La Thaïlande a toujours fait du tourisme un socle de son économie. Sauf que ces dernières années, le pays connaît une crise silencieuse de ce secteur qui semble atteindre ses limites… Décryptage.
Le miroir thaïlandais d’un modèle à bout de souffle. Pendant plus de deux décennies, la Thaïlande a été l’une des vitrines du tourisme mondial. Des millions de visiteurs chaque année, une industrie devenue pilier économique, et une image de destination paradisiaque solidement ancrée dans l’imaginaire collectif. Avec près de 40 millions de touristes en 2019, le pays s’était hissé parmi les dix premières destinations au monde.
Le tourisme représentait alors près de 20 % du PIB, soutenant l’emploi, les devises et la balance commerciale. Pour la petite histoire, c’est dans les années 1980, que Bangkok a fait du secteur un levier stratégique pour stimuler la croissance, attirer les devises et créer de l’emploi. Porté par une image de destination sur mesure, le pays a rapidement séduit une clientèle internationale venue d’Asie, d’Europe et d’Amérique du Nord. Cette orientation a transformé la Thaïlande en véritable machine touristique mondiale, générant avant la pandémie près de 60 milliards de dollars de recettes annuelles, soit près de 20 % du PIB national. L’impact s’est ressenti sur l’ensemble du tissu économique : développement des infrastructures, expansion du transport aérien, dynamisation de l’hôtellerie et essor de l’emploi informel dans les zones côtières et urbaines.
La piège du succès
Cependant, le constat au demeurant amer est que derrière cette réussite apparente, le modèle thaïlandais a progressivement montré ses failles. Surtourisme, déséquilibre régional, pression écologique et perte d’authenticité : la Thaïlande s’est retrouvée piégée par le succès même qu’elle avait bâti. Ce pays qui a fait du tourisme son moteur de croissance est aujourd’hui confronté à ses effets secondaires : un modèle saturé, où l’économie locale ne bénéficie plus équitablement de la manne, et où la qualité de vie des habitants se dégrade à mesure que les chiffres montent.
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Par ailleurs, selon nos recherches, il en ressort que le malaise du secteur est dû aussi à une certaine réalité, notamment la cherté de la vie précisément pour les touristes étrangers. Avec l’émergence des podcasts, elles sont nombreuses les personnes qui exposent sur le net leurs mauvaises expériences de la destination Thaïlande. Certains économistes s’accordent aujourd’hui sur une chose: le tourisme, pris isolément, ne suffit plus comme politique de développement durable.
Une étude parue dans l’International Review of Economics & Finance (2025) montre que son effet sur la croissance n’est réellement positif que lorsque la qualité institutionnelle — gouvernance, stabilité réglementaire — est élevée. Autrement dit, bien qu’étant un facteur de croissance, le tourisme peut amplifier les déséquilibres : spéculation foncière, inflation, dépendance aux marchés étrangers.
De même, une recherche publiée dans Economic Analysis and Policy (2023) sur douze pays européens a révélé que l’impact du tourisme sur la croissance varie selon les cycles économiques : porteur en période stable, il devient vulnérable lors des crises, comme l’a illustré la pandémie de 2020. En somme, le tourisme peut dynamiser une économie, mais il ne peut en être le pilier unique : ses effets demeurent conditionnels, réversibles et tributaires d’une vision économique élargie qui mise sur la diversification, la durabilité et la gouvernance territoriale.
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Le Maroc, engagé dans une trajectoire du tout touristique — avec un objectif de 26 millions de visiteurs d’ici 2030 —, ferait bien d’analyser de près les enseignements de cette expérience.
Le Maroc sur une trajectoire ascendante… mais fragile
Le Royaume, de son côté, vit une dynamique très favorable. Les chiffres du premier semestre 2025 confirment une croissance à deux chiffres du nombre de visiteurs, tirée par la stabilité politique, la montée en puissance des connexions aériennes, et la visibilité internationale du pays à l’approche de la Coupe du Monde 2030.
Les performances sont impressionnantes : Marrakech, Casablanca et Agadir concentrent à elles seules plus de 60 % des nuitées, tandis que de nouvelles destinations comme Dakhla, Chefchaouen ou Ouarzazate se positionnent sur le radar international. Cependant, les signaux d’alerte se multiplient. Bien qu’; étant louable pour l’économie, la stratégie du “tout touristique” peut porter des externalités négatives Celui qui se dessine progressivement est celui de la crise du logement avec la grande avancée des Airbnb.
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« Ce que je peux dire, c’est que nous sommes en situation d’opportunisme et cette politique risque d’être une bulle que notre pays paierait très cher », alerte Amal Karioun, président de la Fédération nationale des agences de voyages. Et d’ajouter: « je pense que l’Etat doit encadrer cette offre et sévir avec les personnes qui ne respectent pas la législation. Mais attention, il ne faut pas que nous tombions dans la situation inverse et que nous favorisions du surtourisme ».
Tickets d’entrée, une solution ?
A Venise, les autorités expérimentent un ticket d’entrée pour les touristes à la journée, tandis qu’à Florence, l’on tente de bloquer la mise sur le marché de nouveaux logements à louer pour courte durée. « A mon sens il faut s’arrêter d’aller chercher les chiffres et de vouloir se comparer pour dépasser certaines destinations ! Nous devons réfléchir à définir notre tourisme, ses composantes, ses atouts, ses faiblesses et comme disent les économistes et financiers tracer notre matrice *SWOT* en toute objectivité et définir ce que nous voulons en réalité tant en ce qui concerne le tourisme international que national », prévient l’expert.
Il poursuit : « le prix des chambres d’hôtel aux prix actuels sont loin des bourses des nationaux et cette politique de ces hôtels en faveur des TO étrangers ou plateformes de réservation en ligne sont une aberration. Pourquoi ne pas revenir à ce que nous avions auparavant (et qui font la richesse du patrimoine de l’hébergement en Europe ou aux Amériques) les campings. Ils n’y réfléchissent pas du tout ». En sommes « Le tourisme doit continuer à être une ressource, et ne pas devenir une malédiction pour ceux qui vivent dans les destinations les plus prisées ».