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Afflux des IDE. Le Maroc face à la nouvelle géographie des capitaux

Au moment où les flux mondiaux d’Investissements directs étrangers (IDE) marquent le pas en 2024 à cause des troubles géopolitiques dans le monde, le Maroc affiche une forte progression de ses IDE frôlant les +55%. Mais cette performance est à relativiser car, d’une part, le volume atteint reste en deçà du niveau moyen des 10 dernières années, et d’autre part, si le Royaume est la seconde destination d’Afrique du Nord, il se situe loin au 13ème rang à l’échelle continentale.

Dans le monde, le climat d’incertitude économique, exacerbé par la guerre en Ukraine, les tensions commerciales et une inflation persistante, a incité les multinationales à restreindre leurs engagements à l’étranger et à redoubler de prudence dans le choix des destinations d’investissement. Par conséquent, et selon le Rapport sur l’investissement dans le monde 2025 de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), les flux mondiaux d’Investissements directs étrangers (IDE) ont reculé de 11% en 2024. 

A contre-courant de cette tendance, l’afflux des IDE vers le Maroc a réalisé une hausse de 55% par rapport à 2023, soit 1,6 MM $ en IDE net en 2024, contre seulement 1,1 MM $ en 2023. Cette remontée lui permet de se hisser au second rang des pays d’Afrique du Nord, mais loin derrière l’Égypte (46,6 MM $), mais devant l’Algérie (1,44 MM $) et la Tunisie (936 M $). Cette dynamique confirme, a priori, la résilience du pays face aux tensions géopolitiques et l’incertitude croissante qui redessinent la carte mondiale des capitaux. 

La tendance s’est poursuivie en 2025 avec un afflux net d’IDE de 1,4 MM $ à fin mai 2025, soit une hausse de 41,7% par rapport à la même période en 2024, selon le dernier bulletin statistique de l’Office des Changes. Cette progression résulte d’une augmentation significative des recettes des IDE, qui ont atteint 2,2 MM $ (+27 % sur un an), tandis que les dépenses liées aux IDE se sont légèrement accrues à 0,7 MM $ (+6,9%). Ces chiffres traduisent la consolidation d’une dynamique favorable de l’attractivité du Maroc auprès des investisseurs étrangers.

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Pourtant, ces chiffres sont à relativiser eu égard, d’une part, à l’évolution de leur volume dans le temps et d’autre part, en comparaison avec les autres pays du continent africain. S’agissant du 1er critère d’évaluation, les recettes nettes des IDE avaient atteint 3,2 MM $ en 2015 et 3,3 MM $ en 2018, alors qu’elles n‘ont pas dépassé 1,7 MM $ en 2024, soit une diminution de 46% en l’espace de 10 ans. Cette décrue est d’autant plus inquiétante que, rapportée au PIB, les IDE nets ont chuté de 3,22% en 2015 à seulement 0,88% en 2024. 

Seconde désillusion, si dans la sous-région d’Afrique du Nord le Maroc reste la deuxième destination des IDE, à l’échelle continentale il perd du terrain et figure hors du Top 10 des destinations africaines les plus attractives. En effet, le Royaume se situe loin au 13ème rang en Afrique, selon les dernières données de la CNUCED, un continent où les flux d’IDE se sont accrus de +75%, pour atteindre le record de 97 MM $ en 2024, un niveau exceptionnel dû à un mégaprojet en Égypte. La hausse spectaculaire des IDE en Égypte à 46,6 MM $ en 2024, est attribuable au projet Ras El-Hekma, d’une valeur de 35 MM $, un projet touristique avec un centre financier et une zone franche dotée d’une infrastructure de classe mondiale, porté par le fonds souverain Abu Dhabi Developmental Holding Company. En dehors de cette exception ponctuelle, ce pays capte une part croissante des IDE de 8,2 MM $ en moyenne entre 2019 et 2023 grâce à une politique d’incitations particulièrement agressive, des zones franches attractives et des partenariats financiers d’envergure. 

Pourtant, des mégas projets d’investissement il y en a au Maroc, notamment les projets d’envergure dans la production d’ammoniac vert, de carburant synthétique, d’énergies renouvelables, de gigafactories de fabrication des composants de batteries électriques etc… soutenus par des capitaux venus de Chine, de France, des Émirats arabes unis et du Royaume-Uni. Le Maroc a également capté plusieurs projets d’infrastructure de taille moyenne dans le secteur de la construction, confirmant son positionnement croissant sur les segments d’investissement à fort impact. 

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Cette baisse comparative dans le temps et dans l’espace des flux des IDE au Maroc suscite de nombreuses interrogations, tant elle contraste avec les ambitions affirmées du pays en matière d’industrialisation, de logistique et des énergies renouvelables, d’exportation et d’intégration dans les chaînes de valeur mondiales. Elle met aussi en lumière les limites des politiques publiques déployées pour renforcer l’attractivité du territoire, à travers des dispositifs législatifs telle la nouvelle charte d’investissement et des stratégies sectorielles ambitieuses, tel le Plan d’accélération industrielle, la stratégie Maroc Digital 2030 etc. Si on compare le Royaume avec ses rivaux africains, il apparaît que malgré sa stabilité politique et ses atouts logistiques, le Maroc peine à rivaliser en termes de fiscalité incitative ou de simplification des démarches administratives.

En tout cas, notre pays conserve de nombreux atouts structurels. L’organisation conjointe de la Coupe du monde 2030 avec l’Espagne et le Portugal représente un projet catalyseur susceptible d’attirer d’importants investissements dans un proche avenir. Le cadre macroéconomique du pays demeure globalement maîtrisé, son environnement juridique est relativement stable, et il bénéficie d’un réseau de plus de cinquante accords de libre-échange, lui offrant un accès préférentiel à un marché de plus d’un milliard de consommateurs. Et en termes de stocks d’IDE, un indicateur de confiance à long terme, le Maroc est bien classé et affiche un volume de 62 MM $ à fin 2024, qui lui confère la 4ème place en Afrique, derrière l’Égypte (205 MM $), l’Afrique du Sud (113 MM $) et le Nigeria (69 MM $). La consolidation du stock d’IDE témoigne de la confiance renouvelée des investisseurs étrangers dans les fondamentaux économiques du pays.

 
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