83 % des entreprises dans l’informel. un frein à la croissance

Le dernier rapport régional de la Banque mondiale, publié en avril 2025, dresse un constat préoccupant sur l’économie du Maroc : 83 % des entreprises y évoluent dans l’informel. Ce taux, parmi les plus élevés de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), illustre les obstacles structurels qui freinent le développement du secteur privé et, par conséquent, la croissance économique du pays.
Intitulé « Changer de vitesse : Le secteur privé comme moteur de la croissance », le rapport analyse les raisons de la faible croissance observée dans la région MENA. En 2024, le taux de croissance régional plafonnait à 1,9 %. Les projections tablent sur une amélioration progressive : 2,6 % en 2025, puis 3,7 % en 2026. Mais cette reprise reste fragile, minée par une productivité atone et des marchés fragmentés.
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Le secteur privé, censé être un moteur d’emploi et d’innovation, n’a pas joué son rôle. Selon les enquêtes menées par la Banque mondiale, la croissance des ventes par travailleur a baissé en moyenne de 8 % dans la région. Le Maroc, légèrement au-dessus de la moyenne, affiche une baisse de 1,2%, tandis que l’Égypte enregistre une chute de 15 %.
L’économie informelle, poids lourd du paysage économique
L’un des freins majeurs identifiés est l’économie informelle, omniprésente dans la région. Celle-ci représente entre 10 % et 30 % de la production totale et jusqu’à 80 % de l’emploi. Le Maroc se distingue tristement avec 83 % de ses entreprises opérant hors du cadre légal. Cette prévalence de l’informel reflète les failles structurelles du tissu économique national.
Ce constat rejoint celui dressé par l’OCDE dans son rapport de septembre 2024 : l’informalité, bien qu’elle fournisse un revenu à de nombreux ménages, nuit à la productivité, réduit les recettes fiscales et fausse la concurrence. Les entreprises informelles, souvent de petite taille, sont peu rentables et leurs travailleurs, peu qualifiés, perçoivent des salaires faibles. Ce phénomène est particulièrement marqué dans les zones rurales.
Exclusion des femmes : un potentiel sous-exploité
Autre frein identifié : la faible participation des femmes à la vie économique. Avec seulement 18 % de femmes actives, la région MENA détient le taux le plus bas au monde, bien en dessous de la moyenne mondiale de 49 %. Pourtant, la réduction de ces inégalités pourrait représenter un levier de croissance majeur. La Banque mondiale estime qu’un pays moyen de la région pourrait accroître son revenu par habitant de 50 % en favorisant l’accès des femmes à l’emploi.
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Les données récentes montrent aussi que la promotion des femmes à des postes de direction contribue à l’intégration de davantage de femmes sur le marché du travail, créant ainsi une dynamique vertueuse pour l’économie.
Un secteur public omniprésent
La forte présence de l’État dans les économies de la région nuit également à l’essor du secteur privé. Dans de nombreux pays MENA, les entreprises publiques dominent des secteurs entiers, souvent avec des avantages importants. Cette situation décourage l’investissement privé, détourne les talents vers des emplois publics perçus comme plus stables, et freine l’innovation.
La Banque mondiale appelle à une plus grande neutralité concurrentielle afin de garantir que les entreprises publiques et privées évoluent sur un pied d’égalité.
Un climat des affaires à améliorer
Les entreprises de la région MENA sont plus nombreuses que celles d’autres pays à revenu comparable à signaler des obstacles liés à l’environnement des affaires : corruption, instabilité politique, lourdeurs administratives… Ces contraintes freinent la création et la formalisation des entreprises, et découragent les investissements étrangers.
Améliorer le cadre réglementaire, simplifier les procédures et renforcer la transparence des institutions publiques sont autant de mesures indispensables pour restaurer la confiance des investisseurs et dynamiser le tissu entrepreneurial.
Investissement et innovation à la traîne
Autre indicateur révélateur du manque de dynamisme du secteur privé : le faible niveau d’investissement. En moyenne, seulement 21,7 % des entreprises de la région investissent dans le capital physique, un chiffre bien inférieur à celui observé dans les pays à revenu comparable. En matière de formation du personnel, les chiffres sont tout aussi préoccupants : à peine 14,5 % des entreprises proposent des formations structurées.
Ces carences en capital humain et physique se traduisent par une faible capacité d’innovation, tant dans les produits que dans les procédés, et par un sous-investissement chronique en recherche et développement.
Un avenir possible, à condition d’agir
Malgré ce constat préoccupant, la Banque mondiale entrevoit des perspectives encourageantes pour la région MENA – si des réformes ambitieuses sont engagées. Pour Roberta Gatti, économiste en chef de la Banque mondiale pour la région, « un secteur privé performant est essentiel pour promouvoir une croissance durable et la prospérité dans la région ».
Les gouvernements sont appelés à réinventer leur rôle : garantir un environnement concurrentiel, investir dans l’éducation et la formation, faciliter l’accès au financement, et encourager l’entrepreneuriat, notamment féminin. De leur côté, les entreprises doivent moderniser leur gestion, investir dans l’innovation, et mieux valoriser leurs ressources humaines.
La mobilisation du potentiel inexploité, notamment celui des femmes et des jeunes, pourrait transformer le secteur privé en un véritable moteur de développement inclusif pour le Maroc et la région MENA.

