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Faut-il interdire TikTok au Maroc?

Suivi par des centaines de millions d’utilisateurs, la plateforme TikTok commence à faire mouche. L’appel à sa censure aux États-Unis par la Chambre des représentants soulève des interrogations profondes sur ce nouveau réseau social. Au Maroc également, des voix appelant à son interdiction commencent à se faire entendre.

Ce n’est que mercredi dernier que la Chambre des représentants américaine a adopté une proposition de loi qui prévoit l’interdiction du réseau social TikTok aux États-Unis s’il ne coupe pas ses liens avec sa maison mère, ByteDance, et, plus largement, avec la Chine. Cette décision est motivée par des accusations d’espionnage et de manipulation de masse sur la grande communauté d’utilisateurs américains. Du côté de l’Europe, la plateforme est également sous surveillance. En 2023, une enquête pilotée par l’UE évaluait le degré de respect par TikTok des obligations en matière d’atténuation des “risques systémiques”, à savoir les effets négatifs des systèmes algorithmiques de ce réseau, qui peuvent stimuler les dépendances comportementales.

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Au Maroc, avec une communauté de 9,27 millions d’utilisateurs TikTok âgés de 18 ans ou plus, les critiques à l’égard de cette plateforme et ses dérives sur la jeune génération commencent à se faire entendre. L’addiction numérique, la corruption des valeurs et les contenus inappropriés pour les enfants sont, entre autres, les raisons qui poussent la Commission de l’éducation, de la culture et de la communication à la Chambre des représentants à faire une proposition visant à interdire TikTok au Maroc. Parmi eux, la députée du Parti authenticité et modernité, Hanane Atarguine, qui en décembre dernier avait adressé une question orale à la ministre déléguée en charge de la Transition numérique et de la Réforme administrative, Ghita Mezzour, l’interpellant sur les mesures à prendre par le gouvernement pour protéger les moins de 18 ans des effets « néfastes » de ces plateformes. Selon l’élue, cette application est en train de détruire toute une génération de jeunes Marocains avec son contenu « médiocre et véhiculant des valeurs touchant à la dignité des Marocains ».

Contacté par Challenge, Kadili Abdelilah, le président de la Fondation Tamkine, spécialisée dans l’edtech, nous confie que : « La question de savoir s’il faut interdire TikTok au Maroc soulève des considérations importantes concernant l’impact de cette plateforme de médias sociaux. TikTok a introduit de nouvelles façons de parler des problèmes et des enjeux, de les exposer, d’une manière à laquelle nous n’étions pas habitués. Pour certains, cela pose problème, d’où cette volonté d’y mettre un terme à l’instar de ce qui fut fait par quelques pays. Mais à bien y réfléchir, ce n’est pas TikTok en soi qui pose problème, ni même l’utilisation de cette application qui semble s’être bien installée chez nous, y compris là où nous ne l’aurions pas imaginé, c’est plutôt la façon dont elle est utilisée et les messages qui y sont postés. Il s’agit d’éduquer les utilisateurs sur la façon de l’utiliser sans empiéter sur la liberté d’autrui, les attaquer, compromettre leurs valeurs, ou mettre leurs vies privées sur la place publique.

En fait, tant que TikTok n’envahit pas la liberté d’autrui, ni ne les diffame, ni ne diffuse de Fake News, aussi bien sûr les personnes que sur toute chose et notamment sur la chose publique, il n’y a pas de raison de l’interdire à mon sens. Il est important de reconnaître que TikTok, en dehors de sa nature de plateforme d’information, est en train de devenir un outil puissant pour la créativité, l’expression personnelle et le partage d’expériences. Il permet aux utilisateurs de s’exprimer librement et de partager leurs passions avec le monde entier, et bientôt leurs opinions politiques et autres. En interdisant TikTok, on risque de priver les utilisateurs marocains d’une plateforme qui peut favoriser l’échange culturel, la découverte de nouvelles perspectives et l’opportunité de se faire entendre à l’échelle mondiale. »

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Et d’ajouter : « Toutefois, il est essentiel d’établir des règles claires et des normes de conduite pour l’utilisation de TikTok au Maroc. Les autorités peuvent travailler en collaboration avec les utilisateurs, les influenceurs et les experts en médias sociaux pour promouvoir des pratiques responsables et éthiques. Des campagnes de sensibilisation peuvent être lancées pour rappeler aux utilisateurs les conséquences de leurs actions en ligne, tout en encourageant le respect mutuel et la tolérance. En résumé, plutôt que d’interdire TikTok au Maroc, il serait plus judicieux de promouvoir une utilisation responsable de cette plateforme. En éduquant les utilisateurs sur les bonnes pratiques et en mettant en place des mesures de régulation appropriées, il est possible de préserver la liberté d’expression tout en garantissant le respect des droits et des valeurs de chacun ».

