Dans son Discours du 6 novembre 2023, commémorant le 48ème anniversaire de la Marche Verte, Sa Majesté Le Roi Mohammed VI a tracé une feuille de route stratégique audacieuse pour engager et réussir la structuration de l’espace géopolitique que constitue la façade atlantique africaine. Cette Initiative vise à consolider la sécurité, la stabilité et la prospérité partagée au niveau des 23 États africains atlantiques et à favoriser l’accès des États du Sahel à l’Océan Atlantique. Dans ce zoom, l’Ires fait des recommandations pertinentes.
Avec sa façade atlantique de plus de 2.900 kilomètres et son rôle de carrefour entre l’Afrique, l’Europe et les Amériques, le Maroc se positionne aujourd’hui comme un acteur clé pour structurer une coopération régionale dans l’espace atlantique. Cependant, l’histoire récente des grandes alliances économiques et diplomatiques met en garde contre les écueils de ces projets. En Europe, l’Union européenne fait face à une fragmentation politique croissante et une économie qui peine à croître (0,7 % attendu en 2024 selon la BCE). De l’autre côté de l’Atlantique, des initiatives comme le Mercosur ou l’Unasur ont montré leurs limites, entravées par des divergences internes et une absence de vision partagée. Même des blocs plus idéologiques, à l’image de l’Alba fondée par Cuba en 2004, ont échoué à s’imposer durablement sur la scène internationale.
Dans ce contexte, l’initiative du Maroc est face à un défi de taille : comment bâtir une stratégie de coopération efficace sans répéter les erreurs des grandes alliances mondiales ? Ce défi est amplifié par l’instabilité chronique de la région sahélienne, où les risques sécuritaires, les conflits internes et une pauvreté endémique freinent toute dynamique régionale. En 2024, le Sahel comptait plus de 36 millions de personnes déplacées et un taux de croissance économique limité à 3 %, selon la Banque mondiale. Si le Maroc aspire à jouer un rôle moteur dans cette région, il devra concilier son ambition de leadership avec la complexité d’un environnement géopolitique marqué par des tensions multidimensionnelles. Dans une nouvelle note, l’Ires fait des recommandations dans ce sens.
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« Le Maroc gagnerait à développer une stratégie fine pour réussir le portage de l’Initiative Atlantique africaine et convaincre les pays africains de la côte atlantique. La constitution d’un comité de pilotage est une étape prioritaire. Il pourrait prendre la forme d’une « Haute Commission pour la réalisation de l’Initiative Royale Atlantique ». Ses missions sont du domaine de la réflexion stratégique (anticipation des problèmes, des difficultés et des obstacles ; coordination et suivi des actions entreprises et des programmes adoptés). Cette commission serait composée d’experts pluridisciplinaires (droit, transports, marine marchande, économie, sécurité, défense, aménagement du territoire, énergie, tourisme,…) et de diplomates chevronnés. Sa première tâche serait de proposer la feuille de route qui guiderait la mise en œuvre de l’Initiative Royale pour l’Atlantique » ; lit on dans le rapport
Et de poursuivre : « Ce comité aurait comme objectif principal de favoriser, par sa réflexion, l’adhésion à l’idée de l’initiative et l’engagement pour sa réussite. L’argumentaire en ce sens repositionne favorablement le continent et lui permet de présenter le projet d’intégration régionale comme une chance pour la paix et la prospérité mondiales. L’idée de l’union doit être défendue résolument comme fondation d’un développement accéléré. Le besoin absolu du développement économique africain ne peut être ouvertement combattu par quiconque. Par conséquent, il s’agit de l’affirmer haut et fort. »
Par ailleurs, il faut quand même admettre que le Royaume dispose d’atouts stratégiques pour relever ce défi. Fort de ses investissements massifs dans les infrastructures portuaires (comme Tanger Med, le premier port d’Afrique) et d’une diplomatie proactive sur le continent, le Maroc a la capacité de proposer un modèle de coopération atlantique à la fois pragmatique et inclusif. Mais pour réussir, il devra répondre à une question cruciale : quelles innovations institutionnelles, économiques et diplomatiques permettraient d’éviter les pièges des ensembles rigides tout en favorisant une intégration souple et adaptée aux spécificités de la région ?
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OTAN Afrique
L’Ires propose également de concevoir une organisation qui puisse permettre aux pays africains riverains de l’Atlantique de communiquer, de se concerter et de se fixer des objectifs communs serait fort utile. « Si on lui adjoint les préoccupations sécuritaires et militaires, on pourrait déboucher sur une forme particulière de l’OTAN. Cette organisation, étendue au versant occidental de l’Atlantique Sud, prendrait en charge toutes les problématiques de la sécurité maritime et celles concernées par le maintien de la paix.
