Développement

L’appel de la montagne

L’enclavement territorial a une histoire. Faut-il oser voir cette histoire telle qu’elle est réellement ou continuer à lui tourner le dos ? Car, en lui tournant le dos, c’est aussi le présent que l’on refuse de comprendre et de changer.

Au mois prochain de septembre, deux ans se seront écoulés après le tremblement de terre qui a frappé certaines régions du Haut et de l’Anti Atlas, notamment le Haouz. Une solidarité populaire, collective et spontanée, s’était exprimée en ce moment. L’Etat, aux niveaux central et territorial a pris le relai. Des actions urgentes ont été menées. Un programme de reconstruction a été élaboré et mis en œuvre. Où en est-on aujourd’hui ?   

C‘est le rôle, voire l’obligation des institutions publiques politiquement responsables, et en particulier le gouvernement, de rendre compte. Non pas parce que l’exécutif serait responsable de cette catastrophe « naturelle », mais parce que politiquement responsable de la gestion publique de des « situations de crise », et de manière générale, en « temps normal », du vivre ensemble, en vertu de la Constitution, notamment l’article 40 de cette loi fondamentale du Royaume, adoptée par référendum. Or, après les « vacances » d’été, le gouvernement a tenu sa première réunion, dans une ambiance quasi-routinière, monotone, presque « sisyphienne ». Pourtant, les « montagnes bougent ».

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A l’instar de la crise sanitaire due au Covid-19 qui a mis à nu les défaillances structurelles du système de santé, le séisme, au mois de septembre 2023, a révélé l’ampleur réelle de la pauvreté et de l’enclavement que connaissent de nombreux villages et douars situés dans les zones rurales et montagneuses. Un « Maroc longtemps oublié ». C’est d’ailleurs pour cela que le programme post-séisme a intégré des objectifs ambitieux qui vont bien au-delà du simple rétablissement du statu quo ante. Aujourd’hui, dans plusieurs régions, les populations qui continuent à vivre dans des conditions d’isolement et de marginalisation socio-territoriale, après sept décennies d’indépendance, essaient de faire entendre leur voix. Ces populations, toujours prêtes à se sacrifier pour leur patrie, se sentent économiquement et socialement abandonnées, et organisent des marches pacifiques, sur des dizaines de kilomètres, en se dirigeant vers ce qui représente officiellement l’ « institution publique responsable number one » qu’est la province/préfecture/wilaya, en tant que « première oreille » et « premier œil », véritable prolongement territorial du pouvoir central.

Auparavant, ces populations arrivaient à survivre, en cultivant leurs petits lopins de terre fertile, en plantant des arbres fruitiers adaptés au climat et aux sols rocailleux des montagnes tels que les amandiers et les oliviers, ou en élevant quelques chèvres. Cela était possible tant que l’eau était suffisamment disponible. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Pluies et neiges se font rares. Et quand la pluie tombe, c’est avec excès, provoquant érosion et inondations. La neige aussi a diminué et fond plus rapidement sous l’effet de la hausse de température. Le thermomètre dépasse souvent les 40°C pendant plusieurs mois de l’année. L’eau s’évapore vite avant de pénétrer le sol. Les sources tarissent et les rivières s’assèchent. Dans l’une des récentes marches pacifiques, organisée dans la région de Taourirt, les gens demandent de l’eau et une route pour pouvoir se déplacer avec moins de difficulté et accéder à des ressources vitales telles que la ressource hydrique.

Cette ressource est déterminante en matière de survie et de stabilité. Le manque d’eau, qui a des causes à la fois locales et globales, a des conséquences graves et multiples, directes et indirectes. Outre la soif, c’est l’ensemble des écosystèmes naturels dans les milieux ruraux et dans les montagnes qui sont menacés. Une profonde transformation géophysique est entamée. Cette transformation concerne le sol et le sous-sol, la végétation, les insectes, les diverses espèces animales domestiques ou sauvages, et les humains. Déforestation et désertification sont des processus déjà entamés.

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Dans la lettre adressée aux walis et gouverneurs, et relative à l’«élaboration d’une nouvelle génération de programmes de développement territorial intégré», le ministre de l’intérieur a mis l’accent sur l’importance de l’implication des acteurs locaux concernés, dans le processus d’élaboration desdits programmes de développement, afin notamment de mieux faire remonter la spécificité et la complexité des besoins réels des populations vivant dans les zones territoriales enclavées où les conditions de vie ont été fortement impactées par les politiques publiques menées depuis l’indépendance et par le dérèglement climatique en cours. Dans cette note, il a été aussi question d’impliquer les universités. Voilà ce qui devrait, en principe, ouvrir la voie, à des analyses et à des diagnostics scientifiquement fondés et donc « politiquement neutres ».  

Certes, la situation est urgente et fait appel à des mesures tout aussi urgentes. Néanmoins, l’action urgente ne devrait pas faire obstacle à une compréhension  plus profonde et à une prise de conscience des véritables causes chroniques et structurelles, en vue d’un changement profond et durable, à travers l’instauration d’une justice socio-territoriale, c’est-à-dire fondée sur le respect des droits humains fondamentaux et rompant définitivement avec cette ancienne logique caritative dominant actuellement la gestion officielle des rapports sociaux verticaux et horizontaux. La situation actuelle dans les zones dites enclavées n’est pas le fruit du hasard. Elle est le résultat de plusieurs décennies de politiques publiques où les besoins fondamentaux des populations vivant dans les zones dites enclavées, n’ont pas été perçus comme étant des priorités.                 

 
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