La République centrafricaine a choisi Casablanca pour lancer sa grande table ronde « Ambition 28 », dédiée au financement de son Plan National de Développement 2024-2028. Avec 24 projets structurants dans l’agriculture, les mines et les infrastructures, Bangui mise sur le hub marocain pour attirer 12,5 milliards de dollars d’investissements et sceller de nouvelles alliances Sud-Sud. Décryptage.
Casablanca a accueilli, les 14 et 15 septembre 2025, la table ronde « Ambition 28 », premier grand rendez-vous international organisé par la République centrafricaine (RCA) pour attirer les investisseurs. Le choix du Maroc n’est pas fortuit : il s’agit d’un pari stratégique, révélateur d’un réalignement géoéconomique en Afrique. Bangui, en quête de partenaires solides pour son Plan National de Développement 2024-2028, trouve au Maroc une plateforme crédible de coopération Sud-Sud et un hub logistique tourné vers la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). Pour Rabat, l’événement consolide son statut de « partenaire stratégique » en Afrique, tandis que pour les investisseurs internationaux, Casablanca devient un lieu sécurisé où s’opère la validation d’opportunités dans un marché émergent à fort potentiel. Ce choix traduit une volonté de rupture. « Nous ne cherchons pas des subventions, mais des partenaires équitables désireux d’écrire la prochaine réussite de l’Afrique », a déclaré Richard Filakota, ministre centrafricain de l’Économie et de la Planification. Derrière ce positionnement se dessine une double dynamique : celle d’un État enclavé qui veut rompre avec le schéma d’un extractivisme brut, et celle d’un Maroc qui met son soft power et son expertise économique au service de pays en reconstruction. Contacté par Challenge, Abdou Diop, président de la commission Afrique de la CGEM, déclare :« Cet événement illustre un changement de paradigme fort : pour la première fois, un pays africain organise sa Table Ronde de financement dans un autre pays africain. C’est un signal puissant de confiance mutuelle et de solidarité continentale. » Et d’ajouter : « Il rappelle aussi l’importance de mobiliser nos propres ressources pour le développement : l’épargne africaine, le secteur privé, et les fonds de la diaspora. »
La Centrafrique en quête de diversification
Le Plan National de Développement 2024-2028 présenté à Casablanca est ambitieux : il regroupe 24 projets structurants destinés à moderniser l’économie centrafricaine. Le pays affiche des signaux encourageants : une croissance de 5,1 % et une inflation maîtrisée à 1,5 % en 2024. Mais au-delà des chiffres, c’est l’intégration dans des chaînes de valeur africaines qui est recherchée. La présence conjointe de la BAD, de la Banque mondiale, de la BADEA et de délégations marocaines à la table ronde témoigne de cette volonté de crédibiliser l’ancrage économique du pays. Les atouts de la RCA sont considérables mais sous-exploités: Agriculture : 15 millions d’hectares de terres arables, dont seulement 5 % cultivés, dans un climat tropical favorable. Les cultures vivrières et de rente (manioc, riz, coton, café, cacao, sésame) constituent des relais de croissance. Forêts : 23 millions d’hectares, soit un tiers du territoire, riches en essences précieuses (acajou, sipo, iroko). Le potentiel est double : transformation locale du bois et écotourisme durable. Mines : plus de 470 gisements recensés par la Banque mondiale (diamants, or, uranium, coltan, pétrole, fer, cuivre). Autant de ressources qui, si elles sont valorisées dans une logique de partenariat équitable, peuvent devenir un moteur de diversification économique. Mais pour transformer ces atouts en projets concrets, Bangui a besoin de capitaux, d’expertise technique et de partenaires capables de comprendre ses contraintes structurelles : enclavement, infrastructures dégradées, besoin urgent d’électrification et de connectivité.
Le Maroc, catalyseur et hub diplomatique
Pour le Maroc, accueillir « Ambition 28 » n’est pas seulement un acte de solidarité africaine. C’est un mouvement géoéconomique calculé. Rabat se positionne comme une passerelle incontournable pour les pays africains en quête de légitimité et d’investisseurs fiables. En s’adossant à la diplomatie des hubs, Casablanca devient une plateforme où se croisent bailleurs multilatéraux, opérateurs privés et gouvernements africains. Le pays dispose aussi d’une réelle expérience en matière de partenariats public-privé (PPP), notamment dans l’énergie, l’agriculture, l’eau et la digitalisation. Ce rôle stratégique s’inscrit dans une logique de leadership continental : le Maroc consolide son image de catalyseur d’initiatives africaines, à l’heure où de nombreux pays en sortie de crise cherchent à s’extraire du modèle classique d’aide au développement.
La Centrafrique vise 12,5 milliards
« Nous avons pour objectif de mobiliser environ 12,5 milliards de dollars pour financer les projets stratégiques inscrits dans ce plan. Il s’agit d’une étape décisive pour impulser une nouvelle dynamique de développement », a affirmé, pour sa part, le ministre de l’Économie, du Plan et de la Coopération internationale de la République centrafricaine, Richard Filakota. « En choisissant Casablanca plutôt qu’une capitale occidentale, Bangui affirme sa préférence pour des partenaires africains et des solutions adaptées aux réalités du continent. Le président Faustin-Archange Touadéra l’a résumé en ces termes : “Notre priorité est de bâtir des infrastructures résilientes et durables », nous confie l’expert en géopolitique Driss Aissaoui. Et d’ajouter: « Ce choix est révélateur d’un rééquilibrage : la RCA se rapproche d’un axe Sud-Sud où le Maroc joue un rôle de catalyseur. Cela traduit une conviction partagée : la stabilité de la région dépendra de la capacité à associer développement inclusif, valorisation du capital humain et investissements productifs. »