BTP. A l’épreuve des grands chantiers, une filière en pleine mutation

Au Maroc, le secteur du BTP connaît une transformation historique portée par des projets d’infrastructure colossaux. Symbole de cette dynamique, le Grand Stade de Casablanca, confié à deux fleurons nationaux du secteur, incarne une ambition industrielle bien au-delà du béton. Pour l’Economiste Mohammed Jadri, c’est tout un écosystème marocain qui se structure autour de cette vague d’investissements stratégiques. Un tournant décisif pour hisser le BTP marocain vers l’innovation, la durabilité et la compétitivité internationale.
Le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) marocain vit une phase de croissance sans précédent, alimentée par une série de projets structurants qui redessinent les contours du territoire, mais aussi les bases industrielles et technologiques du pays. Pour Mohammed Jadri, Economiste et Directeur de l’Observatoire de l’Action Gouvernementale, cette dynamique n’est pas conjoncturelle : « La dynamique actuelle du secteur du BTP au Maroc ne relève pas du hasard, mais d’une volonté stratégique de faire des infrastructures un levier de développement économique, social et territorial. »
Parmi les projets emblématiques, le Grand Stade de Casablanca, prévu à Benslimane, illustre parfaitement cette nouvelle ambition. D’un coût global dépassant 3,4 milliards de dirhams, ce chantier d’envergure continentale a été confié au groupement formé par SGTM et TGCC, deux entreprises marocaines phares du BTP. Ce choix témoigne non seulement de la montée en compétence des acteurs nationaux, mais aussi de la volonté d’ancrer la valeur ajoutée localement. Ces deux groupes symbolisent l’industrialisation croissante du secteur, tout en incarnant la capacité du Maroc à porter des projets aux standards internationaux.
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« Lorsqu’un grand projet se met en place, il induit une demande massive et régulière en matériaux de construction (acier, ciment, béton prêt à l’emploi, aluminium, verre technique, etc.), ce qui stimule la production nationale et pousse les industriels à investir dans de nouvelles capacités », explique Mohammed Jadri. Cette forte demande entraîne une dynamique de modernisation de la filière matériaux, encourageant les investissements industriels sur le territoire national.
Mais l’impact va bien au-delà. « Des bureaux d’études et d’ingénierie marocains participent à ces projets, souvent en co-traitance avec des cabinets internationaux, ce qui favorise un transfert de compétences », observe Jadri. À l’ombre des grues, une génération d’ingénieurs marocains monte en puissance, tandis que des startups locales spécialisées dans la modélisation BIM, les capteurs connectés ou encore la gestion intelligente des chantiers gagnent en visibilité. Le BTP devient ainsi un levier d’innovation.
Sur le plan de la formation, cette dynamique impose une montée en compétences rapide. « Ces projets entraînent une collaboration renforcée avec les offices de formation professionnelle (OFPPT) et les écoles d’ingénieurs (ENSA, EMI, etc.) pour répondre à des besoins techniques très spécifiques, dans des délais réduits », poursuit l’Economiste. Cette interaction entre le monde académique et les besoins industriels crée « les bases d’un écosystème cohérent, ancré localement, avec une vision long terme de souveraineté technologique ».
Cependant, pour que cet élan se pérennise, plusieurs défis de taille doivent être anticipés. « Pour que cette dynamique dépasse le simple effet d’aubaine, plusieurs défis majeurs doivent être relevés », avertit Mohammed Jadri. Il cite d’abord la planification stratégique : « Il est crucial d’inscrire ces grands projets dans une vision nationale d’aménagement du territoire, évitant les investissements dispersés ou redondants. »
Le financement durable constitue un second pilier essentiel. « Renforcer les mécanismes de partenariats public-privé, mobiliser des fonds souverains ou des financements innovants (obligations vertes, garanties étatiques…) permettra de sécuriser les projets sur le long terme », précise-t-il.
La question des compétences humaines reste également critique. « La formation initiale et continue doit être adaptée aux nouveaux besoins (digitalisation, écoconstruction, maintenance intelligente…) », recommande-t-il, pointant une pénurie de main-d’œuvre qualifiée.
L’adoption de standards environnementaux devient, quant à elle, incontournable: « L’adoption de normes environnementales (HQE, matériaux recyclés, neutralité carbone) est un impératif si le Maroc veut aligner son BTP avec les exigences ESG des marchés internationaux », analyse l’Economiste.
Enfin, Jadri insiste sur l’importance d’une meilleure structuration des PME locales : « Leur accès au financement, aux marchés publics et à l’innovation doit être amélioré, sous peine de les marginaliser face aux grands groupes », alerte-t-il. Sans un tissu de PME dynamique et intégré, la chaîne de valeur restera incomplète.
