Rabii El Bacha: « H2Global, un test pour l’export marocain »

Spécialiste en droit des énergies et Power-to-X, Rabii El Bacha décrypte les enjeux du mécanisme H2Global et alerte sur les risques de structuration hors cadre. À quelques semaines du roadshow européen à Casablanca, l’expert revient sur les conditions d’éligibilité, les défis juridiques et les leviers pour faire de l’Offre Maroc un acteur compétitif sur les marchés européens.
L’heure n’est plus à la planification, mais à la compatibilité. À mesure que l’Europe accélère l’activation de ses mécanismes d’achat public d’hydrogène vert, à l’image de H2Global opéré par Hintco, le Maroc doit affiner davantage sa compétitivité. L’enjeu est d’ancrer l’Offre Maroc dans les standards européens, si l’on veut capter une part des 484 millions d’euros dédiés au continent.
L’enjeu est d’ancrer l’Offre Maroc dans les standards européens afin de capter une part des 484 millions d’euros dédiés au continent, tout en renforçant le dialogue avec le partenaire européen sur des barrières techniques déjà contestées jusque dans les cercles européens.
Par ailleurs, cela ne se limite pas seulement à une simple question de conformité technique. Il est aussi profondément juridique et commercial. Rabii El Bacha, docteur en droit des énergies, dans cette interview accordée à Challenge, met le curseur sur ces différents aspects importants de l’Offre Maroc à l’export et appelle à une stratégie coordonnée, entre acteurs publics et privés, pour sécuriser la place du Maroc dans le futur marché européen de l’hydrogène.
Challenge– Qu’est-ce que les mécanismes d’enchères internationales comme celui de Hintco/H2Global ?
Rabii El Bacha. Si nous prenons l’exemple du principal mécanisme Hintco soutenu par H2Global, c’est un des mécanismes « offtake » qui est d’ores et déjà opérationnel. Ces mécanismes sont qualifiés techniquement en droit d’« agrégateurs d’achats soutenus par l’État », en l’occurrence l’État allemand et néerlandais. Se conformer à ce mécanisme est bien plus complexe que de suivre un cahier des charges technique. La Commission élabore la conception de la composante internationale de la Banque européenne de l’hydrogène, qui vise à attirer les importations d’hydrogène renouvelable sur le marché de l’UE.
Ces mécanismes montrent que nous ne sommes plus au stade des études préliminaires – c’est désormais le moment d’agir, surtout lorsqu’on sait que leur prochain roadshow pour le second appel d’offres régional se tiendra au plus tard le 6 mai prochain à Casablanca. Le montant des subventions pour l’Afrique s’élève à un minimum de 484 millions d’euros. Une aubaine pour la gouvernance énergétique maroco-européenne.
Aujourd’hui, le Maroc est concerné au premier chef par ces mécanismes d’enchères internationales.
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Comment fonctionne concrètement le mécanisme H2Global, et les investisseurs de l’Offre Maroc peuvent-ils y prétendre ?
D’un côté, Hintco lance un appel d’offres auprès des producteurs internationaux – dont ceux du Maroc. Les producteurs soumettent un prix fixe garanti sur 10 ans. C’est le contrat HPA (Hydrogen Purchase Agreement). D’un autre côté, Hintco revend cette molécule verte sur le marché européen via une deuxième enchère concurrentielle, à des prix souvent inférieurs. C’est le contrat HSA (Hydrogen Supply Agreement). La différence est couverte par une subvention publique. C’est un business model qui s’inspire des mécanismes des « CfD – Contract for Difference » qui émergent dans la filière hydrogène et du carbone (CCfD).
Pour participer à l’appel d’offres H2Global, il est impératif que la décision finale d’investissement (FID) ne soit pas encore prise au moment de la soumission. À l’heure des résultats de l’Offre Maroc, le processus de sélection des investisseurs ouvrira la voie aux négociations en vue de la conclusion du contrat préliminaire de réservation du foncier. La décision de financement, quant à elle, n’interviendra qu’en toute dernière étape — à condition que l’investisseur respecte les engagements fixés dans la convention d’études avancées.
