Bricolage

Bricolage au Maroc. Mutation d’un marché en quête de repères

Longtemps dominé par les quincailleries de quartier, le marché marocain du bricolage entre dans une nouvelle ère. Urbanisation galopante, montée du DIY, transformation numérique : autant de forces qui redessinent les contours d’un secteur encore jeune, mais plein de potentiel. Pour décrypter cette dynamique, nous avons rencontré Rachid Lasri, spécialiste du retail au Maghreb. Détails.

Le bricolage au Maroc a toujours reposé sur un tissu dense de quincailleries de proximité. Implantées dans chaque quartier, elles ont su répondre à des besoins immédiats grâce à leur accessibilité, leur souplesse tarifaire et des relations de confiance avec la clientèle. Aujourd’hui encore, elles représentent environ 60 % du marché.

Toutefois, cette prédominance s’accompagne de certaines limites. En effet, l’offre y reste éclatée, les services sont inexistants, et l’expérience client reste rudimentaire. Il n’en demeure pas moins que ces structures restent solidement ancrées dans les habitudes de consommation, surtout dans les villes secondaires et les zones rurales.

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Aussi, face à la transformation des modes de vie urbains, les attentes des consommateurs évoluent. Les ménages des grandes villes, mieux informés et plus sensibles au confort domestique, réclament désormais plus qu’un simple outil : ils recherchent un accompagnement, des solutions clés en main.

C’est dans ce contexte que des enseignes comme Bricoma, Mr. Bricolage ou Brico Smart trouvent leur place. Installées en périphérie ou dans des zones à fort trafic, elles proposent une offre élargie, valorisent le produit, et misent sur des services annexes tels que le conseil ou la livraison.

« Le consommateur marocain ne se contente plus d’acheter un outil. Il cherche un service, un conseil, une solution globale », observe Rachid Lasri, Directeur Développement Franchise & Retail Expansion chez SADURA RETAIL. Pour lui, ces enseignes marquent une première étape, mais «restent encore loin des standards européens en termes de diversité, de profondeur de gamme et de professionnalisation. »

Aujourd’hui, la part des grandes surfaces spécialisées (GSS) atteint environ 40 % du marché. Une progression notable, tirée par l’appétence des consommateurs urbains pour des expériences immersives. Selon Rachid Lasri, « le potentiel de croissance est considérable si l’on structure davantage l’offre et si l’on répond à la demande de qualité et de services.»

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Par ailleurs, l’essor du digital transforme les habitudes. En l’occurrence, des plateformes comme Allopro.ma (Bricall) ou Groino.com vont au-delà de la simple vente en ligne. Elles connectent les clients à des artisans, proposent des tutoriels ou organisent des livraisons rapides. Pour Lasri, « l’e-commerce n’est plus un simple canal de vente, c’est un levier de démocratisation du bricolage au Maroc. »

Enfin, un autre phénomène vient appuyer cette mutation : le développement du Do It Yourself. Porté par les jeunes couples, les classes moyennes et même certains expatriés, le bricolage devient une compétence recherchée. Face à la hausse des coûts de main-d’œuvre, l’envie d’autonomie se renforce.

Cela dit, cette autonomie ne va pas de soi. « Il faut accompagner cette évolution avec du contenu, de la formation, et une approche éducative », insiste Rachid Lasri. Le défi, selon lui, est d’encourager la pratique tout en simplifiant l’accès aux bons produits et aux bons gestes.

Pour répondre à cette demande croissante, l’arrivée d’enseignes internationales pourrait jouer un rôle moteur. Le Maroc constitue, en effet, un terrain propice à des modèles hybrides, combinant magasins physiques, plateformes digitales et services à valeur ajoutée.

« Une implantation réussie devra proposer des formats flexibles, un parcours client fluide et une forte capacité d’adaptation locale », précise Lasri. À ses yeux, le modèle de franchise est particulièrement adapté : il permet de structurer l’écosystème, de transférer des compétences et d’installer de nouveaux standards.

Les freins à lever 

Cependant, cette dynamique ne peut se concrétiser sans lever plusieurs obstacles. La concurrence de l’informel, la sensibilité des consommateurs au prix, le manque de formation technique, ou encore le coût élevé du foncier pèsent lourdement.

« Il faudra répondre avec des solutions réalistes : kits prêts à l’emploi, financement accessible, logistique simplifiée », suggère Lasri. Et de rappeler : « L’enjeu n’est pas seulement d’importer un concept, mais de co-construire une nouvelle culture du bricolage, adaptée au consommateur marocain.»

D’ailleurs, le Maroc, grâce à son urbanisation rapide, sa jeunesse connectée et sa dynamique de rénovation, pourrait bien devenir un hub régional du bricolage en Afrique du Nord. Pour cela, il faut structurer l’offre, créer une marque forte, et miser sur l’innovation tout en valorisant les codes locaux.

« Le marché est prêt. Les consommateurs sont demandeurs. Il ne manque qu’une enseigne visionnaire pour fédérer tout cela », conclut Rachid Lasri, appelant de ses vœux une nouvelle génération de retail à la croisée de la tradition et de l’innovation.

3 questions à Rachid LASRI / Spécialiste du retail au Maghreb

Challenge : Quelle est votre lecture de la dynamique actuelle du secteur ? 
Rachid LASRI : Nous assistons à une double mutation : la montée du DIY et l’arrivée du digital. Le consommateur marocain ne veut plus seulement acheter, il veut comprendre, tester, réaliser. Ce changement d’attitude impose aux enseignes de repenser leur rôle, non plus comme simples vendeurs, mais comme accompagnateurs.

Challenge : Quelles opportunités pour une enseigne internationale ?
R.L. : Le marché est encore fragmenté et peu structuré. Une marque qui sait combiner expérience client, sourcing international et adaptation locale, a une vraie carte à jouer. À condition de bâtir un modèle hybride qui répond à la fois à l’exigence de modernité et aux spécificités marocaines.

Challenge : Quels formats et quelles villes privilégier ?
R.L. :  Il faut un modèle flexible : grands magasins en périphérie, boutiques urbaines compactes, et une présence digitale forte. Casablanca, Rabat et Marrakech sont incontournables, mais les villes comme Meknès, El Jadida ou Kénitra ne doivent pas être négligées : elles concentrent un fort potentiel et une clientèle prête à s’équiper. 

 
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