C’est le thème du webinaire organisé, le 28 novembre dernier à Rome dans le cadre de la Fête de la Science, par l’organisme français de recherche agronomique (CIRAD)1 et ses partenaires. Cette conférence a été une occasion pour discuter de l’apport de la science à la problématique de la disponibilité de la nourriture à l’horizon 2050, face à la croissance démographique et dans un contexte de rareté des ressources et de changement climatique.
Nourrir le monde en 2050 tout en préservant la planète est une thématique essentielle à l’approche de 2030, qui est l’horizon des “Objectifs de développement durable’’ (ODD), adoptés par les Nations Unies en 2015. Assurer la sécurité alimentaire, promouvoir une agriculture durable, préserver la planète et lutter contre le changement climatique restent des objectifs très compliqués à réaliser. Dans son discours introductif, Tanguy Stehelin, Ambassadeur, représentant permanent de la France auprès des Nations Unies à Rome, a souligné que « Nourrir le monde en 2050, tout en préservant la planète, repose sur la contribution de la Science qui a permis de répondre à des enjeux mondiaux comme celui de la santé. Toutefois, le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, la pollution des océans et la malnutrition sont toujours d’actualité et posent un défi à la science ».
Pour répondre à la question ‘’Combien d’humains à nourrir en 2050’’, Bénédicte Gastineau, démographe à l’IRD2, a précisé que «La population mondiale va croître jusqu’en 2050, mais à des rythmes différents selon les continents et selon les pays. C’est principalement l’Afrique subsaharienne qui va contribuer à la croissance démographique des années à venir. Des pays comme la RDC, le Nigeria ou l’Éthiopie vont connaître des croissances démographiques relativement rapides. A l’inverse, d’autres pays vont connaître une décroissance de leur population tels la Chine, le Japon ou même l’Europe dans sa globalité… Les projections pour 2050 sont fiables, les évolutions sont connues, à moins d’une catastrophe inédite qui provoquerait un grand nombre de décès, notamment chez les personnes jeunes ». Elle a rappelé aussi un autre changement démographique non moins important, annoncé par les Nations Unies, c’est le doublement du nombre de personnes âgées de 65 ans et plus d’ici 2050, qui passerait de 9% aujourd’hui à 16% en 2050, avec des pays comme le Japon où on aurait 40% de la population qui aurait 65 ans ou plus en 2050.
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L’agriculture est à la croisée de défis multiples afin d’assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations. Parmi ces défis, le dérèglement climatique figure parmi les sujets les plus préoccupants à cause des événements extrêmes qui se multiplient et une augmentation de la variabilité saisonnière. Il y a donc un enjeu d’adaptation de l’agriculture aux effets du changement climatique et la sélection variétale fait clairement partie des solutions préconisées par la recherche scientifique. D’après Carole Caranta, chercheuse à l’INRAE3, le premier enjeu est de sélectionner des plantes plus résistantes et plus efficientes, non seulement au changement climatique, mais aussi aux conséquences qui en résultent. En plus de permettre de passer au travers du stress hydrique ou de grandes périodes de froid, l’amélioration des plantes s’oriente aussi vers la sélection de nouveaux caractères telle l’allélopathie (phénomène biologique où une plante produit et libère des composés chimiques qui influencent la croissance et la survie d’autres plantes voisines).
Etant donné que les plantes communiquent entre elles par des signaux biochimiques, l’idée est de guider, par la sélection, ces communications entre les plantes vers la limitation de la croissance des mauvaises herbes. C’est l’exemple d’une nouvelle variante de riz qui, grâce à la sécrétion d’une molécule appelée lactone produite par le riz, permet de jouer un rôle dans l’inhibition de la croissance des plantes nuisibles avoisinantes. On peut également sélectionner des plantes qui contribueraient à l’atténuation du changement climatique ; « des plantes conçues avec un système racinaire plus performant pour améliorer la photosynthèse, l’accumulation de biomasse et optimiser ainsi le stockage du carbone dans les sols ».
Autre avancée, d’après Thierry Fourcaud, chercheur au CIRAD, l’intelligence artificielle (IA) peut apporter des solutions car en transformant des millions de mesures en connaissances scientifiques exploitables, les algorithmes constituent un atout majeur. Ils permettent, par exemple, le phénotypage (détermination des caractères apparents d’un organisme, résultant de l’interaction entre son patrimoine génétique et son environnement) qui vise à comprendre comment les gènes et l’environnement influencent les caractéristiques morphologiques, biophysiques et biochimiques des organismes. Les algorithmes d’IA peuvent aussi nous donner une longueur d’avance sur les crises sanitaires à travers une veille, dite syndromique. Ces outils cherchent des mots-clés liés à des symptômes, à des phénomènes mystérieux ou des sentiments d’inquiétude qu’on va recouper dans les réseaux sociaux. Des signaux faibles vont permettre de détecter des maladies nouvelles ou bien des foyers d’émergence de maladies connues et ainsi de réagir rapidement pour limiter la propagation.
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Il reste enfin un défi de taille, celui de changer les comportements alimentaires des ménages. Sophie Nicklaus, de l’INRAE explique qu’il est nécessaire d’apporter des changements au régime alimentaire, en dépit de la difficulté de cette tâche. Des comportements qui se caractérisent par la surconsommation de viande, constatée notamment dans les sociétés développées, et la qualité des régimes nutritionnels avec la surconsommation de sel, de sucre et de matières grasses saturées. « Au lieu de se contenter de dire aux consommateurs ce qu’ils devraient manger, on va pouvoir agir directement sur leur environnement de choix et permettre de modifier indirectement ces pratiques». Une expérience a été menée dans un restaurant universitaire français qui a consisté à demander simplement au gestionnaire de ce restaurant de doubler la disponibilité de plats végétariens. Résultat, les consommateurs ont opté pour deux fois plus de choix de plats végétariens. Ainsi, « en doublant simplement la disponibilité de l’offre on a doublé la disponibilité des choix possibles ».
En conclusion, on peut affirmer que ces relais croisés, génétique, algorithmes et comportement des consommateurs montrent bien que la transition ne repose pas sur une seule solution, mais bien sur une convergence d’innovation de recherche d’expérience et d’engagement collectif. Un optimisme traduit dans l’affirmation de Fabrice De Clerck, chercheur chez Alliance de Bioversity : « Une transition vers une alimentation saine, avec réduction de perte et des déchets et une productivité au maximum, nous permettrait de nourrir en 2050 près de 9,7 milliards d’individus avec 7% moins de surface cultivée, 20% moins de gaz à effet de serre (GES) et des réductions importantes de pollution ».
1- CIRAD : Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement.
2- IRD : Institut de recherche pour le développement.
3- INRAE : Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement.
Quid des aliments d’origine aquatique ?
Pour Valérie Verdier, PDG de l’IRD, les aliments d’origine aquatique fournissent 15% des protéines animales et 6% des protéines totales dans le monde. Ils comportent beaucoup d’acide gras oméga-3, des minéraux et de vitamines et qui sont absolument essentiels à notre bien-être. Les projections prévoient qu’en 2050, le niveau actuel de consommation, nécessiterait une hausse d’environ 22% de l’offre mondiale et même beaucoup plus en Afrique. Cela implique d’intensifier de façon durable l’aquaculture et de placer aussi la pêche sous une gestion beaucoup plus efficace et d’optimiser aussi toutes les chaînes de valeur pour réduire les pertes et le gaspillage.