Au moment où les ressources hydriques se font rares dans des parties du globe et où les inondations deviennent brutales dans d’autres, le monde arrive à un moment charnière. Le secteur de l’eau n’est plus une simple affaire de gouvernance, elle est au cœur même de la résilience des sociétés, voire de la pérennité des nations. Le 19ème Congrès Mondial de l’Eau, qui s’est tenu dernièrement à Marrakech, illustre parfaitement l’ampleur des défis, mais aussi la capacité de la science à dessiner une potentielle porte de sortie.
La complexité des débats entre spécialistes était à la hauteur de la complexité des enjeux actuels, qui se trouvent accentués par le changement climatique, devenu une donnée réelle à prendre en compte. De ce fait, cette thématique a constitué le fil conducteur des discours officiels et des exposés des experts réunis dans la Cité ocre (1er/5 décembre), à l’initiative du ministère marocain de l’Equipement et de l’Eau et l’Association internationale des ressources en eau (IWRA).
« Le changement climatique accroît les incertitudes du cycle hydraulique et provoque des sécheresses et des inondations plus fréquentes, tandis que le développement socio-économique exerce une pression croissante sur les systèmes naturels. Les liens interdisciplinaires entre l’eau et la santé, les terres, l’alimentation, l’énergie, l’écologie et d’autres facteurs socio-économiques rendent les enjeux liés à l’eau de plus en plus complexes », résume le Président de l’IWRA, Yuanyan Li.
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M. Li a considéré que la gestion durable des ressources en eau reste un défi mondial majeur, encore plus pressant qu’il y a 30 ans. En effet, beaucoup d’eau a coulé sous le pont depuis la première édition à Chicago en 1973. Au lieu d’un espace d’ingénieurs discutant d’aspects purement techniques (aménagement, irrigation et maîtrise des ressources), le forum s’est transformé en une agora où les décideurs viennent chercher des solutions et des idées pour l’optimisation de la gestion des systèmes hydriques.

Mariage d’intérêt entre scientifique et politicien
La Déclaration de Marrakech est allée dans ce sens, en appelant à renforcer la relation entre le monde de la science et celui de la politique. Les énormes possibilités offertes par la technologie représentent, aujourd’hui, le meilleur allié des politiciens pour tenir leurs promesses et mener à bien leurs stratégies.
Le Maroc fait partie de ces pays qui ont pris la mesure de la nécessité de reposer sur l’innovation pour affronter la problématique de la raréfaction des ressources hydriques. Frappé par des années de sécheresse, le pays s’est lancé dans des programmes tous azimuts en vue de sécuriser l’approvisionnement de ses citoyens en eau potable et sauver son agriculture, qui occupe une place centrale aussi pour l’économie que pour la préservation de la paix sociale.
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« Le fait que cette édition se tient au Maroc n’est pas anodin. Le pays est à la fois exemplaire et vulnérable : pressions climatiques extrêmes, pression agricole sur les nappes, croissance urbaine accélérée, et en même temps une volonté affichée d’innovation, qu’il s’agisse de dessalement, de réutilisation ou de monitoring intelligent », nous explique Imane Messaoudi-Mattei, notamment Chercheuse à l’institut Geneva Water Hub, en Suisse.
En effet, le ministre de l’Equipement et de l’Eau, Nizar Baraka, a mis à profit cette tribune pour faire l’étalage des fondements de la stratégie nationale en la matière avec des objectifs aux court, moyen et long termes. L’accélération des projets de dessalement de l’eau de mer représente le programme phare de cette politique, qui bénéficie d’importants fonds atteignant 143 milliards de dirhams pour la période 2020-2027.
«Grâce à la vision proactive de Sa Majesté le Roi, le Maroc a adopté une politique de l’eau basée sur une approche systémique combinant eau, énergies renouvelables et alimentation. Celle-ci relie ces trois secteurs au sein d’une politique unique, d’une vision commune et de résultats concrets pour améliorer la vie des citoyens.» a expliqué le ministre.
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Dans ce sens, Loïc Fauchon, Président du Conseil mondial de l’eau et grand connaisseur du Royaume, a annoncé l’engagement de son institution, aux côtés des autorités marocaines, pour la création d’un Centre international dédié aux eaux non conventionnelles associées aux énergies renouvelables. Il a évoqué une volonté commune d’innover et de coopérer, en s’appuyant sur l’expertise reconnue du Maroc du dessalement à Dakhla à l’énergie éolienne à Tanger, du solaire à Ouarzazate au recyclage des eaux à Rabat.
Inondations et sécheresse : Même combat ?
Si des pays comme le Maroc sont confrontés à un stress hydrique permanent, dans d’autres régions de la planète, particulièrement en Asie de l’Est, on fait face à une situation complètement paradoxale avec une surabondance des précipitations, qui provoquent souvent des inondations plus fréquentes et plus ravageuses, selon les estimations des autorités et des experts.
Quand bien même cela peut sembler surréaliste pour les personnes vivant sous la menace des pénuries, des rationnements et parfois de longues coupures d’eau, des centaines de millions de Chinois, à titre d’exemple, redoutent la pluie. Une réalité bien détaillée par le ministre des Ressources en eau de la République populaire, Li Guoying. D’après ce haut responsable, les pertes causées par les inondations s’élevaient, jusqu’à récemment, à 0,8% du PIB du pays. Et quand on connait le volume de la richesse nationale de ce pays, on se rend compte de l’ampleur des dégâts matériels, mais aussi de la gravité du coût humain avec les déplacements et les évacuations de dizaines de millions de personnes.
Au cours des dernières années, la Chine a enregistré 3.980 inondations ayant affecté 7.841 villes, 43 millions de personnes et 5,4 millions hectares de terres agricoles. En mettant en place une stratégie de «contrôle des inondations», essentiellement l’augmentation des capacités de stockage des eaux diluviennes, le pays a ramené les pertes à 0,1% du PIB.
Dos au mur
Les exemples du Maroc et de la Chine sont symptomatiques d’une crise généralisée dans le domaine de la gestion de l’eau, même avec la différenciation de l’envergure et de la nature. Lors d’une table ronde ministérielle, les représentants des gouvernements présents à Marrakech se sont éloignés de la langue de bois, en reconnaissant les défaillances et les retards accumulés dans l’exécution des stratégies nationales.
L’actuelle édition «reflète un monde où l’eau n’est plus un simple secteur technique, mais un espace stratégique où se jouent des questions de justice, de résilience et de souveraineté », nous a confié l’experte Messaoudi-Mattei. Et c’est précisément cette articulation entre vulnérabilités climatiques, transformations institutionnelles et innovations sociales, qui a dominé le Congrès.
«Nous sommes venus pour étudier, apprendre, partager nos expériences et conclure des partenariats solides, notamment avec le Maroc et les autres pays participants», a déclaré le ministre mauricien de l’Énergie et des services publics, Patrick Gervais Assirvaden.
C’est avec cet esprit d’humilité que les dirigeants doivent gérer les nouvelles réalités, qui n’épargnent ni pays pauvres ni pays riches. Pour commencer, ils doivent apprendre à faire confiance au progrès scientifique et à s’inspirer de l’ingéniosité des anciens, qui ont su développer des systèmes hydrauliques efficaces avec les moyens de bord !