Communication

Publicités mensongères en ligne. Quelle protection pour les consommateurs ?

Sites frauduleux, offres trop belles pour être vraies, influenceurs peu scrupuleux… Les publicités mensongères pullulent sur internet, mettant les consommateurs à rude épreuve. Si la loi marocaine encadre déjà ces pratiques, son efficacité reste limitée face aux nouvelles formes de diffusion en ligne. Le Dr Ahmed Benattou, Docteur en sciences juridiques et politiques et Cadre administratif au Ministère de l’Enseignement supérieur, livre une analyse rigoureuse de la situation. 

Les publicités mensongères en ligne ne sont pas un phénomène nouveau, mais leur multiplication sur les plateformes numériques leur donne aujourd’hui une ampleur inédite. Face à des techniques de plus en plus sophistiquées, les consommateurs se retrouvent souvent démunis. Et malgré un arsenal juridique existant, les outils de contrôle et de répression restent insuffisants, surtout à l’heure des réseaux sociaux et de l’économie de l’influence.

Interrogé sur la situation actuelle, Ahmed Benattou, Docteur en sciences juridiques et politiques et Cadre administratif au Ministère marocain de l’Enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de l’innovation, rappelle que «la publicité constitue l’un des principaux vecteurs utilisés par les professionnels, vendeurs ou industriels, pour promouvoir leurs produits auprès du public. Parmi ces professionnels, il existe certains qui sont mus par l’appât du gain facile et rapide, prêts à vendre des produits avariés, dénaturés et des fois, dangereux pour la santé. Ces esprits peu scrupuleux ont recours à des pratiques déloyales pour réaliser leur objectif, notamment à travers des publicités mensongères consistant à présenter les produits de manière fallacieuse, en altérant délibérément la réalité. »

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Selon Ahmed Benattou, la vigilance du consommateur est cruciale : «Il incombe au consommateur d’être vigilant, en particulier lors de ses achats en ligne, où les risques de manipulation et d’arnaques sont plus fréquents et difficiles à détecter. »

L’expert précise que : «La publicité est considérée comme mensongère lorsqu’elle présente de manière délibérément erronée les éléments constitutifs d’un produit, ses caractéristiques essentielles ou encore la qualité d’un service. Autrement dit, dès que les informations fournies dans le message publicitaire ne correspondent pas à la réalité du bien ou de la prestation proposée, il y a une volonté de tromper le consommateur. »

Il ajoute «Cela peut concerner la composition du produit, ses performances, sa provenance, sa date de péremption, ses effets attendus, ou encore les conditions dans lesquelles le service est rendu. Ce type de publicité porte atteinte à la transparence de l’information et fausse le consentement du consommateur, qui fait son choix d’achat sur la base de données inexactes ou déformées.»

En effet, en matière de législation, le cadre est clair : «La publicité mensongère est strictement encadrée par la législation marocaine, notamment par la loi n° 31-08 relative à la protection du consommateur. Selon cette loi, toute forme de publicité, qu’elle soit écrite, orale, visuelle ou diffusée par voie électronique, est interdite dès lors qu’elle induit en erreur le consommateur sur des éléments essentiels du produit ou du service proposé.»

Il explique que les éléments visés incluent « la nature du bien, sa composition, son prix, ses qualités substantielles, sa quantité, son origine ou son mode de fabrication, son usage prévu, ainsi que l’identité, les qualifications ou les engagements du fabricant ou du vendeur. « Toute publicité qui donne une fausse image du produit ou du professionnel constitue donc une pratique déloyale et trompeuse. »

Des sanctions prévues par plusieurs lois

«Cette pratique est sévèrement sanctionnée par plusieurs textes législatifs. En plus de la loi n° 31-08 susmentionnée, la loi n° 77-03 relative à la communication audiovisuelle ainsi que la loi n° 13-83 relative à la répression des fraudes viennent renforcer le cadre répressif. Les sanctions prévues peuvent aller jusqu’à une amende d’un million de dirhams, selon la gravité des faits et les conséquences sur les consommateurs. »

