Interview

Mohammed Sadiki : « Le SIAM est aujourd’hui le premier salon en Afrique et l’un des plus importants au monde »

Mohammed Sadiki est le mieux placé pour parler du rôle joué par le Plan Maroc Vert et la nouvelle stratégie «Génération Green» dans la transformation et le développement de ce secteur. Dans cette grande interview, le ministre de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural, des Eaux et Forêts, fait le point sur la situation de l’agriculture marocaine.

Challenge : Lancé en 2020, les trois premières années du déploiement de Génération Green 2020-2030 ont coïncidé avec la crise sanitaire de Covid-19. Où en est-on de ce programme ?
Mohammed Sadiki :
Face à la crise sanitaire due au Covid-19, de par le monde, l’agriculture s’est imposée comme secteur stratégique et prioritaire. Le contexte de la polycrise due à la pandémie combinée à deux années consécutives de sécheresse, plus l’inflation issue de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, a constitué un grand défi de résilience auquel le secteur agricole a été confronté ces dernières années. Pourtant, le Royaume a pu assurer la poursuite des activités agricoles et agroalimentaires qui ont permis d’approvisionner le pays avec des produits de bonne qualité et une offre suffisante et diversifiée notamment pendant la période de confinement.
Actuellement, dans sa dynamique de développement, l’agriculture marocaine fait face à plusieurs défis notamment l’accentuation des changements climatiques, la diminution des ressources hydriques, ainsi que la forte augmentation des coûts de production due à la cherté des intrants agricoles engendrés par l’inflation née de la conjoncture économique liée à la guerre en Ukraine.

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La stratégie «Génération Green 2020-2030» a été conçue et élaborée conformément aux Hautes Orientations de S.M. le Roi Mohammed VI pour la mise en œuvre de plans stratégiques sectoriels de nouvelle génération. Ambitieuse, tout en étant pragmatique et réalisable, cette nouvelle vision stratégique pour le secteur agricole est en ligne avec le cadre tracé par le nouveau modèle de développement et s’inscrit en convergence avec les autres chantiers structurants lancés par Sa Majesté le Roi, le programme national d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation, le programme intégré d’appui et de financement des entreprises, la feuille de route pour le développement de la formation professionnelle, etc.
A terme, cette stratégie devrait permettre à l’agriculture marocaine de devenir bien plus performante en doublant le PIB agricole pour atteindre 200 à 250 milliards DH en 2030 ainsi que les exportations pour atteindre 50 à 60 milliards de DH en valeur et en créant plus 350 000 nouveaux emplois, tout en améliorant les conditions de vie des agriculteurs. Elle permettra également de renforcer la durabilité et la résilience du secteur aux changements climatiques.
Cette stratégie se base sur deux principaux fondements, la priorisation de l’élément humain et la pérennisation de la dynamique de développement du secteur agricole.

Challenge : Après trois ans d’absence pour cause de pandémie, la 15ème édition du SIAM se tient du 2 au 7 mai à Meknès, sous le thème « Génération Green : pour une souveraineté alimentaire durable ». Cette problématique de la souveraineté alimentaire n’a jamais été autant d’actualité qu’aujourd’hui dans le monde. Pour y parvenir, quels sont les défis auxquels le Maroc fait face ?
M.S. :
Suite à la ‘polycrise’ multiforme actuelle (sanitaire, économique, environnementale et géopolitique), la question alimentaire s’est fortement invitée dans le débat politique au niveau international à l’image du sommet mondial sur les systèmes alimentaires des Nations unies en septembre 2021.
A l’échelle des pays, le débat sur l’alimentation occupe une place de choix avec la mise en relief de certaines thématiques à l’image de l’autonomie alimentaire, la sécurité alimentaire, l’import-substitution, la souveraineté alimentaire, etc.
La plupart de ces thématiques sont connues depuis les années 60. Toutefois, le concept de la souveraineté alimentaire, quoiqu’il existe depuis des dizaines d’années, s’est imposé d’une façon très remarquable à l’échelle internationale, notamment dans certains pays de l’Amérique latine, en Afrique et en Europe.
Perçue d’une façon très pragmatique, la souveraineté alimentaire repose sur les éléments suivants :

  • Le développement de la production locale.
  • Le respect de l’environnement et la résilience contre le changement climatique.
  • La protection contre les importations à des prix bas pratiqués par certains pays (dumping) ou qui ne respectent pas la qualité.
  • La rémunération convenable des producteurs.
  • L’appui à la gestion des stocks.

Ainsi, la souveraineté alimentaire est une voie pour atteindre la sécurité alimentaire. Donc, les concepts de souveraineté et de sécurité alimentaires sont étroitement liés. Le discours de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu l’assiste, au Parlement à l’occasion de l’ouverture de la 1ère session de la 1ère année législative de la 11ème législature a rappelé l’importance de cette sécurité et souveraineté alimentaire, notamment en appelant à la création d’un dispositif national intégré ayant pour objet la réserve stratégique de produits de première nécessité, notamment alimentaires.
Les principes fondamentaux de la sécurité et de la souveraineté alimentaire forment l’ossature des plans de modernisation de l’agriculture nationale, qu’il s’agisse du Plan Maroc Vert ou de la Génération Green, en l’occurrence, la priorité à l’élément humain (Fondement I de GG) et la pérennité du développement agricole (Fondement II de la GG) qui visent la transformation de l’agriculture nationale vers une agriculture productive, plus résiliante, éco-efficiente et de qualité.

