La nouvelle réforme des adouls, adoptée par le gouvernement, redessine de manière profonde les contours d’un métier central dans la vie juridique des citoyens. Entre professionnalisation accrue, digitalisation obligatoire des actes, encadrement renforcé de la responsabilité professionnelle et nouvelles règles de coordination territoriale, cette réforme marque une rupture historique. L’avocat Abdelhaq Bolgot, agréé près la Cour de cassation, analyse la portée réelle de ce texte, ses avancées et les zones qui nécessitent encore clarification.
La réforme introduit une exigence majeure : l’ouverture obligatoire d’un bureau professionnel conforme aux normes fixées. Cette mesure n’est plus un simple souhait institutionnel mais une obligation légale qui change radicalement l’accès au métier et les conditions de sa pratique. Selon Maître Abdelhaq Bolgot, cette transformation traduit « une volonté forte de professionnaliser la pratique notariale traditionnelle», en créant un cadre de travail digne, structuré et sécurisé pour recevoir les usagers. Il explique que cette nouvelle norme met un terme à des pratiques informelles encore répandues, où certains adouls exerçaient dans des locaux inadaptés, parfois dépourvus des conditions minimales de confidentialité et de préservation des documents.
Cette évolution a, selon lui, plusieurs effets. Elle renforce la crédibilité des actes, améliore la qualité du service rendu et sécurise les opérations juridiques qui dépendent des adouls, notamment en matière de statut personnel et de transactions patrimoniales. Elle introduit également une forme de sélection naturelle au sein de la profession, en exigeant un investissement financier et logistique plus important que par le passé. Maître Bolgot souligne néanmoins, qu’« un tel niveau d’exigence peut représenter un coût important pour les nouveaux adouls », ce qui pourrait justifier la mise en place de dispositifs d’accompagnement ou d’une période transitoire pour éviter de freiner l’installation des jeunes professionnels.
Digitalisation obligatoire
La réforme franchit un cap majeur en imposant que tous les actes et certificats soient rédigés de manière informatisée, l’écriture manuscrite n’étant autorisée qu’à titre exceptionnel et dans des conditions strictement encadrées. Cette transition s’inscrit dans la stratégie nationale de transformation numérique, mais elle comporte des enjeux juridiques et techniques considérables.
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Pour Maître Bolgot, l’un des principaux défis réside dans la sécurité numérique. Les actes adoulaires ont une valeur juridique élevée et la moindre faille technique pourrait générer des litiges complexes. Il explique que « la sécurité des systèmes et la protection contre les intrusions doivent être garanties de manière absolue, car une manipulation ou une perte de données aurait des conséquences graves».
Un autre enjeu essentiel est la force probante de l’acte numérique. L’avocat insiste sur la nécessité d’assurer que l’acte électronique bénéficie d’une reconnaissance juridique identique à celle de l’acte papier, et d’éviter toute ambiguïté en matière d’authenticité, de signature ou d’horodatage. La question de l’archivage à long terme constitue également un défi majeur. Les actes doivent rester exploitables pendant plusieurs décennies, ce qui exige des plateformes technologiques robustes, pérennes et entretenues par l’État ou par une structure sécurisée.
La réussite de cette digitalisation dépendra aussi de la capacité des adouls à s’adapter. Il faudra les former aux outils numériques, standardiser les logiciels utilisés et instaurer un dispositif d’assistance technique rapide en cas de panne. «La digitalisation est une avancée incontestable, mais elle impose un cadre technico-juridique solide pour éviter les risques», insiste Maître Bolgot.
Responsabilité professionnelle
La réforme introduit plusieurs mécanismes destinés à mieux encadrer la responsabilité professionnelle des adouls. Elle instaure la possibilité de suspendre temporairement l’exercice en cas de raisons médicales, scientifiques ou religieuses. Elle prévoit également un examen médical annuel obligatoire pour les adouls âgés de 70 ans et introduit des sanctions en cas d’abandon injustifié de la fonction.
