Le Self-Service Bancaire et Assurantiel. Une adoption plus lente que prévue

Le secteur bancaire et assurantiel, malgré l’essor du digital, peine à adopter pleinement le self-service. Alors que d’autres industries ont rapidement intégré des solutions en libre-service, la finance semble prendre son temps. Cependant, cette lenteur n’est pas synonyme d’échec, mais plutôt le reflet d’une complexité inhérente au secteur, marquée par une réglementation stricte et des besoins clients spécifiques. Eclairages de Karim Zaitouni, PDG de Sispay, sur ce paradoxe.
A la base, le self-service répond à une attente fondamentale : permettre aux clients de gagner du temps, d’accéder à des services simples, à toute heure, sans dépendre de la file d’attente ou de la disponibilité d’un conseiller. Pour les banques et les assurances, cela veut dire : consulter un solde, éditer une attestation, mettre à jour une adresse, suivre un remboursement, déposer un document KYC…
Le self-service n’est donc pas un gadget technologique. C’est une solution de digitalisation de proximité, qui libère du temps humain là où il est le plus utile : sur les dossiers complexes, les conseils à valeur ajoutée, les moments de vie qui exigent une vraie relation.
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En effet, « les données montrent clairement que l’adoption des kiosques self-service est moins rapide dans la finance que dans d’autres secteurs » affirme Karim Zaitouni, «mais cela ne signifie pas que le besoin n’est pas présent». En effet, l’attente des clients est bien réelle : gagner du temps, accéder facilement aux services à toute heure, sans dépendre de la disponibilité d’un conseiller.
Plusieurs facteurs expliquent cette adoption plus mesurée. Le coût d’intégration de solutions self-service dans le secteur bancaire est significativement plus élevé que dans d’autres secteurs ». «Mettre en place une borne self-service dans une banque ne se limite pas à poser un écran tactile», explique Zaitouni. « Il faut garantir la sécurité des données, assurer la compatibilité avec des systèmes informatiques souvent anciens et complexes, et prévoir un suivi technique régulier ». Ces exigences font grimper les coûts de déploiement, poussant certaines institutions à la prudence avant de se lancer à grande échelle.
Par ailleurs, la réglementation joue un rôle crucial. La banque et l’assurance sont des secteurs hautement réglementés, où chaque interaction client, même en self-service, doit respecter des règles strictes en matière de confidentialité, de traçabilité et d’identification. Près de la moitié des bornes bancaires utilisent déjà la biométrie » précise Zaitouni, «ce qui ajoute une couche de complexité et de responsabilité supplémentaire». Ces contraintes réglementaires, nécessaires pour lutter contre la fraude et protéger les données sensibles, ralentissent inévitablement le déploiement des solutions self-service.
De plus, les habitudes des clients jouent un rôle important. Si la majorité des clients apprécient les solutions digitales, une partie, notamment les plus âgés ou les moins connectés, restent attachés au contact humain, surtout pour des services financiers. «Il faut accompagner ce changement sans le forcer, » souligne l’expert. Enfin, la priorité accordée au développement des applications mobiles, plus rapides et moins coûteuses à déployer, a parfois diminué les investissements dans les solutions self-service physiques en agence.
Cependant, la situation évolue. L’Amérique du Nord et l’Europe sont en tête, avec plus de la moitié des agences équipées de solutions en libre-service. L’Asie-Pacifique affiche une croissance rapide, tandis que l’Afrique connaît une forte adoption des services mobiles, notamment via le mobile money. «Le mobile reste le canal dominant, mais les bornes intelligentes reviennent sur le devant de la scène», affirme M. Zaitouni, « à condition d’être bien conçues, bien intégrées, et pensées pour répondre à de vrais besoins sur le terrain ».
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Pour accélérer l’adoption du self-service, plusieurs solutions s’offrent aux institutions financières : une identification digitale sécurisée et conforme, le déploiement de bornes intelligentes capables de gérer des opérations complexes, la construction d’une architecture réellement omnicanale, la généralisation de la signature électronique à valeur légale, et l’intégration de l’intelligence artificielle pour une assistance plus intelligente et personnalisée. Le PDG de Sispay conclut : «Il ne faut pas digitaliser pour digitaliser, mais repenser chaque point de contact pour qu’il soit plus fluide, plus intuitif, plus utile. Le design des solutions devrait être guidé par une seule promesse : offrir une expérience fascinante, simple et humaine à chaque moment d’interaction ».
L’avenir du self-service bancaire et assurantiel réside dans cette capacité à proposer des expériences clients optimisées, sécurisées et véritablement utiles, en tenant compte des spécificités réglementaires et des besoins de chaque segment de clientèle.

Avis d’expert // Karim Zaitouni,PDG de Sispay
L’adoption du self-service dans les secteurs bancaire et assurantiel ne dépend plus uniquement de la technologie. Elle dépend désormais de la capacité à proposer des expériences intelligentes, sécurisées et réellement utiles pour le client. Car le self-service ne doit pas être une simple dématérialisation des services existants, mais une réinvention des parcours clients, pensée pour leur donner de l’autonomie, de la flexibilité et de la confiance.
Plusieurs leviers peuvent permettre d’accélérer cette adoption, tout en respectant les exigences de sécurité et de qualité relationnelle propres à ces secteurs.
D’abord, proposer une identification digitale sécurisée et conforme. En effet, le premier enjeu est d’identifier les clients à distance ou sur borne, sans faille de sécurité.
Ensuite, il est nécessaire de déployer des bornes intelligentes pour des opérations complexes. Le mobile est un outil formidable, mais il atteint ses limites dès lors qu’une opération devient longue, engageante ou techniquement exigeante. Sur petit écran, les erreurs sont plus fréquentes, les interfaces souvent moins claires, et les risques de fraude ou d’abandon augmentent.
C’est là que les bornes self-service de nouvelle génération prennent tout leur sens. Ces bornes, connectées au système d’information de la banque ou de l’assurance, offrent une expérience fluide, guidée, rapide et hautement sécurisée. Mieux encore, elles permettent un accès 24h/24 et 7j/7, donnant au client la liberté de gérer ses démarches à son rythme, quand il le souhaite — sans dépendre des horaires d’agence.
Aussi, il est essentiel de construire une architecture réellement omnicanale. L’un des freins majeurs actuels est la fragmentation des canaux : le client commence une opération en ligne, doit la reprendre à zéro sur mobile, puis terminer en agence. Pour lever cette barrière, il est crucial de concevoir des parcours fluides et continus, où l’utilisateur peut démarrer une démarche sur un canal (mobile, portail web), la poursuivre sur borne, et la finaliser avec un conseiller, en visio ou en agence, sans rupture ni répétition. Ce modèle omnicanal intégré est la clef d’une adoption large et durable du self-service.
Il faudrait aussi généraliser la signature électronique à valeur légale, renforcer l’assistance intelligente grâce à l’IA, Adapter l’interface au profil et au contexte du client et enfin briser l’immobilisme économique et organisationnel. Un frein majeur à l’innovation dans la banque et l’assurance réside dans un certain confort économique. Les revenus sont souvent garantis, prévisibles, récurrents. Cela pousse certains acteurs à privilégier la stabilité à l’innovation, avec cette logique : « Pourquoi prendre des risques si les résultats sont déjà là ? »
Mais dans un monde où les attentes clients changent vite, où la pression concurrentielle augmente, et où les usages digitaux deviennent la norme, cette posture peut devenir une faiblesse. L’innovation n’est plus une option : c’est une condition de survie et de pertinence.