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S’agissant des stocks alimentaires, l’intérêt est porté actuellement sur les céréales, notamment les blés étant donné l’importance de ces denrées dans le régime alimentaire des marocains. L’engagement du Maroc pour la sécurité alimentaire s’est traduit dans la coopération Sud-Sud avec les pays du continent africain à l’image de l’initiative pionnière lancée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI à l’occasion de la COP 22, en l’occurrence l’initiative triple A pour l’Adaptation de l’Agriculture Africaine.
Et puisque l’atteinte de la sécurité et la souveraineté alimentaire est une question complexe, dépassant souvent les capacités des pays individuellement, le Maroc a toujours plaidé pour le travail en commun avec les pays partenaires, notamment du Continent Africain dans le cadre de la coopération Sud-Sud, et ce à travers l’élaboration de stratégies communes pour faire face aux défis multiples.

Challenge : Comment Génération Green peut-elle accélérer la marche du Maroc vers la souveraineté alimentaire durable ? (DSS)
M.S.
: Au Maroc, la souveraineté alimentaire est raisonnée dans le cadre global du système alimentaire national avec comme but la sécurité alimentaire retenue comme priorité dans le cadre des politiques de développement du secteur agricole marocain notamment la stratégie du Plan Maroc Vert (2008-2020), et la stratégie « Génération Green », lancée pour les dix prochaines années (2021-2030).
Afin d’accélérer la marche de notre pays vers la souveraineté et la sécurité alimentaires durables, en donnant la priorité à la protection des ressources naturelles, la stratégie Génération Green a accordé une importance au renforcement du capital humain, à l’amélioration de la productivité, à la modernisation des circuits de commercialisation et au renforcement de l’immunité du secteur agricole grâce à l’adoption d’un ensemble de mesures : le renforcement du capital humain et l’augmentation du revenu des agriculteurs, ainsi que le développement et la consolidation des filières agricoles par une intervention plus ciblée sur l’amont agricole et une réallocation des efforts sur l’aval. Dans ce cadre, des contrats-programmes, nouvelle génération, pour le développement des filières agricoles ont été élaborés en concertation avec les interprofessions concernées et sont en cours d’approbation par les autorités concernées.
L’objectif est de doubler le PIB agricole pour atteindre à terme, tout en concentrant les efforts sur l‘aval des chaines de valeur avec une cible de taux de valorisation de la production de 70%, à l’horizon 2030. Il s’agit d’augmenter la production de 1,5 fois et de mieux capter et multiplier la valeur ajoutée.

Challenge : Votre ministère a annoncé récemment que le volume d’investissement prévu en matière d’irrigation et d’aménagement de l’espace agricole, dans le cadre de la stratégie « Génération Green 2020-2030 », s’élève à 40 milliards de DH. En quoi cette enveloppe pourrait-elle contribuer à apporter des solutions à la problématique cruciale de la gestion de l’eau dans le secteur agricole ?
M.S. :
L’agriculture marocaine fait face à une raréfaction qui va crescendo sous les effets de l’augmentation des demandes en eau des villes d’une part et des changements climatiques qui réduisent le potentiel hydrique mobilisable.
La gestion de la rareté de l’eau dans le secteur agricole se trouve ainsi placée au rang des priorités du secteur de l’agriculture depuis plusieurs décennies. Les stratégies agricoles du Plan Maroc Vert 2008-2020 et Génération Green 2020-2030, en cours de déploiement, ont marqué un tournant en matière d’adaptation de l’agriculture à la rareté de l’eau et aux changements climatiques. L’objectif fixé étant d’augmenter la productivité et la valeur ajoutée par m3 d’eau, autrement dit produire plus par m3 d’eau utilisé.

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La stratégie Plan Maroc Vert a relevé ce défi en multipliant la valorisation de l’eau par 2 à 3 en moyenne selon les régions et selon les cultures et la stratégie Génération Green continue dans cet élan avec un objectif de pérenniser les acquis du Plan Maroc Vert et de doubler la valeur ajoutée par m3 d’eau à l’horizon 2030.

