Alors que les prix du foncier poursuivent leur envolée et que la production de logements accessibles peine à suivre, les amicales immobilières reviennent au premier plan. Ce modèle coopératif, longtemps plébiscité par les classes moyennes, montre aujourd’hui ses limites mais aussi un potentiel considérable. Pour Nawfal Bellakhdar, DG d’Akare.ma, société de gestion immobilière, leur métamorphose pourrait en faire un levier stratégique du logement abordable.
Dans un marché marqué par la hausse continue du foncier et le ralentissement de la promotion immobilière classique, les amicales immobilières font aujourd’hui un retour remarqué. Ce dispositif, qui avait déjà permis à des milliers de ménages d’accéder à un logement à travers la mutualisation et l’absence de marge spéculative, suscite de nouveau l’intérêt, notamment chez les primo-acquéreurs dont la capacité d’emprunt s’érode.
Pour Nawfal Bellakhdar, Directeur général d’Akare.ma, ce regain de popularité met en lumière les limites du modèle actuel. « Les amicales ont longtemps constitué un outil efficace pour des catégories capables de mobiliser une épargne sur plusieurs années sans recourir au crédit bancaire. Elles ont permis à de nombreux Marocains d’accéder à leur premier logement, » rappelle-t-il. Face à la hausse des prix, ce mécanisme collectif apparaît comme l’un des rares outils encore capables de réduire la facture immobilière.
Un modèle attractif
L’attractivité économique des amicales reste indéniable : pas d’IS, pas de TVA, pas de marge promoteur. «Finalement, une amicale fonctionne comme une opération immobilière, mais au coût de revient, » explique Bellakhdar.
«Les économies générées peuvent atteindre 40 à 60 %, en additionnant l’avantage fiscal et la mutualisation. Dans certains cas, le prix final est 20 à 30 % inférieur à celui du marché. »
Ce modèle joue aussi un rôle économique discret mais réel : « Une amicale crée de la valeur autour d’un écosystème complet – architectes, entreprises de construction, bureaux d’études, sous-traitants… Elle mobilise de la main-d’œuvre, fait tourner des métiers, génère des taxes indirectes. »
Pourtant, cette mécanique vertueuse est régulièrement entravée. Les retards, la mauvaise gouvernance, les chantiers arrêtés, la dissension entre adhérents ou la défaillance des prestataires viennent ternir l’image de ces structures. «La gestion administrative et financière peut être fragilisée par un départ, un conflit, un manque de gouvernance ou une absence de compétences techniques, » prévient Bellakhdar, pointant un risque systémique.
Un encadrement juridique obsolète
Pour restaurer la confiance, un cadre juridique clair est indispensable. Bellakhdar est catégorique :
« Il faut commencer par limiter la taille des opérations. Une amicale doit rester une structure à taille humaine pour être gouvernable. »
Il plaide également pour une différenciation stricte des règles selon l’objectif :
« Les règles d’une amicale destinée à l’habitation principale doivent être allégées, alors qu’un projet à caractère d’investissement nécessite des règles plus strictes. »
Autre impératif : encadrer les délais.
«Il faut imposer une limite supérieure pour éviter les projets qui s’éternisent. Les retards sont le principal facteur de perte de confiance.»
Enfin, une harmonisation du modèle juridique est nécessaire pour éviter les dérives : amicales créées pour contourner la fiscalité, spéculation sur les adhésions, opérations déguisées en projets d’investissement.
Le vrai potentiel
Dans ce registre, Nawfal Bellakhdar rappelle que malgré leurs limites, les amicales peuvent réellement contribuer à réguler le marché.
« Les amicales immobilières présentent des avantages à la fois pour les adhérents et pour tout l’écosystème qui entoure le développement des projets immobiliers», affirme-t-il.
Pour les primo-acquéreurs, elles représentent souvent la seule voie vers la propriété :
« L’amicale est un moyen d’acquérir un premier logement qui sera la résidence principale. Sans ce modèle, beaucoup de familles ne pourraient pas étaler leurs paiements sur plusieurs années. »
Cette marge de manœuvre financière est décisive :
« L’économie sur le coût de revient permet à l’acquéreur d’acheter un bien plus grand ou mieux situé que ce qu’il pourrait se permettre chez un promoteur classique. »
Ces projets jouent aussi un rôle stabilisateur dans un marché où les produits abordables se raréfient :
« Ces opérations, aux côtés de la production des promoteurs immobiliers, contribuent à réduire le besoin en logements des Marocains. »
Les amicales apportent également une réponse à des difficultés que les promoteurs traditionnels n’arrivent pas à absorber :
« Elles solutionnent la problématique des fonciers invendables ou difficiles à développer, ceux que les promoteurs évitent. Elles redonnent vie à des terrains qui seraient restés gelés. »
Mais cette utilité sociale ne doit pas être dévoyée. Bellakhdar est très clair :
« Les opérations en statut d’amicale ne doivent pas se transformer en promotions immobilières maquillées. Les changements d’adhérents ou les projets à vocation spéculative, studios, villas ou produits d’investissement, doivent être strictement encadrés. »
Pour lui, l’avenir des amicales passe par une ligne rouge simple :
si elles restent un outil d’accès au logement, elles sont utiles. Si elles deviennent un outil de spéculation, elles deviennent problématiques.
