Driss Aïssaoui: «Les investissements chinois ne sont pas de simples implantations, ils changent la donne industrielle du Maroc»

Alors que les équilibres mondiaux évoluent, la Chine renforce sa présence au Maroc, misant sur les secteurs clés de l’industrie, des infrastructures et de la technologie. Pour l’économiste Driss Aïssaoui, ce rapprochement n’a rien d’anodin : il marque une étape stratégique dans la transformation industrielle du Royaume.
Challenge : Comment expliquez-vous l’intérêt croissant de la Chine pour le Maroc dans le contexte géopolitique mondial actuel ?
Driss Aïssaoui : L’intérêt soutenu – et en constante progression – que la Chine porte au Maroc est, à mon sens, tout à fait stratégique. Votre question s’inscrit dans un contexte géopolitique mondial où la Chine, depuis plusieurs années, adopte une approche singulière sur les plans économique et social, non seulement au Maroc mais aussi à l’échelle internationale.
Sur le plan géopolitique, le Maroc se positionne aujourd’hui comme un pays stable, doté de compétences et d’atouts spécifiques dans des domaines devenus cruciaux. Il suffit de regarder le dynamisme de secteurs comme l’automobile, l’aéronautique, la pharmacie ou encore les infrastructures. Le Maroc a su adapter ses structures économiques et industrielles pour répondre efficacement aux exigences de la mondialisation, ce qui attire naturellement les acteurs économiques chinois.
Les entreprises chinoises, d’ailleurs, sont désormais bien implantées sur tout le territoire marocain – de Casablanca à Tanger, d’Agadir à Rabat – et leur présence est perceptible non seulement sur le plan économique, mais aussi culturel et académique. De plus en plus de jeunes Marocains choisissent la Chine pour leurs études, notamment dans les domaines de la médecine, de la technologie ou des sciences économiques, ce qui traduit une ouverture croissante vers ce pays, renforcée par l’apprentissage de l’anglais.
Le cas de grands groupes internationaux comme Renault ou Peugeot, qui ont investi dans la formation locale pour accompagner leur implantation industrielle, illustre bien ce modèle. La Chine suit une logique comparable, en misant à la fois sur l’industrie, les infrastructures et d’autres secteurs porteurs.
Prenons aussi l’exemple du train à grande vitesse entre Tanger et Casablanca : bien que ce projet ait été remporté par d’autres pays à travers un appel d’offres international, cela illustre bien l’environnement concurrentiel dans lequel la Chine s’insère avec détermination.
Enfin, les relations politiques entre les deux pays ne sont pas en reste. La visite du président chinois au Maroc, accueilli par le prince héritier Moulay El Hassan, témoigne de l’importance que la Chine accorde à ses relations avec le Royaume. Tous ces éléments contribuent à expliquer cet intérêt croissant dans un contexte mondial en pleine recomposition.
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Challenge : Quels sont, selon vous, les secteurs industriels les plus stratégiques dans les investissements chinois au Maroc ?
D.A : Les investissements chinois au Maroc se concentrent principalement sur des secteurs clés comme les infrastructures, notamment les lignes ferroviaires, les navettes rapides et les projets liés au transport. Le domaine automobile figure également parmi les plus stratégiques, avec, entre autres, un projet majeur porté par la Chine : la construction d’une usine dédiée à la fabrication de batteries pour véhicules électriques et hybrides. Il s’agit là d’un investissement d’envergure qui témoigne de la nature ambitieuse de cette coopération. Ces investissements ne sont pas de simples implantations, ils changent la donne industrielle du Maroc.
Ce qui rend ces investissements particulièrement intéressants, c’est qu’ils s’intègrent de manière fluide et naturelle dans le tissu économique marocain. Les secteurs industriels, dans leur ensemble, apparaissent comme les principaux récepteurs des capitaux chinois. Ce partenariat est d’autant plus bénéfique qu’il génère systématiquement des retombées positives pour le Maroc, tant en matière de développement que de transfert de compétences.
Challenge : Le Maroc devient-il une alternative crédible à l’Asie pour l’approvisionnement industriel des marchés européens et américains ?