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Pour Maître Bolgot, ces nouvelles dispositions représentent un progrès important car elles comblent des lacunes qui causaient auparavant des perturbations notables pour les citoyens et pour les tribunaux. Il explique que l’obligation de contrôle médical contribue à garantir que l’adoul reste apte à exercer un métier qui exige rigueur, concentration et discernement. Les sanctions liées à l’abandon de poste permettent quant à elles d’assurer la continuité du service et de protéger les usagers.
Cependant, ces mesures ne suffisent pas à elles seules à instaurer un régime de responsabilité moderne et cohérent. Plusieurs zones grises subsistent. Maître Bolgot estime ainsi qu’il reste nécessaire de préciser les critères qui justifient une suspension temporaire afin d’éviter des interprétations trop subjectives. Il souligne également que les mécanismes de contrôle professionnel restent inégaux sur le territoire, notamment dans les régions éloignées. Enfin, il note que la responsabilité en cas de dysfonctionnement technique lié aux systèmes numériques doit encore être définie clairement, et que la réforme ne prévoit pas de procédure d’évaluation annuelle des performances, ce qui constitue selon lui une lacune importante dans un métier fortement lié à la qualité du service rendu.
Une nouvelle logique d’organisation
L’une des innovations les plus structurantes de la réforme réside dans l’obligation, pour un adoul, d’informer préalablement l’autorité compétente lorsqu’il intervient hors de son ressort territorial. Cette disposition vise à mettre fin à des pratiques longtemps sources de tension et de conflits de compétence, notamment dans les grandes agglomérations.
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Selon Maître Bolgot, cette règle constitue «une mesure essentielle pour réorganiser la profession ». Elle permet d’accroître la transparence entre les professionnels en supprimant les interventions discrètes ou non déclarées, de réduire les risques de chevauchement de compétence et de limiter les comportements non professionnels, comme les déplacements injustifiés dans l’objectif de capter une clientèle extérieure. En rendant chaque intervention traçable, cette obligation facilite également le contrôle du ministère public et contribue à renforcer la confiance du citoyen dans l’intégrité de la profession.
La réforme encourage enfin un mode d’exercice collaboratif, notamment par le travail en binôme ou la mutualisation des moyens professionnels. Cette approche, selon l’avocat, permet de renforcer la cohésion du corps professionnel, d’harmoniser les pratiques et de dépasser les logiques concurrentielles parfois désordonnées qui caractérisaient certains territoires.
La réforme des adouls marque un tournant majeur dans la modernisation du cadre juridique marocain. En structurant de manière plus rigoureuse les conditions d’exercice, en imposant la digitalisation des actes, en renforçant la responsabilité professionnelle et en améliorant la coordination territoriale, elle jette les bases d’une profession plus crédible, plus transparente et mieux alignée sur les standards contemporains.
Pour Maître Abdelhaq Bolgot, il s’agit d’«un progrès réel et incontestable», mais la pleine efficacité de cette réforme dépendra de la capacité des institutions à accompagner sa mise en œuvre, à préciser les zones d’ombre et à garantir une gouvernance technique et juridique solide dans un environnement de plus en plus digitalisé. Cette réforme ouvre la voie à un environnement plus sécurisé et plus moderne, mais elle appelle encore des ajustements afin de garantir une application homogène et durable sur l’ensemble du territoire.

Interview // Abdelhaq Bolgot,Avocat agréé près la Cour de cassation
Challenge : La nouvelle réforme des Adouls impose désormais, l’ouverture obligatoire d’un bureau professionnel et interdit l’exercice dans des locaux non conformes. Sur le plan juridique, en quoi ces nouvelles exigences redéfinissent-elles les conditions d’accès et d’exercice du métier d’adoul ?
Abdelhaq Bolgot : La nouvelle réforme modifie profondément les conditions d’accès et d’exercice du métier d’adoul. L’obligation d’ouvrir un bureau professionnel conforme aux normes n’est plus une simple recommandation : c’est désormais une exigence légale. Cette mesure reflète une volonté de professionnaliser et moderniser la pratique notariale traditionnelle. Concrètement, cette obligation entraîne plusieurs effets, notamment une élévation du niveau de professionnalisme en garantissant un espace adéquat pour recevoir les usagers et préserver les documents, ainsi qu’une réduction des pratiques informelles parfois exercées dans des lieux inadaptés, ce qui pouvait porter atteinte à la crédibilité et à la sécurité des actes. Elle contribue également, à l’amélioration de la qualité du service rendu en sécurisant davantage les opérations juridiques, et engendre une sélection naturelle au sein de la profession en exigeant davantage de moyens logistiques et financiers pour exercer. Il faut toutefois, reconnaître que cette exigence peut représenter un coût supplémentaire pour les nouveaux adouls, ce qui devrait inciter à envisager des mécanismes d’accompagnement ou une période transitoire.
