 18 septembre constitue donc une étape cruciale. Gouvernement, syndicats et patronat devront s’accorder sur un compromis historique. Le système actuel, incapable d’absorber les futurs chocs démographiques et économiques, doit être profondément repensé. Le statu quo n’est plus tenable, plus le Maroc attend, plus la facture sociale et budgétaire s’alourdit, avec le risque d’être aggravée par une fracture sociale.
L’alerte du «Rapport sur la Stabilité Financière 2024»
Le rapport 2024 de Bank Al-Maghrib, de l’ACAPS (Autorité de Contrôle des Assurances et de la Prévoyance sociale) et de l’AMMC (Autorité marocaine du marché des capitaux) sur la stabilité financière, met à nu les fragilités persistantes du système marocain des retraites. Selon ce rapport, en 2024 les régimes de retraite de base continuent d’enregistrer des déséquilibres structurels… Pour les régimes du secteur public (CMR et RCAR), la revalorisation des salaires a permis d’améliorer les cotisations ce qui a atténué partiellement les déficits. Toutefois, la viabilité à long terme de ces régimes n’a pas connu d’amélioration significative.
Dans ce contexte, il devient de plus en plus indispensable de procéder à la réforme du secteur. Une tarification équilibrée des régimes devrait être instaurée au terme de cette réforme permettant de résorber une grande partie des engagements non couverts des régimes et d’assurer leur soutenabilité à long terme. Le document met également en garde contre les évolutions démographiques, marquées par l’accélération du vieillissement de la population, qui font de cette réforme «un chantier d’urgence devant figurer parmi les priorités du programme gouvernemental ».