Une régulation adaptée ?

« En tant que président de la fédération APEBI, je soutiens fermement l’idée d’une intégration plus profonde des réseaux sociaux tels que TikTok au sein de l’économie et de la société marocaine, tout en plaidant pour une régulation adaptée à nos réalités nationales. L’établissement de TikTok au Maroc devrait s’accompagner de plusieurs conditions essentielles pour refléter notre engagement envers un environnement numérique sain, éducatif et économiquement avantageux pour notre pays. Premièrement, il est crucial que les transactions financières relatives à ces plateformes puissent se faire en dirhams, permettant ainsi à l’économie marocaine de bénéficier directement de leur présence. Cela implique la mise en place d’une structure légale permettant à TikTok et à d’autres réseaux sociaux de s’inscrire localement et de contribuer au budget de l’État par des impôts, harmonisant leur activité commerciale avec notre économie.

Deuxièmement, l’adaptation de l’algorithme de TikTok pour favoriser un contenu plus pédagogique, à l’image de ce qui est pratiqué en Chine, représente une opportunité d’enrichir l’expérience des jeunes utilisateurs marocains. En mettant l’accent sur l’éducation, la science et la culture, nous pouvons transformer ces espaces en outils de développement intellectuel et social. En outre, la mise en œuvre de mesures de bien-être numérique, telles que la déconnexion automatique des utilisateurs mineurs après une heure d’utilisation quotidienne, est essentielle pour promouvoir une utilisation saine et responsable des réseaux sociaux », alerte Redouane Elhaloui, Président de l’Apebi. « Ces mesures devraient être conçues de manière à limiter efficacement les possibilités de contournement, assurant ainsi la protection de nos jeunes contre les excès du numérique. L’installation de TikTok au Maroc, dans le respect de ces principes, marquerait une étape vers le renforcement de notre écosystème numérique qui soutient l’innovation, l’éducation et l’économie locale tout en protégeant le bien-être de ses utilisateurs. Un dialogue constructif entre les autorités marocaines, les représentants de TikTok et les autres acteurs du secteur numérique est essentiel pour atteindre ces objectifs, et en tant que président de l’APEBI, je m’engage à faciliter ces échanges pour le bénéfice de notre société ».

Par ailleurs, il faut noter que même en Chine, l’utilisation de la plateforme est encadrée par un dispositif très strict. Il y a trois ans, ByteDance, la maison mère de TikTok, révélait que la version chinoise de la célèbre application de vidéos courtes, baptisée Douyin, ne serait désormais plus accessible aux utilisateurs de moins de 14 ans au-delà de quarante minutes par jour ainsi qu’entre 22 heures et 6 heures du matin.

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On peut juger surprenant qu’un leader des réseaux sociaux limite de son propre chef l’usage de ses services, amputant ses revenus publicitaires et s’exposant à la concurrence. Mais cette annonce doit se lire dans le contexte très particulier d’un regard de contrôle de l’État sur la tech ainsi que les services qui en découlent. Dans la même année, la Chine avait révisé sa loi de protection des mineurs en exigeant des réseaux sociaux des outils de limitation de la consommation. Ce texte de loi spécifiait que « la société, les écoles et les familles doivent mener une éducation idéale (…). L’État encourage et soutient la création et la diffusion de contenus en ligne propices à une croissance saine des mineurs ». Il fixe également l’objectif « d’empêcher les mineurs de devenir dépendants du réseau ».

Suisse : une clinique pour les accros à… TikTok

En Suisse, à Thoune, une clinique privée vient d’ouvrir ses portes. Cette clinique pas comme les autres soigne les dépendances aux réseaux sociaux, et notamment à TikTok. En quatre semaines d’ouverture, la clinique privée affichait déjà complet. Les jeunes sont installés dans des chambres individuelles et suivent un processus thérapeutique individuel et collectif dans lequel ils doivent gérer leur quotidien en autonomie et pratiquer certaines activités, comme du sport, de la peinture ou de la méditation pleine conscience. Aujourd’hui comme un mal subtil, la dépendance aux réseaux sociaux, et en particulier à TikTok, est un phénomène qui touche de plus en plus de jeunes.

 
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