D.A : Cette question revient depuis un certain temps : le Maroc cherche-t-il à développer une industrie basée uniquement sur une main-d’œuvre à bas coût ? La réalité est tout autre. Le modèle marocain d’industrialisation ne repose pas sur une logique de bas salaires ou sur des emplois au SMIC. Ce sont des industries compétitives, à forte valeur ajoutée, qui choisissent de s’implanter au Maroc en raison de conditions d’investissement claires, d’un cadre de fonctionnement stable, et d’un environnement favorable.
Il est aussi important de noter que la coopération entre le Maroc et la Chine s’est renforcée au fil du temps, notamment à travers leurs interactions sur le continent africain. La Chine y est très active, et c’est dans ces marchés africains que les deux pays ont appris à collaborer étroitement. Aujourd’hui, cette relation se traduit par des investissements industriels chinois au Maroc qui s’intègrent efficacement dans le tissu économique national, renforçant encore la position du Royaume comme un partenaire industriel crédible pour les marchés européens et américains.
Challenge : Ces investissements massifs risquent-ils de créer une dépendance économique vis-à-vis de la Chine ?
D.A : Dans toute stratégie industrielle, il est essentiel de s’entourer de partenaires solides comme la Chine, car leur apport contribue à élever le niveau global de développement. C’est cela l’essentiel : une coopération qui tire vers le haut. Contrairement à certaines idées reçues, la Chine, y compris dans sa présence en Afrique, ne se limite pas à exploiter les ressources pour ensuite se retirer. Elle investit dans la durée, construit, équipe, développe — que ce soit des infrastructures, des équipements sportifs ou d’autres projets essentiels.
Dans le cas du Maroc, cette dynamique est bien perçue. Il ne s’agit pas d’une dépendance subie, mais d’une forme de partenariat stratégique que certains acteurs économiques considèrent même comme souhaitable. Beaucoup d’investisseurs expriment clairement leur volonté de renforcer les liens avec la Chine, convaincus que cette relation contribue au progrès économique et technologique du Royaume.
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Challenge : Peut-on parler d’un transfert technologique réel ou s’agit-il essentiellement d’unités d’assemblage ?
D.A : Lorsqu’ils investissent au Maroc, les Chinois ne se contentent pas d’implanter de simples unités d’assemblage. Il s’agit au contraire d’investissements réfléchis, structurés, et porteurs d’un véritable transfert de technologie. Chaque projet industriel est pensé en amont, avec une vision à long terme. Ce ne sont donc pas des installations légères ou provisoires, mais bien des unités solides, intégrées dans une stratégie de développement plus large.
Prenons l’exemple du secteur ferroviaire : le Maroc développe actuellement des lignes de trains rapides entre Marrakech et Agadir, dans la continuité de ce qui a déjà été réalisé avec le train à grande vitesse reliant Tanger à Casablanca. Ce projet initial a permis de former un noyau d’ingénieurs et de techniciens marocains qualifiés, capables aujourd’hui d’assurer l’entretien et la maintenance de ces trains, par le biais d’entreprises locales.
Ce type d’expérience illustre parfaitement qu’au-delà de l’investissement financier, il y a une réelle montée
Challenge : Quelles conséquences ces implantations industrielles chinoises pourraient-elles avoir sur les relations du Maroc avec ses partenaires traditionnels, notamment les États-Unis et l’Union européenne ?
D.A : Pour être tout à fait clair, les investissements industriels chinois au Maroc sont réalisés de manière sérieuse, transparente et respectueuse des règles du jeu. Ces investissements ne sont pas motivés par un objectif à court terme, mais s’inscrivent dans une vision de partenariat à long terme. Le Maroc et la Chine ont appris à collaborer efficacement, et cela s’inscrit dans le cadre de la nouvelle stratégie chinoise de la route de la soie, qui place le Maroc dans une position stratégique remarquable.
Cela signifie que les investissements chinois au Maroc ne sont pas temporaires. Ils ont vocation à durer et à accompagner le développement du pays, tout en ouvrant de nouvelles opportunités. Bien que les partenariats traditionnels du Maroc, comme ceux avec l’Union européenne et la France, demeurent importants, la Chine s’impose comme un partenaire incontournable, capable de renforcer la position du Maroc à l’échelle mondiale.
Les investissements industriels chinois marqueront l’histoire de l’industrialisation du Maroc. Ils ne se limitent pas à une simple coopération ponctuelle, mais participent à un grand projet de partenariat stratégique. Ce tournant marquera une étape importante dans le développement économique du Royaume, et les Marocains s’en souviendront comme d’une période décisive de l’industrialisation du pays.