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L’autoproduction arrive sur les toits du Maroc: particuliers, entreprises, qui en profitera ?

Après des années d’attente, la voie est enfin libre pour l’autoproduction d’électricité au Maroc. Avec l’entrée en vigueur imminente des derniers décrets d’application de la loi 82-21, un nouveau chapitre s’ouvre pour les ménages, les entreprises et l’industrie. Le pays amorce une transition énergétique décentralisée, appuyée sur le solaire, le stockage, la digitalisation et la vente d’excédents. Cette évolution réglementaire promet de redessiner les équilibres du secteur électrique national, tout en offrant un terreau fertile à la croissance de la filière verte marocaine.

Le Maroc s’apprête à franchir un cap historique dans sa transition énergétique. Alors que la loi 82-21, adoptée en 2021, avait posé les bases de l’autoproduction d’électricité, ce sont désormais ses décrets d’application qui viennent en concrétiser les effets. Après des réunions techniques intensives et concertations interministérielles, quatre textes réglementaires, les derniers attendus sur un total de six, ont été déposés au Secrétariat général du gouvernement (SGG). Leur publication dans les prochaines semaines viendra achever la structuration d’un nouveau modèle énergétique, résolument tourné vers la décentralisation, l’innovation technologique et la participation citoyenne.

Ces textes vont lever les derniers verrous administratifs qui empêchaient l’autoproduction d’électricité de se développer à grande échelle. En effet, la loi 82-21 avait besoin de décrets d’application détaillant les conditions d’installation, de raccordement, de stockage, d’écrêtement, ainsi que les modalités de vente de l’excédent d’électricité produite. « La publication de la loi n° 82-21 et de ses décrets d’application permet, aux ménages marocains désirant produire de l’électricité et la consommer eux-mêmes pour répondre exclusivement à leurs propres besoins en électricité, de bénéficier de nombreux avantages, notamment: l’accès aux énergies renouvelables à des prix compétitifs ; la réduction de la facture d’électricité ; la possibilité de la vente de l’excédent au gestionnaire du réseau concerné dans la limite de 20 % de la production annuelle de l’installation d’autoproduction ; et la possibilité de réaliser des installations de stockage et bénéficier de ses services, ce qui permettra de garantir la continuité d’approvisionnement en électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables ; ainsi que la création de nouvelles opportunités d’emploi dans les domaines de la conception, de la réalisation, de l’exploitation et de la maintenance des installations d’autoproduction électrique par des PME qui seront créées à cet effet», explique  le Ministère de la Transition Energétique et du Développement Durable à Challenge.

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Le décret des procédures, premier des quatre textes en instance de publication, vient définir trois régimes clairs: la déclaration simple, destinée aux installations non raccordées au réseau et d’une puissance inférieure à 11 kW. Une plateforme digitale est en cours de déploiement pour permettre aux particuliers de déclarer leur installation en toute simplicité, sans lourdeurs bureaucratiques ; la demande d’accord de raccordement, requise pour les projets raccordés au réseau dont la puissance se situe entre 11 kW et 5 MW, à adresser aux gestionnaires de réseau, qu’il s’agisse de l’ONEE ou d’une Société Régionale Multiservices (SRM) selon la zone ; enfin, la demande d’autorisation, obligatoire pour tout projet dépassant 5 MW, qui doit être soumise directement au ministère de la Transition énergétique et du développement durable. «Le seuil de 5 MW concerne l’accès au réseau, c’est-à-dire, l’utilisation de ce réseau pour acheminer l’énergie autoproduite d’un point A de production à un point B de consommation. La nouvelle loi n° 82-21 a largement diminué ce seuil à 5 MW, sachant que l’ancienne réglementation ne permettait l’accès au réseau qu’à partir de 300 MW », indique le Ministère de la Transition Énergétique et du Développement Durable. Et d’ajouter que cette diminution du seuil d’accès au réseau électrique national constitue une avancée majeure pour le secteur industriel. « En abaissant cette valeur limite, le législateur ouvre l’accès au réseau à un plus grand nombre d’entreprises faisant recours à l’autoproduction, notamment les industriels de taille moyenne, qui étaient auparavant exclus de ce dispositif. Cela favorise non seulement la compétitivité industrielle, mais aussi la transition énergétique, en encourageant davantage l’investissement dans l’autoproduction à partir de sources renouvelables pour décartonner leurs activités. Cette évolution contribue ainsi à démocratiser l’accès au réseau, à diversifier l’offre énergétique et à renforcer la résilience du tissu industriel national. », justifie-t-il.

L’ensemble de ces régimes vise à faciliter l’accès à l’autoproduction tout en encadrant rigoureusement les interactions avec le réseau électrique national.

Avec la possibilité d’installer des systèmes photovoltaïques allant jusqu’à 11 kW sur les toits des habitations, les ménages marocains sont appelés à devenir des acteurs à part entière de la transition énergétique. Le choix de cette puissance n’est pas anodin : selon les études du ministère, aucun foyer résidentiel ne consomme au-delà de ce seuil en électricité, ce qui signifie que ce cadre permettrait à une majorité de foyers de couvrir l’ensemble de leurs besoins énergétiques, voire de générer un excédent.