Ahmed Benattou souligne la dimension numérique du problème : « Si la publicité mensongère est diffusée massivement par voie électronique – par exemple via des e-mails, des messages SMS ou sur les réseaux sociaux – et qu’elle provoque une saturation ou une paralysie des systèmes informatiques, les peines deviennent encore plus lourdes. »

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Dans ce cas, « le contrevenant s’expose à une peine d’emprisonnement allant d’un à trois ans, accompagnée ou non d’une amende additionnelle comprise entre 10.000 et 200.000 DH. Cette disposition vise à protéger non seulement les consommateurs, mais aussi la sécurité des systèmes d’information et l’intégrité des infrastructures numériques. »

Il insiste sur le fait que « le législateur marocain considère la publicité mensongère comme une atteinte grave aux droits du consommateur et à la loyauté des relations commerciales, et la réprime avec la plus grande rigueur. »

Les indices qui alertent 

«La législation en matière de protection du consommateur présente un caractère essentiellement conjoncturel, c’est-à-dire qu’elle intervient a posteriori pour remédier à des situations préjudiciables, plutôt que de les prévenir de manière systématique. Il en résulte une exigence accrue de vigilance de la part du consommateur ». 

Selon lui, « le consommateur peut recourir à plusieurs indicateurs pour identifier une publicité potentiellement mensongère, afin d’éviter d’être induit en erreur. »

Parmi les signaux d’alerte, il cite : « les offres dont les avantages sont manifestement exagérés, les sites internet qui usurpent l’identité d’une plateforme existante en reproduisant son apparence tout en comportant de nombreuses fautes d’orthographe, ainsi que les e-mails publicitaires non sollicités. »

Il ajoute « il convient également de se méfier de l’absence de dispositifs de paiement sécurisé, notamment l’absence du protocole HTTPS ou de logos de sécurité fiables, et de la présence de nombreux commentaires manifestement fictifs, exclusivement positifs, qui peuvent constituer des indices de pratiques commerciales trompeuses. »

Des limites structurelles 

Sur un autre volet, Ahmed Benattou dresse un constat sévère des insuffisances actuelles « malgré l’existence de la loi n° 31-08 relative à la protection du consommateur, son application demeure partielle et inégale, principalement en raison d’un déficit de contrôle effectif sur le terrain, tel que l’absence d’inspections régulières des prix et de la qualité des produits, et d’une faible répression des infractions, ce qui en réduit considérablement l’effet dissuasif. »

Il met également en lumière les difficultés des institutions « les organismes chargés de la protection du consommateur souffrent d’un manque de moyens humains et logistiques, se traduisant notamment par une pénurie de personnel qualifié, l’insuffisance d’équipements techniques, tels que les laboratoires d’analyse, et une coordination défaillante entre les services concernés.»

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À cela, s’ajoute une faiblesse de la société civile, nous confie l’expert « le tissu associatif œuvrant pour la défense des consommateurs est en nombre limité et soumis à des conditions de création strictes, peu financées, faiblement implantées sur le territoire et dotées de capacités d’action restreintes, tant en matière de sensibilisation que de recours collectifs »

Il déplore aussi l’inefficacité des recours « les mécanismes de règlement des litiges en ligne demeurent peu accessibles et peu efficaces quand il est question de litiges entre le professionnel et le consommateur, particulièrement en ce qui concerne le droit de rétractation, la sécurité des paiements, les délais de livraison, ainsi que la responsabilité des plateformes en cas de fraude ou de défaut des produits.»

Et de conclure « À cela s’ajoute une ignorance par les consommateurs de leurs droits, due à un faible niveau d’information et à des campagnes de sensibilisation sporadiques, peu ciblées et insuffisamment relayées ». 

Une législation à adapter aux réalités numériques

Par ailleurs, le développement des réseaux sociaux et des influenceurs impose une adaptation du droit, que le cadre actuel peine à intégrer. L’expert le confirme (voir interview). 

Face à ces nouvelles formes de publicité, il devient impératif d’élargir la loi aux pratiques digitales émergentes, d’accélérer les procédures judiciaires et de renforcer la responsabilité des plateformes.

Le message est clair : si le droit encadre les pratiques, c’est sur le terrain et face aux évolutions technologiques, qu’il doit maintenant faire ses preuves.