En définitive, « il faut passer d’un secteur réactif à un secteur proactif, structuré, agile et résilient », résume-t-il. Les grands projets comme celui du Grand Stade de Casablanca, ne doivent pas être perçus uniquement comme des symboles nationaux, mais comme des catalyseurs de transformation en profondeur.
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« Les grands projets structurants, à l’image du Grand Stade de Casablanca, ne sont pas seulement des chantiers de prestige : ce sont des catalyseurs de transformation, qui tirent vers le haut toute une filière nationale », conclut Mohammed Jadri.
Pour le Maroc, le véritable pari ne se joue pas uniquement sur les chantiers, mais dans sa capacité à transformer cette effervescence en modèle. Un modèle marocain du BTP, technologique, durable, exportable. Une ambition qui se construit aujourd’hui… brique par brique.

Avis d’expert
Mohammed Jadri,Economiste et Directeur de l’Observatoire de l’Action Gouvernementale
Challenge : Le secteur du BTP connaît actuellement une floraison sans précédent au Maroc. Quelles sont, selon vous, les principales raisons de cette dynamique, et en quoi les grands projets structurants y contribuent-ils concrètement ?
Mohammed Jadri : Le secteur du BTP bénéficie d’un Momentum exceptionnel au Maroc, qui s’explique par une combinaison de facteurs structurels et conjoncturels. D’une part, l’État marocain a inscrit la modernisation des infrastructures dans sa stratégie nationale de développement, que ce soit à travers le Nouveau Modèle de Développement ou les préparatifs pour des échéances majeures comme la Coupe du Monde 2030 ou l’organisation de la CAN 2025.
Les grands projets structurants – autoroutes, LGV, zones industrielles, ports comme Nador West Med, ou encore le Grand Stade de Casablanca – ont une double fonction :
Ils répondent à des besoins réels en matière de connectivité, de compétitivité et d’attractivité territoriale, tout en servant de catalyseurs pour la relance économique post-COVID. Ces projets injectent des milliards de dirhams dans l’économie, dynamisent des filières industrielles et attirent de nouvelles compétences.
De plus, cette dynamique est soutenue par des réformes réglementaires (Code des marchés publics, simplification des procédures foncières, etc.) et une volonté de renforcer le partenariat public-privé, avec des mécanismes innovants de financement et de co-construction.
Challenge : Le chantier du grand stade de Casablanca est emblématique. Quels effets d’entraînement ce type de projet peut-il avoir sur l’ensemble de la filière BTP, en particulier pour les PME et sous-traitants marocains ?
M.J. : Le Grand Stade de Casablanca, qui devrait accueillir plus de 100000 spectateurs et respecter les normes FIFA les plus exigeantes, est bien plus qu’un simple chantier. Il s’agit d’un projet intégrateur qui mobilise l’ensemble des métiers du BTP : génie civil, architecture, VRD, menuiserie, câblage, climatisation, systèmes de sécurité intelligents, etc.
Pour les PME et sous-traitants marocains, c’est une opportunité unique : Transfert de technologies: les normes internationales exigées permettent aux entreprises locales d’accéder à des technologies de pointe et d’améliorer leurs standards de qualité.
Professionnalisation : les PME sont contraintes d’améliorer leur gestion, leur conformité administrative et leur capacité d’innovation pour être éligibles à la sous-traitance.
Création d’emplois : ce type de projet génère des milliers d’emplois directs (ingénieurs, ouvriers spécialisés…) et indirects (transports, restauration, sécurité…).
Référencement : avoir participé à ce projet sert de label de compétence pour conquérir de nouveaux marchés à l’échelle nationale et continentale.
En somme, ce chantier agit comme un effet d’entraînement systémique qui renforce l’ensemble de la chaîne de valeur du BTP marocain.
Challenge : L’implication de deux géants nationaux comme SGTM et TGCC dans ce projet stratégique traduit-elle une montée en compétence du secteur marocain du BTP à l’échelle internationale ?
M.J. : Tout à fait. La désignation de SGTM et TGCC, deux groupes marocains, pour piloter ce chantier stratégique démontre que le BTP national a atteint une maturité industrielle et managériale capable de rivaliser avec les standards internationaux. Ces deux groupes ont déjà une forte expérience dans les projets complexes : hôpitaux, infrastructures portuaires, stades, hôtels, aéroports… Leur capacité à mobiliser des équipes pluridisciplinaires, à piloter des projets avec des budgets de plusieurs milliards de dirhams et à livrer dans des délais stricts, fait d’eux des acteurs de référence au Maghreb et en Afrique de l’Ouest.
Leur implication traduit aussi un changement de paradigme : le Maroc ne se contente plus d’importer des compétences étrangères, il les exporte. Cette montée en puissance s’inscrit dans une logique de positionnement stratégique sur le continent africain, notamment dans le cadre de la diplomatie économique et de la vision Sud-Sud portée par S.M. le Roi Mohammed VI.