Cette démocratisation de l’accès à la production électrique vise également à stimuler l’émergence de nouveaux métiers, de nouvelles entreprises locales, et à réduire la vulnérabilité énergétique des ménages face aux fluctuations du prix de l’électricité.

La loi 82-21 ne se limite pas à simplifier les démarches : elle pose les bases d’un véritable écosystème industriel autour de l’autoproduction. Un fonds dédié est en cours de création pour accompagner les PME marocaines spécialisées dans l’installation, la maintenance et la gestion d’équipements solaires. À moyen terme, cette politique pourrait créer des milliers d’emplois qualifiés dans des domaines aussi variés que l’ingénierie, l’électronique, la gestion de données ou encore le stockage d’énergie.

L’un des objectifs affichés par les pouvoirs publics est aussi de relancer la production locale de composants solaires, de batteries et de solutions intelligentes de monitoring énergétique. Il s’agit ici d’un virage stratégique : construire une souveraineté énergétique partielle en réduisant la dépendance aux importations de matériels, tout en valorisant les compétences locales.

Stockage et écrêtement : les nouveaux piliers de flexibilité

Deux autres décrets apportent des innovations majeures : ils concernent respectivement le stockage d’électricité et le système d’écrêtement. Désormais, un auto-producteur pourra non seulement stocker sa propre production pour lisser sa consommation ou pour parer aux coupures, mais il pourra également offrir ce service à d’autres, voire le louer aux gestionnaires de réseau. Cette ouverture marque une avancée vers un marché de l’énergie plus fluide et plus interconnecté, où le stockage devient un véritable levier économique. «Cette possibilité de stocker l’énergie produite localement leur offre une plus grande flexibilité dans l’exploitation de leurs installations de production, en leur permettant de lisser les variations d’autoproduction inhérentes aux énergies renouvelables », ajoute le ministère.

Quant à l’écrêtement, il s’agit d’un mécanisme de flexibilité permettant aux gestionnaires de réseau de demander une réduction temporaire de la production injectée, en cas de déséquilibre entre l’offre et la demande. Ce mécanisme, très utilisé dans les pays à forte pénétration des renouvelables, vise à éviter les surtensions et assurer la stabilité du réseau, tout en assurant une meilleure intégration des énergies intermittentes.

Excédents : de nouvelles règles pour un marché plus attractif

Le quatrième décret en attente aborde la question stratégique des excédents d’électricité. La loi 82-21 autorise déjà l’injection dans le réseau d’un excédent jusqu’à 20 % de la production installée. Cependant, le nouveau texte précise les conditions dans lesquelles ce plafond pourra être dépassé, notamment pour les entreprises et institutions à forte capacité d’autoproduction, comme les stations de dessalement fonctionnant à l’énergie renouvelable, ou les structures ayant investi dans des programmes d’efficacité énergétique.

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Ces excédents, qui ne pouvaient auparavant être vendus qu’à l’ONEE, pourront désormais être valorisés de manière plus souple et transparente, ouvrant la voie à un véritable marché secondaire de l’électricité verte. Cette perspective est porteuse de nouveaux modèles économiques pour les auto-producteurs, notamment les coopératives, les industriels ou les collectivités locales. Mieux encore, sur sa demande l’autoproducteur aura la possibilité de la révision à la hausse de ce plafond de 20 %,  selon certaines conditions, afin de mieux gérer l’équilibre entre l’offre et la demande en électricité de leurs installations de production et de consommation. « En effet, la viabilité de certains projets d’autoproduction peut nécessiter un dépassement de ce plafond en raison de la nature spécifique de l’activité concernée (projets associés à une consommation variable ou non maitrisée). A cet effet, le Ministère de la Transition Energétique et du Développement Durable a préparé, dans le cadre d’une approche participative avec les différentes parties publiques et privées concernées, un projet de décret d’application de l’article 12 de ladite loi n° 82-21, finalisé et qui sera soumis à l’approbation du Conseil du Gouvernement », nous dit-on auprès du ministère dirigé par Leila Benali.

Traçabilité, fiscalité verte et compétitivité industrielle

Le nouveau cadre légal impose aussi l’utilisation de compteurs intelligents, garantissant la traçabilité de l’énergie produite et consommée. À cela s’ajoute l’émission d’un certificat d’origine, qui permet à l’auto-producteur de prouver que l’électricité utilisée provient bien d’une source renouvelable.

Ce dispositif prend toute son importance dans le contexte international actuel. Grâce à ces certificats, les entreprises exportatrices marocaines pourront justifier le caractère bas-carbone de leurs produits, un avantage décisif face aux taxes carbone instaurées par l’Union européenne ou d’autres blocs commerciaux.

Une bascule énergétique à suivre de près

A travers cette réforme, le Maroc ne se contente pas d’encourager les énergies renouvelables : il transforme profondément son architecture énergétique. En donnant aux particuliers, aux entreprises et aux collectivités les moyens de produire et gérer leur propre électricité, le Royaume fait le choix de la résilience, de l’innovation et de la souveraineté énergétique.

Les décrets d’application de la loi 82-21, dont la publication est imminente, ne sont donc pas de simples textes techniques. Ils sont les instruments d’une révolution silencieuse, qui commence sur les toits, mais pourrait bien atteindre l’ensemble du tissu économique marocain.

 
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