Dans tous les cas, le Maroc ne peut ignorer l’idée de son exposition aux dangers terroristes qui sévissent au Sahel. Mais il n’est pas le seul dans ce cas. Par conséquent, la solution, pour combattre le crime organisé transnational, ne peut être que multinationale. C’est une alliance large et forte qui doit être mobilisée. L’objectif majeur du Maroc est de participer intensément aux efforts en vue de la constituer le plus rapidement possible ». Par ailleurs, l’institut milite aussi pour la mise en place d’une puissance maritime qui ne peut qu’être bénéfique pour le Maroc comme pour ses partenaires africains. Dans les détails ; Il s’agit d’assurer le contrôle et la sécurisation des routes maritimes et des activités marines de l’espace afroatlantique.
Faut-il une doctrine économique ?
Depuis des décennies, sur le continent, le terrain de l’intégration régionale a été investi avec une pluralité de projets : la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE), la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), ou encore le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (Comesa). Tout comme en Amérique du Sud, l’enjeu de la stabilité a rendu tout projet de développement difficilement réalisable. Les chaos somalien et libyen, ainsi que les groupes terroristes comme AQMI ou Boko Haram, perturbent toutes les régions avoisinantes.
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Partant de ce prisme de défi, quel modus operandi de résilience pour l’initiative du Sahel ? « Les pays africains de l’initiative atlantique et à sa tête le Maroc doivent travailler dans l’élaboration d’une doctrine économique africaine commune dont le but serait de construire une nouvelle offre africaine », prévient l’économiste Driss Aissaoui. Et de poursuivre : « le projet de l’initiative atlantique, c’est l’avenir. Plus d’une vingtaine de pays africains vont utiliser leur savoir et leur savoir-faire pour transmettre de la valeur et devenir des vecteurs de richesse et de développement ».
De son côté, l’expert Jamal Machrouh, Senior du Policy Center, déclare : « L’histoire du processus d’intégration européen présente des enseignements fort saisissants. Les pères fondateurs de l’intégration européenne ont débuté l’édifice de la construction par la concrétisation de la coopération dans deux domaines clés, à savoir le charbon et l’acier, et ce en instituant la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier. La coopération dans ces deux secteurs a rapidement constitué une sorte de locomotive qui a tiré la coordination et l’intégration européennes presque dans tous les secteurs. »
Et d’ajouter : « Dans ce sens, le processus de l’Afrique atlantique mériterait d’être fondé sur la concrétisation de la coopération et de l’intégration dans un nombre limité de domaines mais avec des échéanciers et des objectifs bien établis. Un de ces projets structurants est le gazoduc Nigeria /Maroc qui ambitionne de relier les zones de production de gaz du golfe de Guinée à l’Europe en passant par tous les pays ouest-africains riverains de l’Atlantique ».
Les experts sont rassurés quant à l’avenir…
Pour Michel Vialatte, consultant international et expert des politiques publiques « La stratégie Atlantique du Maroc se distingue par sa dimension, appropriée aux enjeux d’une sous-région sahélienne que sa géographie physique et les découpages territoriaux post-coloniaux ont éloigné de l’accès à la façade atlantique du continent africain. Il y a un vrai génie diplomatique à avoir conçu une ambition d’aménagement du littoral atlantique saharien du Maroc avec l’objectif d’y concevoir des infrastructures de toutes natures, portuaires avec l’ambitieux Dakhla Atlantique, routières, maritimes (avec Dakar notamment) et demain ferroviaires (car il faudra bien relier le port de Dakhla aux régions du Souss-Massa et de Marrakech-Safi), accessibles aux pays jusque-là privés d’accès pour l’exportation de leurs productions.
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Le positionnement géographique de la Mauritanie, passage obligé vers les provinces méridionales du Maroc et son littoral mais aussi l’intérêt bien compris des 2 pays (Maroc et Mauritanie) à penser ensemble le modus operandi de l’organisation des échanges inter-étatiques de la sous-région, conduira rapidement et mécaniquement à un renforcement significatif de la coopération bilatérale marocco-mauritanienne et, ainsi, donner vie, sur le flanc Sud-Ouest du Maghreb, à une première esquisse d’une Union du Maghreb Arabe qui s’avère impossible à construire sur son flanc Nord-Est».
Quant au président l’IMRI Jawad Kerdoudi, la faisabilité l’emporte sur la complexité. « Le Maroc a un problème qui est celui de la reconnaissance de la marocanité de son Sahara. Entre les États il n’y a pas sentiment, il n’y a que des intérêts. Aussi le Maroc a lancé 2 grands projets pour l’Afrique : l’accès des pays enclavés du Sahel à l’Océan Atlantique via le port de Dakhla. Ce projet a beaucoup intéressé le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad. De plus ce projet a poussé le président mauritanien à se rapprocher du Maroc en accompagnant le Roi Mohammed VI aux Émirats Arabes Unis pour chercher du financement. L’autre projet le Gazoduc Nigeria – Maroc va traverser 13 pays qui vont recevoir une contribution financière sous forme d’argent ou en nature. Ces 2 projets marquent le dynamisme de la diplomatie marocaine et accroissent le prestige du Maroc sur la scène internationale. Aussi, je suis favorable à ces grands projets qui sont certes difficiles à mettre en œuvre mais qui en valent la peine», explique M. Kerdoudi.