Financement

Banques participatives au Maroc. Un modèle sous tension face à un déséquilibre de liquidité

Alors que les crédits participatifs dépassent les 35 milliards de dirhams, les dépôts stagnent autour de 12 milliards. Une situation préoccupante qui soulève des questions sur la soutenabilité du modèle économique des banques participatives au Maroc.

Les banques participatives marocaines, lancées officiellement en 2017, se retrouvent aujourd’hui confrontées à un déséquilibre structurel croissant entre les financements qu’elles accordent et les dépôts qu’elles collectent. Une situation qui met leur modèle sous pression et interroge sur leur capacité à maintenir une trajectoire durable.

Mohammed Jadri, Economiste et Directeur de l’Observatoire de l’Action Gouvernementale, analyse ce phénomène : « Ce déséquilibre s’explique principalement par la trajectoire que les banques participatives ont suivie depuis leur lancement en 2017. Pour asseoir leur présence sur le marché, elles ont massivement misé sur des produits de financement à marge fixe comme la mourabaha, notamment dans l’immobilier. Ce choix leur a permis de générer rapidement du revenu, mais au détriment d’une stratégie équilibrée entre collecte et emploi des fonds. »

Avec des crédits participatifs qui atteignent aujourd’hui 35 milliards de dirhams, contre à peine 12 milliards de dépôts collectés, l’écart se creuse dangereusement. Mohammed Jadri précise :  « Parallèlement, leur offre en matière d’épargne est restée pauvre et peu attractive. Les comptes d’investissement de type moudaraba ou wakala sont mal compris, rarement promus et peu rentables pour les clients. Cette absence d’alternatives crédibles à l’épargne classique a freiné la collecte.»

Il ajoute également : « À cela, s’ajoute l’absence de mécanismes de refinancement adaptés à la charia, comme un marché interbancaire islamique ou des sukuk souverains fréquents, ce qui limite considérablement leur marge de manœuvre. »

Cette faiblesse en matière de liquidité pèse lourdement sur l’activité des banques participatives. «Les conséquences sont lourdes. Ce manque de liquidité réduit leur capacité à accorder de nouveaux financements, ce qui freine leur croissance organique. Certaines doivent même se tourner vers leur banque mère – souvent conventionnelle – pour obtenir des avances de trésorerie, ce qui coûte cher et met en cause leur autonomie stratégique », alerte Mohammed Jadri.

Le spécialiste souligne aussi l’impact sur la compétitivité: «En outre, cela les empêche d’innover ou de diversifier leur offre. Face à des banques classiques bien établies, disposant d’un accès fluide au marché monétaire et à une large base de clients, les banques participatives souffrent d’un déficit de compétitivité. Leurs coûts fixes sont plus élevés – notamment à cause de l’encadrement religieux et juridique – mais leur capacité à générer des revenus stables reste limitée. Résultat : elles peinent à convaincre de nouveaux clients, y compris ceux qui sont en quête de solutions conformes à la charia. »

Entre besoins de financements croissants et collecte insuffisante, les banques participatives marocaines se trouvent donc à un tournant. Pour préserver leur avenir, elles devront repenser en profondeur leur stratégie d’épargne, leur accès aux liquidités et leur positionnement face aux banques conventionnelles.

3 questions à Mohammed Jadri // Economiste et Directeur de l’Observatoire de l’Action Gouvernementale

Challenge : Selon vous, ce déséquilibre est-il surtout lié à un manque de confiance des épargnants, à un cadre réglementaire inadapté, ou à d’autres facteurs ?
Mohammed Jadri : C’est un peu tout cela à la fois. D’abord, il y a un problème de confiance. Une partie des Marocains intéressés par la finance islamique doutent encore de la réelle conformité des produits offerts. Ils ont l’impression que ce sont des produits conventionnels maquillés, sans valeur ajoutée éthique ou sociale.
Ensuite, le cadre réglementaire est encore incomplet. Même si beaucoup d’efforts ont été fournis par Bank Al-Maghrib et le Conseil Supérieur des Oulémas, l’absence de produits comme les sukuk souverains, d’un marché interbancaire participatif ou d’une fiscalité incitative freine le développement de l’écosystème.
Enfin, il y a un déficit de communication et d’éducation financière. Le public comprend mal les mécanismes de la finance participative. Les banques elles-mêmes ont parfois adopté un langage trop technique ou abstrait. Résultat : le citoyen moyen reste à l’écart, alors même qu’il pourrait y trouver une offre qui correspond à ses valeurs.

Challenge : Quelles pistes concrètes proposez-vous pour corriger ce déséquilibre et restaurer une dynamique vertueuse entre dépôts et financements ?
M.J. : Il faut agir sur plusieurs fronts. Premièrement, élargir l’offre de produits d’épargne halal est une urgence. Il faut des comptes d’investissement mieux rémunérés, des plans d’épargne à long terme, des produits verts ou solidaires qui parlent aux jeunes et aux classes moyennes. Cela suppose aussi une fiscalité adaptée et un cadre juridique souple.
Deuxièmement, les autorités doivent accélérer l’émission de sukuk souverains, qui permettront aux banques participatives de placer leurs excédents de liquidité et aux clients de disposer de placements sûrs. Troisièmement, il faut créer un marché interbancaire participatif, qui permettra à ces établissements de mieux gérer leur trésorerie.
Et enfin, un effort massif de vulgarisation est nécessaire. Il faut aller au-delà des discours techniques pour expliquer clairement, simplement, ce qu’est la finance participative et en quoi elle peut servir l’économie réelle. C’est un enjeu culturel autant qu’économique.

Challenge : Selon vous, le modèle participatif est-il viable à moyen et long terme dans le contexte marocain, ou faut-il en repenser les fondements ?
M.J. : Je suis convaincu que le modèle participatif a un avenir au Maroc, mais à condition de sortir du tout-mourabaha et de retrouver les fondamentaux de la finance islamique : le partage des risques, l’investissement productif, la solidarité et le financement de l’économie réelle.
Le potentiel est là. Une partie importante de la population reste non bancarisée. D’autres recherchent une alternative plus éthique au modèle conventionnel. Mais pour répondre à cette demande, les banques participatives doivent innover, prendre des risques calculés, s’ouvrir à la moucharaka, à la moudaraba, au financement des TPE, et pourquoi pas aux fintech islamiques.
Cela exige aussi une implication stratégique de l’État et des régulateurs. S’ils veulent faire de la finance participative un véritable levier d’inclusion financière et de croissance durable, ils doivent lui fournir les outils adaptés. Le modèle est viable, mais il ne peut plus fonctionner sur les mêmes bases qu’en 2017. Il faut désormais le faire évoluer pour qu’il tienne ses promesses économiques, sociales et spirituelles.

 
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