2 questions à Ahmed Benattou // Docteur en sciences juridiques et politiques et Cadre administratif au Ministère marocain de l’Enseignement supérieur de la recherche scientifiques et de l’innovation

«À ce jour, il n’existe aucun statut juridique spécifique imposant une responsabilité claire aux influenceurs»

Challenge : Avec l’explosion des influenceurs et des plateformes sociales, comment la régulation actuelle prend-elle en compte ces nouveaux canaux de diffusion publicitaire ?
Ahmed Benattou :
La loi sur la protection du consommateur, adoptée en 2011, ne prend malheureusement pas en compte les évolutions récentes d’internet, en particulier celles liées aux réseaux sociaux et à l’activité des influenceurs. Cette loi interdit les pratiques commerciales trompeuses, mais ne prévoit pas spécifiquement des mesures concernant les formats numériques (documents, images, vidéos, livres électroniques). La loi n° 77.03 sur la communication audiovisuelle, quant à elle, concerne uniquement les médias traditionnels. Les Plateformes comme Meta ou Instagram échappent encore à son contrôle.
À ce jour, il n’existe aucun statut juridique spécifique imposant une responsabilité claire aux influenceurs, ni de cadre législatif adapté à la régulation des espaces numériques complexes tels que YouTube ou TikTok. Ces plateformes, bien que massivement utilisées à des fins de promotion commerciale, échappent largement à une réglementation cohérente en matière de communication publicitaire et de protection du consommateur. Cette absence de régulation favorise la prolifération de pratiques trompeuses, voire frauduleuses, sans que les auteurs ou les hébergeurs n’en répondent de manière effective devant la loi. Devient alors impérative, la nécessité d’une intervention législative ciblée, visant à encadrer les activités promotionnelles des créateurs de contenu en ligne et à clarifier leurs responsabilités en cas de manquements à leurs obligations.

Challenge : Quelles solutions concrètes -technologiques, juridiques ou éducatives- pourraient mieux protéger les internautes face à la prolifération des contenus commerciaux frauduleux ?
Face à la montée des pratiques commerciales trompeuses, notamment dans l’environnement numérique, plusieurs pistes technologiques, juridiques et éducatives s’imposent.
D’un point de vue technologique, l’intelligence artificielle représente une solution efficace pour lutter contre les contenus frauduleux, notamment grâce à ses filtres automatisés capables d’identifier les publicités mensongères et les fausses annonces. Cette efficacité repose en grande partie sur des algorithmes de machine learning qui permettent à l’IA d’apprendre rapidement et de s’adapter aux nouvelles stratégies de fraude.
Juridiquement, il convient en premier lieu de renforcer le cadre législatif existant, notamment la loi 31-08 relative à la protection du consommateur, à l’instar de la directive européenne 2005/29/CE relative aux pratiques commerciales déloyales, afin de mieux encadrer les nouveaux modes de communication et de consommation. Ce renforcement devrait s’accompagner d’un durcissement des sanctions applicables aux fraudeurs, incluant des amendes substantielles, voire la fermeture des sites concernés. Par ailleurs, une coopération internationale accrue est indispensable, dans la mesure où les fraudes numériques défient souvent les frontières en étant hébergées à l’étranger. Dans ce cadre, des accords bilatéraux ou multilatéraux ainsi que des actions concertées sous l’égide d’organisations telles qu’Interpol, Europol ou l’OCDE peuvent permettre de mieux détecter, poursuivre et sanctionner les infractions. Enfin, une responsabilisation renforcée des plateformes numériques constitue un levier essentiel. Les géants de la technologie doivent être assujettis à une obligation légale de modération des contenus illicites, et tenus d’agir activement en cas de signalement, sans oublier d’imposer à des acteurs comme Amazon ou TikTok des obligations strictes en matière de transparence, de contrôle des contenus et de lutte contre les pratiques frauduleuses en ligne.
D’un point de vue éducatif, il serait judicieux que les consommateurs bénéficient d’une formation axée sur les bons réflexes à adopter en ligne, afin d’accroitre leur niveau de vigilance et d’améliorer l’information dont ils disposent quant aux nouveautés imposées par la réalité numérique.

 
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