En d’autres termes, les investisseurs retenus dans les trois régions du sud du Royaume sont pleinement éligibles. Hintco se situe à une phase de pré-achèvement, et cela est à l’avantage des producteurs de l’Offre.
C’est pourquoi ignorer le fonctionnement de ces mécanismes, c’est risquer de structurer des projets non éligibles sur l’ensemble de la chaîne de valeur — des molécules qui ne seront pas valorisables, notamment de l’ammoniac vert, sur les marchés cibles européens. Ignorer, c’est aussi tourner le dos à des subventions essentielles pour propulser ce marché naissant.
On rappellera ici que Fertiglobe (producteur d’engrais azotés et de solutions d’ammoniac propre), basé à Abou Dhabi, est lauréat de la première enchère pilote H2Global. La FID pour le projet d’hydrogène vert de Scatec en Égypte, qui fournira de l’hydrogène destiné à la production d’ammoniac sur le site existant de Fertiglobe à Aïn Sokhna, est attendue au cours du premier semestre 2025.
Quels sont les principaux défis en commerce international auxquels les producteurs marocains doivent faire face pour exporter ?
Le risque réglementaire est indiscutable. L’hydrogène est une marchandise… mais une marchandise atypique, qui soulève des incertitudes juridiques – et la liste est longue. Les conventions internationales ne donnent pas toujours de réponse claire sur le statut du Power-to-X. En effet, la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises ne précise pas si les gaz sont couverts. L’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, le Système harmonisé et les codes SH classent différemment les dérivés tels que l’ammoniac, le méthanol, etc. L’Accord sur les obstacles techniques au commerce soulève des interrogations, ou encore l’Accord sur les subventions de l’OMC définit les subventions interdites qui remettent en question la légalité des subventions liées à l’exportation. Enfin, comme vous le savez, dès 2026, l’hydrogène et l’ammoniac exportés (et donc les fertilisants, en d’autres termes les engrais azotés) vers l’Union européenne seront également soumis au CBAM/MACF.
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Quel est l’enjeu juridique majeur des enchères européennes dans le secteur de l’hydrogène vert ?
Les enchères européennes ne sont pas neutres juridiquement. Les actes délégués de la directive européenne RED II / RED III font aujourd’hui jurisprudence. En matière d’enchères, Hintco précise clairement que les soumissionnaires les mieux classés doivent fournir une pré-certification valide pour leur projet par le biais de ce que l’on appelle les « schémas volontaires » reconnus. Ces schémas exigent de l’opérateur de l’installation une agilité dans la traçabilité des émissions liées à la production du carburant vert, depuis l’entrée des intrants jusqu’à la sortie du produit fini.
Cela implique que tout opérateur logistique, marocain ou international, qui manipule le produit doit être certifié pour que le statut durable soit conservé — les schémas volontaires certifient un opérateur économique et non un produit. En financement de projet, les projets PtX comprennent des phases d’avancement multiples, faisant intervenir de nombreuses entreprises spécialisées ; le risque d’interface sur la durabilité existe, car cet engagement sur la durabilité n’est pas alloué à une seule partie. Toujours sur la conformité européenne, les enchères imposent aussi un alignement avec les normes internationales des bailleurs de fonds. Les projets intégrés au Maroc ont déjà démontré leur capacité à s’aligner sur ces exigences (SIA, IFC, OIT, ODD).
En définitive, le véritable défi réside dans notre capacité à anticiper et à traduire juridiquement des complexités extraterritoriales, et à promouvoir un dialogue politique urgent avec le partenaire. Une démarche juridique proactive de reconnaissance des schémas en matière de traçabilité s’impose ici par les organismes privés, en l’absence de cadre légal sur le sujet.