Modèle solidaire mais fragile, outil social mais juridiquement vulnérable, alternative économique mais exposée aux abus: les amicales immobilières se trouvent à un tournant. Leur potentiel pour réguler le marché et répondre au déficit de logements accessibles est réel. Mais leur réussite dépend de leur professionnalisation, de leur encadrement et de leur recentrage sur leur mission première. Pour Nawfal Bellakhdar, le constat est sans ambiguïté :
«Bien encadrées, les amicales peuvent devenir un pilier du logement accessible. Mal encadrées, elles risquent de redevenir un facteur de dérive et de méfiance».

3 questions À Nawfal Bellakhdar
Challenge : Le Maroc fait face à un marché immobilier sous tension et à une demande urgente de logements accessibles. Dans ce contexte, que révèle le retour des amicales immobilières sur les failles du modèle actuel ?
Nawfal Bellakhdar : Les amicales immobilières ou coopératives immobilières, est une forme d’association qui a fait profiter une bonne partie des citoyens marocains de leur premier logement.
Il faut rappeler, que cette forme d’association répond principalement au besoin en habitat d’une catégorie capable de mobiliser une épargne moyenne ou importante sur une durée assez longue (dépassant dans 90 % des cas les 3 ans) sans recourir au financement bancaire. Le concept à première vue semble intéressant et profitable à une catégorie, mais il a présenté pas mal de problématiques comme le retard de livraison, les projets inachevés, la qualité dégradée de finition… certaines affaires ont fait couler beaucoup d’encre et ont laissé des ardoises financières très salées.
Néanmoins, il ne faut pas omettre que le développement des projets immobiliers en forme d’amicale crée, comme une opération de promotion immobilière, de la valeur autour d’une économie à plusieurs acteurs : société de construction, architecte, établissements étatiques etc. qui eux-mêmes embauchent une main-d’œuvre, paient de l’impôt et font tourner l’économie de consommation.
Challenge : Les amicales promettent des économies substantielles grâce à la mutualisation et aux avantages fiscaux. Mais sur le terrain, où se situent réellement leur potentiel … et leurs limites ?
Certes, le modèle de l’amicale est très intéressant dans le volet mutualisation, car finalement c’est similaire à une opération de promotion immobilière sans qu’il y ait de marge de gain sur le projet. Les adhérents se retrouvent propriétaires de biens immobiliers au coût de revient, cette économie peut aller de 20 à 30% ce qui est conséquent. Concernant le volet fiscal, l’amicale est non assujettie à la TVA et à l’IS , ce qui représente une économie supplémentaire de 20 à 30 %.
Mais ce modèle se retrouve aujourd’hui concurrent de certaines opérations de promotion immobilière, surtout quand il s’agit d’une opération à grande taille ou quand il y a des changements d’adhérents en milieu de chemin.
Concrètement sur le terrain, la forme d’amicale accélère la vente de certains projets immobiliers comme les lotissements de terrains R+2 à R+4 , où l’on observe un achat groupé de plusieurs personnes d’un seul lot en vue de le développer et d’y habiter.
L’amicale immobilière est également une forme qui solutionne la problématique de fonciers invendables ou disposant de difficultés à la construction (produits pas très convoités par les promoteurs immobiliers) .
Ces formes d’association ont certaines limites : la complexité de la gestion de projets immobiliers à grande échelle : la problématique de retard de paiement des cotisations par certains membres peut entraver le projet, le mauvais choix des prestataires en cours de développement du projet entraine des arrêts pendant plusieurs mois ou années et également les problématiques liées au changement d’adhérents en cours du projet.
Challenge : L’encadrement juridique reste leur talon d’Achille. Quels sont aujourd’hui, les risques auxquels s’exposent les adhérents et quelles réformes jugeriez-vous indispensables pour sécuriser ce modèle collectif ?
Les risques de ce modèle peuvent être scindés en deux catégories : Premièrement, les risques liés à la gestion administrative et financière de l’amicale : l’amicale dispose généralement d’un président et d’un trésorier et d’autres membres qui peuvent s’occuper de la gestion ou pas en fonction de la taille. Dans l’avancement du projet, on peut assister à une démission de l’un des membres dirigeants et le devoir de le remplacer, ce qui affecte les délais d’avancement, on peut assister également à une mauvaise gouvernance, ce qui peut affecter le coût du projet et en l’occurrence les économies potentielles.
Deuxièmement, les risques liés à l’opération de promotion immobilière en elle-même qui, ne l’oublions pas, reste une opération très complexe et nécessite des connaissances techniques dans le métier afin d’éviter les mauvais choix de prestataires, les retards de réalisation des travaux, la non-conformité des travaux etc .
Il est indispensable aujourd’hui, de recadrer les amicales immobilières, en commençant déjà par la taille de l’opération : limiter l’opération à une taille humaine en termes de nombre d’unités ou d’adhérents ou autre agrégateur. Il faut également imposer des règles de gestion pour les adhérents en fonction de l’intérêt : habiter ou investir ? Les règles d’une amicale en vue d’un projet d’habitation principale devraient être allégées par rapport à un projet d’investissement en immobilier. Enfin, cadrer les délais de réalisation de ces projets en imposant une limite supérieure à ne pas dépasser afin d’éviter les projets inachevés.