Crise au Moyen-Orient : vers un choc énergétique et géopolitique ?

C’est reparti pour un énième casus belli au Moyen-Orient. Inflation, perturbation économique… que risquons-nous réellement ?
Depuis plusieurs décennies, le Moyen-Orient reste le théâtre de tensions récurrentes. La récente escalade de violences dans la région marque un nouvel épisode dans cette spirale de conflits qui semble sans fin. Le déclenchement d’un énième casus belli entre Israël et l’Iran relance la spirale de l’instabilité et son lot d’externalités négatives sur la vie économique. En clair, l’embrasement de la région, où est concentrée 40 % de la production de pétrole, pourrait très vite faire flamber le cours du brut et ainsi anéantir le recul encore fragile de l’inflation. Ces deux grands chocs pour l’économie mondiale que furent la pandémie puis la crise énergétique engendrée par la guerre de la Russie contre l’Ukraine ont réveillé l’inflation à des niveaux jamais atteints auparavant. Une flambée des prix que les anciennes générations n’ont jamais connue, et pour cause : le dernier épisode de très forte inflation qu’a connu le monde a été déclenché il y a tout juste cinquante ans. Les 16 et 17 octobre 1973, les pays arabes producteurs de pétrole décrètent une hausse des prix du pétrole pour des raisons géopolitiques. Ce fut la guerre du Kippour qui entraîna donc ces externalités économiques des pays membres de l’Opep. Le prix du pétrole atteint rapidement un niveau stratosphérique. Il quintuple en l’espace de trois mois.
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Au-delà de l’énergie, la région est un nœud logistique stratégique. Les perturbations dans le canal de Suez ou dans les ports du Golfe affectent les flux commerciaux mondiaux. Les attaques sur des navires marchands ou les restrictions de navigation impactent directement les délais et les coûts d’approvisionnement. À cela s’ajoute une incertitude persistante pour les investisseurs internationaux, qui voient dans l’instabilité régionale un facteur de risque majeur pour les marchés émergents.
Contactée par Challenge, Yasmina Asraguis, politologue et cofondatrice de l’Atlantic Middle East Forum, déclare : « La guerre, au Moyen-Orient, n’est jamais tout à fait locale. Elle est une caisse de résonance des fractures du monde – religieuses, stratégiques, économiques. Une confrontation directe entre Israël et l’Iran, avec son potentiel d’embrasement régional, pourrait engendrer un phénomène que l’on croyait relégué aux années 1970 : la stagflation. Croissance à l’arrêt, inflation persistante, marges de manœuvre monétaires réduites – tel serait le cocktail redouté. Les banques centrales, tiraillées entre le soutien à l’activité et la lutte contre la hausse des prix, se trouveraient désarmées. Le choc ne serait pas seulement économique, il serait civilisationnel : celui d’un monde globalisé pris à revers par une guerre aux racines multiples, nourrie de rancœurs historiques, de rivalités doctrinales et de calculs de puissance. Le Moyen-Orient redeviendrait alors, comme souvent dans l’histoire contemporaine, le théâtre d’une recomposition mondiale. »
Un risque d’embrasement régional et d’effet domino
Sur le plan sécuritaire, les tensions actuelles font craindre une extension des conflits à l’échelle régionale. L’implication directe de puissances comme l’Iran ou Israël pourrait rapidement transformer un affrontement localisé en crise à grande échelle. Cela engendrerait un afflux de réfugiés, une militarisation accrue de la région et une instabilité politique dans des pays voisins déjà fragilisés.
L’Union européenne, les États-Unis, la Russie et la Chine, bien que parfois antagonistes dans leurs positions, savent qu’un nouveau front au Moyen-Orient aurait des répercussions sécuritaires mondiales, du terrorisme à la cyberattaque.
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« À ce stade, les impératifs économiques mondiaux semblent résister à l’escalade militaire entre l’Iran et Israël. Le prix du baril de Brent n’a augmenté que d’environ 5 dollars depuis le début des tensions, un ajustement modéré qui reflète la capacité des marchés à absorber des chocs géopolitiques tant que le conflit reste contenu. Mais le véritable point de bascule réside ailleurs. Si les capacités balistiques iraniennes venaient à être totalement neutralisées — ou si les États-Unis entraient directement en guerre, ce qui sont les deux objectifs d’Israël —, le détroit d’Ormuz, par lequel transite près de 20 % du pétrole mondial, pourrait être fermé ou fortement perturbé.
Un tel scénario ferait bondir les prix du pétrole au-delà des 100 dollars le baril, avec des conséquences majeures : choc inflationniste mondial, ralentissement des économies importatrices d’énergie, pression accrue sur les banques centrales, et tensions sociales dans les pays les plus fragiles.
Le risque, plus que local, est donc systémique : si le conflit déborde vers le Golfe persique, les chaînes d’approvisionnement énergétiques pourraient être durablement fragilisées, ouvrant une nouvelle ère de volatilité économique mondiale », nous confie l’expert en géopolitique Anas Abdoun.