Retraite. Les régimes de retraite à la croisée des chemins

Au Maroc, à l’instar d’autres pays, le vieillissement de la population constitue un défi majeur pour les régimes de retraite publics et privés. La transition démographique en cours dans le pays, confirmée par le dernier recensement général de la population, aggrave le ratio de dépendance avec un nombre de retraités qui augmente plus rapidement que celui des actifs cotisants. Cette situation menace à terme l’équilibre financier et la viabilité des régimes, si aucune réforme systémique n’est prise.
Le système de retraite marocain se caractérise par la coexistence de trois régimes publics obligatoires par répartition. Il y a d’abord le régime des pensions civiles, qui assure la retraite des fonctionnaires, géré par la Caisse marocaine des retraites (CMR), le régime de retraite des salariés du secteur privé, géré par la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), et celui qui couvre les agents non titulaires de l’État et des collectivités territoriales ainsi que le personnel des entreprises et établissements publics, géré par le Régime Collectif d’Allocation de Retraite (RCAR). Il y a aussi un régime privé facultatif par capitalisation, géré par la Caisse Interprofessionnelle Marocaine de Retraite (CIMR). Ces régimes sont donc différents les uns des autres quant à leur statut juridique, leur mode de gestion, leurs ressources et leurs modalités de prestations.
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Le vieillissement accéléré de la population, révélé par le dernier recensement de la population en 2024, est aujourd’hui une réalité alarmante pour les systèmes de retraite par répartition, basés sur la solidarité entre actifs et retraités. En l’espace de 10 ans, la proportion des marocains âgés de plus de 60 ans est passée de 9,4% en 2014 à 13,8% en 2014 (de 3,2 millions à 5 millions de personnes), soit un taux d’accroissement de 4,6% par an, au moment où l’ensemble de la population n’a augmenté que de 0,85%/an. Cette dégradation du rapport démographique a entrainé un déséquilibre entre les dépenses et les ressources de ces différents régimes. Alors que le niveau des cotisations des différentes caisses par répartition est en baisse continue, celui des dépenses s’est accru progressivement, épuisant dangereusement leurs réserves financières qui leur assurent un complément de ressources.
Les régimes de retraite par répartition sont donc entrés dans une phase de déséquilibre critique. La CMR, qui assure la retraite des fonctionnaires, a accusé un déficit technique de 9,8 MM DH en 2023 et devrait épuiser ses réserves d’ici 2028. La réforme de 2016, qui avait porté l’âge de départ des fonctionnaires à 63 ans et relevé les cotisations de 20 à 28%, ne lui a offert qu’un sursis temporaire. Ce déséquilibre nécessiterait une injection annuelle de 14 MM DH de fonds publics par an pour honorer les engagements de la CMR, un fardeau qui va peser très lourd sur le budget de l’Etat. Le régime du secteur privé suit la même trajectoire, avec une extinction des fonds de réserve de la CNSS à l’horizon 2038. La situation la moins critique est celle du RCAR, fort de ses 135 MMDH de réserves qui lui permettront de continuer à verser les pensions jusqu’en 2052.
Dans son rapport sur la retraite en juillet 2023, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a insisté sur l’urgence d’une réforme systémique du régime des retraites. Il préconise de procéder, en urgence, à l’élaboration d’un échéancier précis et engageant pour les différentes parties. De son coté, dans son dernier rapport annuel 2024, la Cour des comptes a alerté sur les risques majeurs auxquels fait face le système des retraites et insiste sur l’urgence d’une réforme structurelle pour garantir sa pérennité. Le gouvernement lui-même, pour évaluer les risques qui guettent nos systèmes de retraites, avait commandé une étude à un cabinet de conseil spécialisé. Et les conclusions de cette étude évoquent aussi l’urgence d’une réforme systémique afin de garantir la pérennité du système de pension sur le long terme.
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La ministre de l’Economie et des finances Nadia Fettah avait présidé, fin novembre 2024, la première réunion du comité chargé de piloter la réforme des régimes de retraite. Cette instance, mise en place dans le cadre de l’application des engagements issus de l’accord social signé le 30 avril 2024, a réuni les représentants des syndicats les plus représentatifs. Au cours de cette réunion, la Ministre a assuré que l’exécutif devrait présenter incessamment une nouvelle mouture qui devra actionner les différents leviers, comme la hausse de l’âge de départ à la retraite, l’augmentation des cotisations ou la baisse des pensions.
Ainsi, l’Exécutif s’apprête à soumettre à l’institution législative son projet de réforme au cours de l’actuelle session parlementaire. Elle vise, dans une première étape, à porter l’âge de départ à la retraite à 65 ans, aussi bien dans le public que dans le privé et propose également d’augmenter les taux de cotisation dans les deux secteurs. La seconde phase de réforme a pour finalité de converger vers deux systèmes de retraite de base, l’un public et l’autre privé. À terme, il n’y aura qu’un seul système de base couvrant les deux secteurs, ainsi que des systèmes complémentaires. Et pour sauver le système par répartition, le gouvernement veut introduire une dose de capitalisation en rendant obligatoire le système complémentaire.
Si les syndicats reconnaissent la nécessité d’une réforme, la perspective d’un report de l’âge légal de départ à la retraite reste un point de crispation majeur. L’âge de départ à 65 ans pose le problème pour les travailleurs appelés à travailler plus longtemps et particulièrement aux métiers pénibles. D’où l’idée des critères de pénibilités qui permet d’accorder des exceptions aux professions physiquement éprouvantes. Les syndicats estiment aussi que les changements ne doivent pas se faire aux dépens des salariés et que l’Etat doit assumer ses responsabilités quant au déficit accusé dans les caisses publiques.
Les négociations s’annoncent donc ardues, entre impératifs de soutenabilité financière et revendications sociales. Si la question du relèvement de l’âge légal reste sensible, la nécessité d’une refonte profonde ne fait plus débat. La réforme des retraites s’impose désormais comme un chantier prioritaire du gouvernement qui s’apprête à réunir les centrales syndicales pour leur exposer son fameux plan de réforme du système menacé de faillite. Une véritable épreuve pour l’Exécutif qui a longtemps redouté cette heure de vérité.
Réduction du seuil d’éligibilité des retraités de la CNSS
Le Conseil de gouvernement, réuni le 3 avril dernier, a adopté un décret qui entérine l’abaissement du seuil de cotisations nécessaire pour bénéficier d’une pension de vieillesse versée par la CNSS. Désormais, 1.320 jours de travail déclarés suffiront pour ouvrir droit à une pension, au lieu de 3.240 jours exigés précédemment. Cette mesure, saluée par plusieurs partenaires sociaux, concrétise un engagement phare de l’accord social du 30 avril 2022. Le décret n°2.25.265, entrera en vigueur avec un effet rétroactif au 1er janvier 2023. Il fixe également les contours d’un nouveau barème pour les pensions de vieillesse et d’invalidité, introduisant davantage d’équité dans le traitement des assurés.