Challenge : La rédaction des actes et certificats devient obligatoirement informatisée, avec des exceptions strictement encadrées. Quels défis juridiques et techniques cette digitalisation soulève-t-elle ?
A.B. : La digitalisation de la rédaction des actes constitue l’une des mesures les plus marquantes de la réforme. Cette transition s’inscrit dans la modernisation globale de l’administration marocaine, mais soulève plusieurs enjeux majeurs. Le premier défi est la sécurité numérique, les actes adoulaires étant des documents à fort enjeu juridique : toute faille, intrusion ou manipulation pourrait générer des litiges sérieux. Le deuxième défi concerne la force probante de l’acte numérique, car il est indispensable de garantir que l’acte électronique bénéficie de la même valeur juridique qu’un acte papier. Le troisième défi est celui de l’archivage à long terme, les actes devant rester exploitables pendant des décennies, ce qui nécessite des plates-formes robustes, pérennes et sécurisées. De plus, la digitalisation impose une formation appropriée des adouls aux systèmes informatiques, la standardisation des outils numériques et une assistance technique réactive en cas de dysfonctionnement. La digitalisation est donc une avancée nécessaire, mais elle exige un cadre technico-juridique solide pour éviter les risques.
La réforme introduit la possibilité de suspension temporaire, des obligations médicales annuelles après 70 ans et des sanctions en cas d’abandon de poste. Ce nouveau dispositif suffit-il à renforcer la responsabilité professionnelle des adouls, ou reste-t-il des zones grises à clarifier ?
A.B. : La réforme introduit des mécanismes nouveaux, notamment la suspension temporaire, les examens médicaux annuels après 70 ans et les sanctions en cas d’abandon de poste. Ces mesures représentent un véritable progrès pour structurer la responsabilité professionnelle. L’examen médical annuel vise à vérifier que l’adoul reste capable d’exercer des missions nécessitant rigueur, concentration et discernement, tandis que les sanctions relatives à l’abandon de poste viennent combler un vide qui causait auparavant des désagréments graves pour les citoyens et les juridictions. Cependant, plusieurs zones d’ombre persistent. Les critères précis justifiant une suspension doivent être clarifiés afin d’éviter une application trop subjective. Les mécanismes de contrôle professionnel restent irréguliers, notamment dans les zones éloignées. La responsabilité technique du fait des systèmes numériques n’est pas encore parfaitement définie, et aucune procédure d’évaluation annuelle des performances n’est prévue. Ainsi, ces mesures constituent un progrès réel, mais elles nécessitent encore des compléments réglementaires pour instaurer une responsabilité pleinement cohérente et moderne.
La coordination entre adouls est encouragée, et toute intervention hors ressort doit être préalablement signalée. Comment ces nouvelles règles peuvent-elles améliorer la transparence des pratiques et réduire les risques de conflits de compétence ou d’abus ?
A.B. : L’obligation pour l’adoul d’informer l’autorité compétente lorsqu’il intervient hors de son ressort territorial est une mesure essentielle pour réorganiser la profession. Elle met fin à certaines pratiques qui provoquaient des tensions ou des conflits d’attribution. Cette règle permet notamment, d’accroître la transparence entre les professionnels en évitant les interventions discrètes ou non déclarées, de réduire les conflits de compétence particulièrement fréquents dans les grandes villes, de limiter les comportements non professionnels tels que le déplacement injustifié pour capter une clientèle extérieure et de faciliter le contrôle par le ministère public, car chaque intervention devient traçable. Cette mesure encourage aussi l’émergence d’une culture de collaboration plutôt que de concurrence désordonnée. Elle contribue à harmoniser les pratiques et renforce la confiance du public envers la profession.