Mohamed OUHMED: «Le gaz naturel est un levier de compétitivité, de stabilité et de transition pour le Maroc»

Alors que le Maroc multiplie les initiatives pour accélérer sa transition énergétique, le ministère de la Transition énergétique vient de lancer un appel à manifestation d’intérêt (AMI) pour doter le pays d’infrastructures gazières de grande envergure. Terminal GNL à Nador West Med, réseau de gazoducs stratégique… Dans cette interview, Mohamed OUHMED détaille les ambitions, les enjeux et les choix politiques derrière ce virage gazier.
Challenge : Votre ministère vient de lancer un appel à manifestation d’intérêt (AMI) visant à développer des infrastructures gazières nationales. Ce projet ambitieux inclut la construction d’un terminal GNL au port de Nador West Med, ainsi qu’un réseau de gazoducs pour relier les centrales électriques et zones industrielles de Kénitra à Mohammedia. Quels sont les enjeux d’un tel programme?
Mohamed OUHMED : Ce programme revêt une importance stratégique majeure pour notre pays. Il s’inscrit à la fois dans une logique d’indépendance énergétique, devenue plus urgente depuis la fin de l’accord sur le Gazoduc Maghreb-Europe en 2021, et dans la volonté d’accompagner une transition énergétique maîtrisée. L’intégration du gaz naturel dans notre bouquet énergétique vise à stabiliser le réseau face à l’intermittence des énergies renouvelables, en forte croissance, tout en réduisant progressivement notre dépendance au fioul et au charbon, bien plus polluants.
Ce projet répond aussi à notre engagement en faveur de la décarbonation du système électrique et industriel, dans le respect de nos obligations internationales, notamment l’Accord de Paris et les nouvelles contraintes imposées par le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne.
Mais au-delà de l’aspect énergétique, c’est une véritable vision de développement économique durable qui se dessine. Le tracé envisagé constitue une première étape vers la réalisation du gazoduc Afrique-Atlantique, en reliant notamment Mohammedia au GME. Cette infrastructure deviendra, à terme, la colonne vertébrale de l’économie marocaine de l’hydrogène, appelée à jouer un rôle clé dans les prochaines décennies.
Lire aussi | Le Maroc accélère sur le gaz naturel
Challenge : Le développement de ces infrastructures gazières nécessitera-t-il une adaptation du cadre réglementaire actuel, notamment en matière d’importation, de transport et de tarification du gaz naturel ? Si oui, quelles sont les réformes envisagées ?
M.O : Une réforme est effectivement en cours. Un projet de loi dédié au gaz naturel est en phase d’approbation au niveau du Secrétariat Général du Gouvernement. Il a déjà suscité un vif intérêt, avec de nombreux retours de la part de l’écosystème national et d’acteurs internationaux, que nous intégrons dans une démarche de dialogue et d’ouverture.
L’objectif est de poser les bases d’un véritable marché du gaz naturel au Maroc, aujourd’hui encore peu structuré. Pour cela, nous plaidons pour un cadre réglementaire souple, évolutif et suffisamment incitatif pour accompagner la demande croissante des secteurs électriques et industriels, tout en attirant les investissements nécessaires à la réussite de cette transition.
Challenge : Comment justifiez-vous le choix d’investir massivement dans le gaz naturel, une énergie fossile, alors que le Maroc s’est engagé vers la neutralité à long terme ?
M.O : Le gaz naturel est reconnu à l’échelle internationale comme une énergie de transition. Bien qu’il s’agisse d’une énergie fossile, son impact environnemental est nettement inférieur à celui du charbon ou du fioul, qui dominent encore notre production électrique. Dans cette perspective, le gaz nous permet de décarboner rapidement notre système électrique, tout en sécurisant l’approvisionnement en énergie des industriels.
Pour faire face à l’intermittence des énergies renouvelables, nous devons pouvoir compter sur des centrales à gaz, capables de répondre instantanément aux variations de production solaire ou éolienne. Cela permet non seulement d’assurer la stabilité du réseau, mais aussi d’accélérer le déploiement des énergies propres dans le pays.
En ce qui concerne l’industrie, le recours au gaz naturel n’est plus une simple question de transition écologique. C’est un enjeu de compétitivité et, dans certains cas, de survie économique. Des unités industrielles, notamment à Kénitra, risquent de cesser leur activité faute d’accès à une source d’énergie fiable et compétitive. Le développement de l’infrastructure gazière répond donc aussi à une urgence économique.
Lire aussi | Le Maroc: futur eldorado gazier
Challenge : Après plusieurs découvertes prometteuses, où en est aujourd’hui le développement des projets de production de gaz naturel au Maroc sachant qu’il y a une forte demande, principalement des centrales électriques à gaz et de l’industrie ?
M.O : Le Maroc bénéficie d’un cadre réglementaire particulièrement attractif pour les activités d’exploration et de production d’hydrocarbures. Avec le soutien de l’ONHYM, nous entretenons un dialogue régulier avec les opérateurs du secteur, en vue de faire émerger des projets structurants.
Ces projets, toutefois, sont par nature complexes, risqués et très capitalistiques. Leur concrétisation repose sur une vision à long terme. Cela dit, le développement de la production nationale ne saurait suffire à répondre à la demande immédiate. D’où l’importance de mettre en place une infrastructure d’importation de GNL capable d’offrir au pays la flexibilité et la sécurité énergétique dont il a besoin. L’un n’exclut pas l’autre : nous devons avancer simultanément sur ces deux fronts pour construire un écosystème gazier cohérent, résilient et adapté aux enjeux nationaux.