Alors que le cours de l’or atteint des niveaux records sur les marchés internationaux, le secteur de la bijouterie au Maroc s’apprête à vivre une véritable révolution. Pour la première fois, les bijoutiers marocains décident de s’unir autour d’une société d’importation collective de l’or. L’objectif est clair : rompre avec l’emprise de l’informel, sécuriser l’approvisionnement et offrir aux consommateurs des prix plus justes et plus transparents. Majid Lahrichi, bijoutier réputé et vice-président de la Fédération marocaine des bijoutiers, explique en détail les enjeux de ce projet qui pourrait redessiner l’avenir de la profession.
Challenge : L’or connaît actuellement une envolée spectaculaire sur les marchés internationaux. Quelles sont les répercussions directes de cette flambée sur le marché marocain et sur le métier des bijoutiers
Majid Lahrichi : Quand l’or flambe à l’international, cela nous touche de plein fouet au Maroc. Mais le problème, c’est que l’impact est amplifié par nos spécificités locales. Les bijoutiers marocains ne disposent pas d’un accès direct à la matière première : la majorité dépend d’intermédiaires, souvent liés à des circuits parallèles. Résultat : chaque hausse mondiale se double d’un surcoût lié à l’informel.
Pour donner un exemple concret : quand le cours fluctue à l’international, au Maroc le client peut en payer 80, voire même 100 dirhams de plus, car il faut ajouter la marge de l’intermédiaire, les risques logistiques et les contraintes juridiques. C’est une situation injuste, qui fragilise à la fois notre métier et le pouvoir d’achat des ménages.
Challenge : Vous vous apprêtez à lancer une société d’importation d’or. Concrètement, comment cette initiative permettra-t-elle de réduire le poids de l’informel et de sécuriser l’approvisionnement du secteur ?
M.L : Le système actuel est bancal : les bijoutiers doivent passer par des intermédiaires, car les règles d’avance de paiement imposées par l’Office des changes sont beaucoup plus strictes que celles pratiquées à l’international. Par exemple, un fournisseur étranger demande généralement un paiement à l’avance de 100 % avant d’expédier l’or, alors que le cadre marocain n’autorise que 20 %. Forcément, cela bloque les transactions directes et pousse une grande partie du marché vers des canaux informels.
La société d’importation viendra corriger ce déséquilibre. En mutualisant nos forces, nous pouvons répondre aux exigences des fournisseurs, sécuriser les transactions et importer dans un cadre légal. Cela veut dire moins de dépendance aux circuits parallèles, un approvisionnement régulier et surtout une plus grande transparence. Pour nous, bijoutiers, c’est un gage de sérénité dans notre activité ; pour le consommateur, c’est l’assurance d’acheter un bijou dont l’origine et le prix sont clairs.
Challenge : L’écart entre les prix pratiqués au Maroc et ceux du marché international est souvent pointé du doigt. Dans quelle mesure la création de cette société d’importation pourrait-elle contribuer à rapprocher ces deux niveaux de prix et à alléger les surcoûts ?
M.L : Aujourd’hui, l’écart est énorme. Le gramme d’or au Maroc peut coûter jusqu’à 100 dirhams de plus que sur le marché international. Ce n’est pas parce que les bijoutiers veulent gonfler les prix, loin de là, mais parce que tout un système parallèle s’est imposé. Les intermédiaires fixent leurs propres conditions et imposent une prime qui couvre leurs risques. Cette prime est payée in fine par le client.
Avec la société d’importation, les choses vont changer. Les frais de gestion existeront toujours, certes, pour couvrir la logistique et l’administration, mais ils seront moindres que ceux que l’on retrouve sur le marché actuellement. Cette différence permettra de rapprocher nos prix de la référence internationale et de redonner confiance aux consommateurs.
Challenge : Au-delà de la dimension économique, certains parlent d’un tournant pour la formalisation du secteur de la bijouterie au Maroc. Peut-on dire que cette initiative marque le début d’une nouvelle ère pour la profession ?
M.L : Oui, et je le dis avec conviction. Pendant des décennies, notre profession a vécu dans une zone grise : d’un côté, nous ne payons pas de TVA, ce qui devrait être un avantage, mais de l’autre, nous étions prisonniers de l’informel. Cette contradiction a freiné le développement du secteur et entamé sa crédibilité.
Aujourd’hui, en créant cette société d’importation, nous posons un acte fort. Nous disons : le bijoutier marocain veut travailler dans un cadre clair, moderne et compétitif. C’est aussi une façon de valoriser notre savoir-faire artisanal en le reliant à des pratiques commerciales transparentes. C’est un tournant historique : nous passons d’un système subi à une organisation choisie et structurée. Je suis convaincu que cette initiative ouvrira la voie à d’autres réformes et contribuera à renforcer la place de la bijouterie marocaine sur la scène internationale.
Son parcours
Issu d’une lignée de bijoutiers, Majid Lahrichi a grandi au milieu des ateliers où le travail de l’or est autant un art qu’un héritage. Très jeune, il observe son entourage marteler, ciseler et polir le métal précieux, développant une passion qui ne le quittera plus. Devenu bijoutier à son tour, il s’est imposé comme l’un des acteurs les plus respectés de la profession, reconnu pour sa maîtrise artisanale autant que pour sa vision moderne du métier. Aujourd’hui vice-président de la Fédération marocaine des bijoutiers, il incarne la volonté de toute une génération : défendre la tradition tout en modernisant le secteur. Son engagement dans la structuration du marché et la lutte contre l’informel en fait l’une des voix les plus écoutées de la bijouterie marocaine.
Son actu
La Fédération marocaine des bijoutiers lance la création de sa société d’importation d’or. Cette initiative a un double objectif : réduire la dépendance à l’informel et rapprocher les prix du marché international. Elle permettra aux bijoutiers de sécuriser leur approvisionnement et aux consommateurs de bénéficier de prix plus justes et transparents.