Challenge : L’agriculture marocaine est en train de faire de la technologie un allié de taille. Les agritech, ces startups qui mettent les progrès du numérique au service d’une agriculture durable et rentable, sont en plein essor dans le Royaume. Parallèlement, votre Département se fixe pour objectif de connecter 2 millions d’agriculteurs et d’usagers à des e-services agricoles à l’horizon 2030. Où en êtes-vous de l’élaboration de cette vision ?
M.S. :
La transformation digitale est devenue incontournable pour le secteur de l’agriculture. Les progrès extraordinaires des technologies digitales impactent de manière très positive les activités liées au secteur agricole, aussi bien en termes de réduction de la pénibilité pour les agriculteurs et de réduction des coûts par une meilleure gestion des intrants, qu’en termes de disponibilité d’informations à portée de main pour une meilleure prise de décision.
Dans toutes ses dimensions, la stratégie Génération Green a inscrit la transformation digitale comme un des leviers importants pour le développement du secteur en parfaite convergence avec les autres stratégies et programmes du gouvernement sous l’impulsion des Hautes Orientations Royales qui exhortent à la modernisation des services rendus aux citoyens, à la simplification des procédures et à l’encouragement de la recherche et de l’innovation. Le développement des infrastructures de télécommunications et d’accès à l’internet qu’a connu notre pays ces dernières années, favorise l’émergence d’offres de solutions pour une agriculture de précision plus efficiente et plus résiliente pour faire faces aux challenges de rareté de l’eau, des aléas liés aux changements climatiques et à la volatilité des prix des intrants.

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C’est dans ce contexte que le ministère est en train d’élaborer une feuille de route de la transformation digitale du secteur qui vise d’une part à améliorer davantage les mécanismes de gouvernance de notre stratégie et de nos programmes et d’autre part à augmenter la productivité et à renforcer la résilience de notre agriculture face aux changements climatiques en s’appuyant sur les dernières innovations des technologies numériques. L’élaboration de cette feuille de route s’inscrit donc dans le cadre du développement de la digitalisation du secteur agricole aussi bien au niveau des institutions qu’au niveau des exploitations agricoles et tout au long de la chaine de valeur des filières agricoles.

Le Département a pu mettre en exergue un ensemble de projets qui s’inscrivent dans le cadre de l’accélération du rythme de transformation digitale du secteur de l’agriculture et de l’agro-industrie, un chantier considéré comme un levier de développement du secteur agricole à tous les niveaux, de la production à la consommation, en passant par la valorisation, la commercialisation et l’exportation. Certains de ces projets sont déjà opérationnels ou en cours de réalisation.

Challenge : Cette année, les pluies n’ont pas vraiment été au rendez-vous. A quoi faut-il s’attendre en termes de récolte cette année ?
M.S. :
La campagne agricole en cours est caractérisée par le retard des premières pluies qui ont un impact significatif sur l’installation des cultures d’automne notamment les céréales. Le premier épisode pluvieux n’a eu lieu qu’à partir de la première décade de décembre, ce qui a induit à une perturbation de la décision de semis chez les céréaliculteurs, provoquant ainsi une baisse des superficies emblavées par les céréales d’automne depuis le démarrage de cette campagne.
Ainsi, la campagne agricole 2022/2023 se caractérise par une pluviométrie moyennement faible, qui a atteint à la date du 21 Avril 2023 un cumul de 207 mm, soit une baisse de 36% par rapport à une campagne normale (322 mm) et une hausse de 12% par rapport à la campagne précédente (184 mm) à la même date.
S’agissant de la retenue de barrages à usage agricole, leur capacité a enregistré, à la date du 21 Avril 2023, 4,48 milliards M3 contre 4,26 milliards M3, soit un taux de remplissage de 33% contre 31% la campagne précédente à la même date (+6,5%).
Ce niveau pluviométrique conjugué à la hausse des températures durant les mois de Mars et Avril a accentué le stress hydrique dans plusieurs zones céréalières du Royaume, ce qui a entrainé le ralentissement du développement végétatif et du remplissage des grains des céréales engendrant ainsi une production prévisionnelle en dessous de la moyenne.

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La production prévisionnelle des trois céréales principales au titre de la campagne agricole 2022/23 est estimée à près de 55,1 Millions de quintaux contre 34,0 Millions de quintaux en 2021/22. Il s’agit d’une hausse considérable de l’ordre de 62% par rapport à la campagne précédente. Cette production est issue d’une superficie semée en céréales principales de 3,67 Millions d’Hectares contre 3,57 Millions Hectares en 2021/22, soit une hausse de 2,8%. Il est clair que le chiffre final sera déterminé à la récolte et dépendra encore des conditions climatiques d’ici là.
La production prévisionnelle des principales espèces arboricoles est en hausse, après avoir connu une baisse remarquable, en 2022, sous l’effet des conditions climatiques défavorables.
Les conditions favorables relativement meilleures de celles ayant prévalu en 2022 ont permis une bonne floraison annonçant un retour prévisible à la normale des productions agrumicoles et oléicoles. Les conditions climatiques exceptionnellement favorables dans le sud de l’Atlas annoncent également une campagne dattier en hausse par rapport à l’année dernière.
La production maraichère du printemps a permis un redressement du marché des principaux légumes à savoir la tomate, l’oignon et la pomme de terre.
La production primeurs en cours a permis d’approvisionner le marché national et de couvrir les besoins et de répondre à l’export. Les efforts conjoints des professionnels et du Ministère ont permis de réguler le marché des tomates tout en poursuivant les exportations. Les basses températures de février et mars ont perturbé les récoltes et induit des hausses des prix par période.

 
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